Face au changement climatique, Pétra s’inspire des technologies nabatéennes

Cette cité du désert vieille de 2 000 ans, ayant servi de décor à Indiana Jones, est aujourd’hui menacée par la sécheresse, les inondations et les tempêtes de sable. Des technologies aussi vieilles que la cité elle-même pourraient peut-être la sauver.

De Andrew Curry
Publication 30 avr. 2024, 16:42 CEST
Le bâtiment le plus emblématique de l’ancienne cité de Pétra est Ad Deir, également connu sous ...

Le bâtiment le plus emblématique de l’ancienne cité de Pétra est Ad Deir, également connu sous le nom de Monastère. Il fut sculpté il y a plus de 2 000 ans, tout comme d’autres monuments dans le désert, par une ancienne civilisation de commerçants appelés les Nabatéens.

PHOTOGRAPHIE DE Michael Snyder

Lorsqu’il était enfant à Wadi Musa, une ville du sud de la Jordanie, Mohamad Alfarajat écoutait son père lui parler des plantations de blé sur les terrasses verdoyantes des canyons désertiques de la région. Il évoquait aussi les vergers d’abricotiers et de figuiers prospères qui nourrissaient la communauté locale.

Aujourd’hui géologue à l’université Al-Hussein Bin Talal à Ma'an, en Jordanie, Alfarajat explique qu’il ne reste plus grand-chose de ces terres fertiles. À cause des périodes de sécheresse de plus en plus longues, il est devenu plus difficile d’entretenir les champs qui nourrissaient son père et les générations qui l’ont précédé.

« Il y a 40 ans, au début du changement climatique, les zones fertiles ont commencé à se rétracter », explique Alfarajat. « La population locale avait l’habitude de cultiver sa nourriture sur ses propres terres or elle est aujourd’hui contrainte de presque tout importer de l’extérieur. »

Alors que l’agriculture était déjà fragilisée par la sécheresse, les crues soudaines sont devenues plus fréquentes à cause du réchauffement climatique, ce qui représente une menace à la fois pour les ruines anciennes de la région et pour les communautés locales. Sans oublier que les variations de température plus intenses ont accéléré l’altération des façades historiques en grès sculptées à l’apogée de l’Empire romain.

« L’impact du changement climatique à Wadi Musa est évident », explique Alfarajat. « Si vous voulez le constater par vous-même, venez à Pétra. »

La ville de Wadi Musa a connu d’autres changements depuis qu’Alfarajat y vivait enfant. Depuis les années 1980, le site archéologique voisin de Pétra s’est transformé en haut lieu du tourisme mondial. Près d’un million de visiteurs s’y rendent chaque année pour admirer les tombes et les temples taillés dans le grès par la civilisation nabatéenne il y a pratiquement 2 000 ans. Or ces monuments sont eux aussi menacés par les crues soudaines, et les dommages causés au site archéologique mettraient en péril l’activité touristique dont les habitants de la région sont devenus tributaires.

Pour protéger le site dans les décennies à venir, les gardiens de Pétra se tournent vers des solutions anciennes, notamment les technologies laissées par le peuple ayant construit ce remarquable avant-poste du désert.

Abo Mohammad descend dans le puits qui protège Ain Al Sarab, une source d’eau déjà connue et utilisée par l’ancien royaume nabatéen qui habitait les actuelles Jordanie et Arabie saoudite. Ain Al Sarab a continué à fournir de l’eau douce pour les besoins en eau potable de la population locale et l’irrigation des terres pendant plus de 2 000 ans. Elle est à ce jour toujours utilisée par la communauté de Wadi Musa en Jordanie.

PHOTOGRAPHIE DE Michael Snyder

S’ADAPTER AUX INONDATIONS

Les montagnes qui entourent Pétra forment une cuvette, au centre de laquelle repose la cité antique. L'altitude de ce site tentaculaire de 260 kilomètres carrés varie jusqu'à atteindre plus de 900 mètres de haut. Lorsqu’il pleut dans la région, l’eau dévale rapidement les pentes, ce qui provoque souvent des crues soudaines catastrophiques, voire meurtrières. Les habitants de la région parlent encore de l’hiver 1963, au cours duquel des inondations ont surpris les locaux et les touristes, causant des dizaines de victimes. En 2018, l’eau a de nouveau fait dégringoler des blocs rocheux dans les ravins autour de Wadi Musa.

Pas plus tard qu’en décembre 2022, d’impressionnantes vagues se sont engouffrées à toute vitesse dans les étroits canyons de Pétra, projetant de l’eau boueuse jusqu’aux marches de l’emblématique Trésor du Pharaon, un ancien bâtiment rendu célèbre pour avoir servi de décor extérieur dans le film « Indiana Jones et la dernière croisade ».

« L’eau arrivait de quatre directions et s’engouffrait directement dans le Trésor », explique Taher Falahat, expert en patrimoine culturel à la Petra Development Tourism Regional Authority, l’agence qui s’occupe de la gestion de Pétra et de la région environnante.

Les recherches archéologiques ont démontré que les Nabatéens devaient eux aussi faire face aux inondations et aux sécheresses saisonnières. Ces commerçants du désert ayant régné sur la région jusqu’au 3e siècle de notre ère environ étaient un maillon essentiel du commerce des produits de luxe entre l’Empire romain et leurs voisins de l’Est. Les mêmes caractéristiques qui ont attiré les anciens Nabatéens dans la région de Wadi Musa (ses canyons sinueux, ses hauts sommets et plateaux, ses vallées protégées) en font aussi aujourd’hui une zone vulnérable aux inondations. « Ils étaient confrontés aux mêmes problèmes, ils avaient la même topographie », explique Falahat.

Les archéologues ont passé des décennies à retracer la façon dont les Nabatéens géraient l’eau dans la région. Ils ont découvert que les ingénieurs nabatéens avaient mis au point un système imbriqué de terrasses et de petits barrages pour protéger l’ancienne Pétra des inondations. Ce système complexe canalisait l’eau à travers les nombreux ravins et canyons de Pétra et de Wadi Musa. Les barrages ralentissaient les ruissellements qui provoquaient les inondations et l’acheminaient vers des bassins de stockage. Les terrasses, quant à elles, absorbaient l’eau et offraient de l’espace pour les cultures.

Après l’effondrement du royaume nabatéen au 4esiècle de notre ère, le système, laissé à l'abandon, est tombé en ruine. Même après la redécouverte de Pétra par les archéologues et son développement en tant que destination touristique au 20e siècle, les chercheurs ont négligé les barrages pour se concentrer à la place sur la magnifique architecture taillée dans les falaises des canyons de Pétra. « [Ces infrastructures] ont été laissées à l’abandon pendant des milliers d’années », explique Falahat. « Elles sont toujours là, elles se sont simplement délabrées. »

 

UNE SOLUTION ANTIQUE À UN PROBLÈME MODERNE

Les plans visant à restaurer ces installations font partie des recommandations d’une nouvelle initiative financée par la National Geographic Society pour aider Pétra et d’autres sites du patrimoine culturel dans le monde à s’adapter au changement climatique. Intitulé « Preserving Legacies » (« Préserver les héritages »), ce projet vise à aider les communautés à protéger leurs sites patrimoniaux du changement climatique. « Nous élaborons des modèles climatiques locaux et discutons avec les dirigeants des communautés pour déterminer ce qu’il faut sauvegarder en priorité », explique Victoria Herrmann, géographe et exploratrice National Geographic, qui dirige le projet.

Il s’agit d’un effort crucial. À mesure que le climat se modifie, des événements qui n’arrivaient qu’une fois par siècle tels que les inondations meurtrières qui ont frappé Pétra en 1963, risquent de se produire plus fréquemment sachant que, selon les estimations, les précipitations dans la région devraient augmenter de 40 % d’ici à 2050. « Les inondations, qui ont toujours fait partie de l’histoire de Pétra, vont s’intensifier », explique Herrmann.

Ce n’est pas le seul risque auquel les gardiens de Pétra doivent se préparer : déjà à la limite de leur écosystème désertique, les champs de blé et les vergers restants seront davantage soumis au stress de la sécheresse en raison de l'augmentation progressive des températures et du nombre de vagues de chaleur. Les tempêtes de sable devraient elles aussi devenir plus intenses, plus fréquentes et plus dévastatrices, et risquent de ronger les façades en grès des tombes et des temples de Pétra. En attendant, les tempêtes de sable et les remarquables changements de température entre la nuit et le jour fissurent et effritent déjà les structures en grès.

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    Taher Falahat et Victoria Herrmann, spécialiste de l’adaptation au climat qui dirige le projet « Préserver l’héritage », travaillent à la réparation d’anciennes terrasses sur le flanc d’une colline à l’extérieur de Pétra. Les terrasses et les barrages aidaient les anciens Nabatéens à contrôler les inondations. Ces infrastructures empêchent l’eau de tomber en cascade dans les canyons où reposent les célèbres ruines.

    PHOTOGRAPHIE DE Michael Snyder

    Dans d’autres régions du monde, l’élévation du niveau de la mer, la sécheresse, les inondations et d’autres catastrophes menacent les sites culturels d’une manière que les scientifiques commencent à peine à appréhender. « La sécheresse, les températures et les inondations vont s’intensifier », explique Salma Sabour, ingénieure en physique et en environnement et directrice scientifique du projet « Préserver les héritages ». « Ce que nous ne pouvons pas trouver dans la science, c’est le risque tel qu’il est perçu par les communautés et la façon dont elles peuvent y répondre. »

    Les travaux menés à Pétra constituent une sorte de projet pilote visant à montrer comment notre façon de réagir et de nous adapter au changement climatique peuvent faire une grande différence pour le patrimoine. Dans un rapport publié le 26 avril, l’équipe du projet « Préserver les héritages » estime que les risques encourus par Pétra au cours des prochaines décennies sont modérés, « non pas parce que le danger n’existe pas, précise Sabour, mais parce que la communauté locale et les autorités ont exploré des moyens créatifs de s’adapter et ont formé des personnes pour répondre à ce danger ».

     

    S’ADAPTER GRÂCE À LA « SAGESSE NABATÉENNE » 

    Les autorités responsables de la gestion de Pétra et de ses environs ont mis en place des programmes de formation complets et des exercices d’évacuation pour que le personnel du parc soit prêt à faire face aux inondations. Un système d’alerte numérique suit les précipitations et déclenche une alarme lorsque les conditions sont favorables aux inondations.

    Lors des inondations qui ont frappé le site fin 2022, cette préparation a porté ses fruits : 1 700 touristes et membres du personnel ont été évacués de Pétra en quelques heures, sans qu’aucun blessé ne soit à déplorer.

    Les leçons du passé sont également utilisées pour s’adapter aux futures conditions extrêmes qui devraient frapper Pétra. « Le site est physiquement empreint d’une sagesse ancestrale », explique Herrmann. « Combiné à des solutions modernes, le système nabatéen de gestion de l’eau présente le plus grand potentiel pour sauver Pétra des crues éclairs. »

    Ces trois dernières années, Falahat a travaillé de concert avec des membres de la communauté locale pour réparer et restaurer l'œuvre des Nabatéens, en nettoyant et en réparant les anciens barrages et terrasses. Cette tâche qui doit être répété chaque année afin d’enlever la boue et les pierres accumulées pendant la saison des pluies hivernale, crée des emplois tout en contribuant à la sauvegarde du site.

    Ce projet a permis à Falahat de mieux apprécier le travail des Nabatéens. « Aujourd’hui, je suis passionné par les terrasses nabatéennes », dit-il en riant. « Les Nabatéens étaient des génies de la collecte de l’eau. En marchant dans leurs pas, nous pouvons résoudre ce problème. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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