Notre univers aurait-il été créé par un trou noir ?

Einstein pensait que les trous noirs n’existaient pas. Ils sont en réalité des milliards. Tout au fond des trous noirs, certains physiciens cherchent aujourd’hui l’instant d’avant le Big Bang.

De Michael Finkel
Publication 2 oct. 2020, 14:00 CEST

Notre étoile, le Soleil, mourra un jour d’une mort paisible. Sa masse est très moyenne comparée à celle des autres étoiles. Dans environ 5 milliards d’années, il aura épuisé les réserves d’hydrogène qui lui fournissent son énergie.

Alors ses couches extérieures s’échapperont et son cœur finira par se comprimer pour devenir ce qu’on appelle une « naine blanche ».

Pour une étoile dix fois plus grosse que le Soleil, la mort est bien plus terrible. Les couches extérieures sont éjectées dans l’espace lors d’une explosion qui génère durant plusieurs semaines l’un des objets les plus brillants de l’Univers – une supernova.

Pendant ce temps, le cœur, comprimé par la gravité, s’effondre en une étoile à neutrons, un globe en rotation d’une vingtaine de kilomètres de diamètre. Un fragment d’étoile à neutrons de la taille d’un carré de sucre pèserait 1 milliard de tonnes sur la Terre.

L’attraction gravitationnelle d’une étoile à neutrons est si forte que, si on faisait tomber une boule de guimauve sur sa surface, l’impact produirait autant d’énergie qu’une bombe atomique.

Et ce n’est rien comparé à l’agonie d’une étoile ayant vingt fois la masse du Soleil. Si une bombe comme celle d’Hiroshima avait explosé à chaque millième de seconde depuis la naissance de l’Univers, l’énergie serait encore très loin de celle libérée lors de l’effondrement d’une étoile géante.

Le cœur de l’étoile implose. Les températures atteignent 55 milliards de degrés. La force écrasante de la gravité est irrésistible. Des blocs de fer plus gros que l’Everest sont quasi instantanément réduits par compression à la taille de grains de sable.

Les atomes sont brisés en électrons, protons et neutrons ; eux-mêmes sont déchiquetés en une bouillie de quarks, leptons et gluons. Et ainsi de suite, de plus en plus minuscule, de plus en plus dense, jusqu’à l’instant où… 

Jusqu’à l’instant où personne ne sait ce qui se passe. Quand il faut expliquer un phénomène d’une telle ampleur, les deux principales théories qui rendent compte du fonctionnement de l’Univers (la relativité générale et la mécanique quantique) semblent aussi utiles que les cadrans de bord d’un avion partant en vrille.

 

L’ÉTOILE EST DEVENUE UN TROU NOIR

Un trou noir constitue le gouffre le plus obscur de l’Univers, du fait de la vitesse requise pour échapper à son attraction gravitationnelle. Pour s’arracher à l’attraction terrestre, il faut atteindre une vitesse d’environ 11 kilomètres par seconde (km/s).

C’est rapide, six fois plus qu’une balle de fusil. Mais les fusées atteignent cette « vitesse de libération » depuis 1959. La vitesse limite dans l’Univers est de 299 792 km/s (la célérité de la lumière).

Or même celle-ci ne suffit pas à vaincre l’attraction d’un trou noir. Du coup, rien de ce qui est dedans ne peut en sortir. Pas même un faisceau lumineux. En outre, certains effets insolites de la gravité extrême font qu’il est impossible d’en scruter l’intérieur.

La ligne de partage entre l’intérieur et l’extérieur d’un trou noir est l’« horizon des événements ». Étoile, planète ou personne : tout ce qui franchit cet horizon disparaît à jamais.

Albert Einstein, l’un des penseurs les plus créatifs de l’histoire de la physique, n’a jamais cru à la réalité des trous noirs. Ses équations en autorisaient l’existence, estimait-il, mais pas la nature.

Ce qui lui paraissait le plus anormal était l’idée que la force gravitationnelle puisse l’emporter sur des forces censément plus puissantes (électromagnétique, nucléaire) et, surtout, fasse disparaître de l’Univers le cœur d’une énorme étoile.

Einstein n’était pas le seul à nourrir ces doutes. Dans la première moitié du XXe siècle, la plupart des physiciens rejetaient l’idée qu’un objet puisse devenir assez dense pour piéger la lumière.

Des savants s’étaient pourtant interrogés sur une telle éventualité dès le XVIIIe siècle. Le philosophe anglais John Michell en avait évoqué l’idée dans un compte-rendu à la Royal Society de Londres en 1783.

Et le mathématicien français Pierre-Simon Laplace avait prédit la justesse de cette hypothèse dans Exposition du système du monde, en 1796. Personne n’appelait encore ces curiosités ultradenses « trous noirs » mais « étoiles gelées », ou « sombres », ou « effondrées », ou encore « singularités de Schwarzschild ».

L’expression « trou noir » apparut pour la première fois en 1967 lors d’une conférence du physicien John Wheeler.

Riche en poussières et abritant des pouponnières d’étoiles, la région centrale de la Voie lactée, observée ...
Riche en poussières et abritant des pouponnières d’étoiles, la région centrale de la Voie lactée, observée ici depuis un télescope d’amateur, traverse notre ciel en diagonale. Derrière ce voile se cache le trou noir supermassif du centre de notre galaxie.
PHOTOGRAPHIE DE Stéphane Guisard, Observatoire européen austral

Les conceptions relatives aux trous noirs prirent un tournant radical vers la même époque. Depuis l’aube de l’humanité, les observations astronomiques se limitaient au spectre de la lumière visible.

Mais, dans les années 1960, l’utilisation des  radiotélescopes et des télescopes à rayons X se développa. Les astronomes collectaient ainsi la lumière dans des longueurs d’onde passant au travers de nuages de poussière interstellaire et susceptibles de révéler la structure interne des galaxies.

Les scientifiques eurent la surprise de découvrir que le bulbe central de la plupart des galaxies, et il y en a plus de 100 milliards dans l’Univers, fourmillent d’étoiles, de gaz et de poussières.

Et, au cœur même de ce bulbe, dans presque chaque galaxie observée, y compris dans notre propre Voie lactée, se trouve un objet si massif et si compact, à l’attraction gravitationnelle si intense que, de quelque façon qu’on le mesure, une seule explication est possible : il s’agit d’un trou noir.

Ces trous sont immenses. Celui qui est au centre de la Voie lactée est 4,3 millions de fois plus massif que le Soleil. Andromède, une galaxie voisine de la nôtre, abrite un trou noir d’une masse équivalant à 100 millions de Soleils.

D’autres galaxies pourraient contenir des trous noirs correspondant à 1 milliard, voire à 10 milliards, de Soleils. Ces trous n’étaient pas si massifs à la naissance. Ils ont gagné en poids, comme lorsque nous mangeons. Les spécialistes pensent que de petits trous vagabondent aussi dans les faubourgs galactiques.

En une génération, les trous noirs sont passés de l’état de sujet de plaisanterie à celui d’objets largement reconnus.  

Personne n’a jamais vu de trou noir. Et nul n’en verra jamais : il n’y a rien à voir. C’est juste un domaine invisible dans l’espace.

La présence d’un trou noir se déduit de l’effet qu’il exerce sur son environnement, tout comme vous avez de bonnes raisons de penser qu’il souffle un vent violent quoique invisible lorsque vous regardez par la fenêtre et voyez tous les arbres ployés dans le même sens.

Dans quelle mesure sommes-nous certains de la réalité des trous noirs ? Si vous demandez aux spécialistes, ils vous répondent invariablement que nous pouvons l’être à 99,9 %.

S’il n’y a pas de trous noirs au centre des galaxies, alors il doit s’y trouver quelque chose d’encore plus fou. Mais les derniers doutes pourraient être levés d’ici quelques mois. Car les astronomes projettent d’observer un trou noir pendant qu’il mange.

Situé à 26 000 années-lumière de la Terre, le trou noir au centre de la Voie lactée s’appelle Sagittarius A*, abrégé en « Sgr A* » (le A* se prononce « A étoile »). C’est un trou noir tranquille, qui se contente de grignoter.

D’autres galaxies abritent des Gargantuas dévoreurs de planètes et broyeurs d’étoiles, les quasars. Actuellement Sgr A* attire à lui un nuage de gaz nommé G2, à une vitesse d’environ 3 000 km/s. Dans moins d’un an, G2 approchera de l’horizon des événements.

Des radiotélescopes du monde entier seront alors braqués sur Sgr A*, dont ceux de l’Institut de radioastronomie millimétrique, basé à Grenoble.

En les synchronisant, on espère réaliser un observatoire de la taille de notre planète, l’Event Horizon Telescope, pour obtenir une image d’un trou noir actif.

Ce n’est pas le trou lui-même qu’on verra, mais, vraisemblablement, ce que l’on appelle son « disque d’accrétion », c’est-à-dire un anneau de débris dessinant les contours du trou (l’équivalent de miettes sur une table après un bon repas). Ce qui devrait dissiper les derniers doutes quant à la réalité des trous noirs.

L’enjeu n’est pas seulement l’existence des trous noirs mais la compréhension de la structure même de l’Univers. Les matériaux qui se précipitent vers les trous noirs produisent beaucoup de chaleur par frottement.

Par ailleurs, les trous noirs tournent aussi sur eux-mêmes. Fondamentalement, ce sont des tourbillons spatiaux.

La combinaison du frottement et de la rotation fait qu’une quantité significative de la matière tombant vers le trou noir (parfois plus de 90 %) ne franchit pas l’horizon des événements mais est éjectée vers l’extérieur, telles des étincelles jaillissant d’une affûteuse.

Cette matière chauffée se canalise en jets de particules qui foncent dans l’espace, s’éloignant du trou à une vitesse proche de celle de la lumière. Ces jets peuvent s’étendre sur des millions d’années-lumière et traverser toute une galaxie.

Autrement dit, les trous noirs font tourner autour d’eux de vieilles étoiles du centre d’une galaxie et expulsent les gaz brûlants générés par ce processus aux confins de celle-ci.

Puis ces gaz refroidissent, se condensent pour former au bout du compte de nouvelles étoiles, rafraîchissant alors la galaxie comme une fontaine de jouvence.

Éclaircissons deux choses à propos des trous noirs. La première est l’idée que les trous noirs risquent de nous aspirer tous. Un trou noir ne fait pas plus le vide qu’une étoile normale ; il possède simplement une attraction extraordinaire par rapport à sa taille.

 

SI NOTRE SOLEIL DEVENAIT UN TROU NOIR...

Si notre Soleil devenait soudain un trou noir (ça n’arrivera jamais, mais faisons comme si), il conserverait la même masse ; cependant, son diamètre rétrécirait de 1 392 000 km à moins de 6,5 km.

La Terre serait obscure et froide, mais son orbite autour du Soleil ne changerait pas. Ce trou noir solaire exercerait la même attraction gravitationnelle sur notre planète que l’astre que nous connaissons aujourd’hui. Bref, les trous noirs n’aspirent pas.

Seconde chose, plus difficile à saisir : les trous noirs entretiennent d’étranges rapports avec le temps. Or ce dernier correspond lui-même à un concept inhabituel. Vous connaissez sans doute l’expression : « Le temps est relatif. » Cela signifie que le temps ne passe pas à la même vitesse pour tout le monde.

Einstein a découvert que le temps est sensible à la gravité. Placez des horloges extrêmement précises à chaque étage d’un gratte-ciel : elles feront toutes tic-tac à des vitesses différentes.

Les horloges des étages inférieurs (plus proches du centre de la Terre, où la gravité est plus forte) seront un rien plus lentes que celles des étages supérieurs. On ne remarque jamais ces écarts tant ils sont faibles – un milliardième de seconde en plus ici ou là.

Les horloges embarquées sur les satellites du système global de localisation (GPS) sont réglées de façon à être légèrement plus lentes que celles situées à la surface de la Terre. Sinon, les GPS ne seraient pas aussi précis.

Avec leur incroyable attraction gravitationnelle, les trous noirs sont fondamentalement des machines à explorer le temps. Montez à bord d’une fusée et foncez vers Sgr A* ; approchez-vous tout près de son horizon des événements – attention, ne le franchissez pas.

Pour chaque minute que vous passerez là-bas, un millénaire s’écoulera sur la Terre. C’est difficile à croire, mais c’est ce qui se produirait. La gravitation déforme le temps.

Et si vous franchissiez l’horizon des événements, que se passerait-il ? Une personne regardant de l’extérieur ne vous verrait pas y tomber dedans. Vous sembleriez figé au bord du trou. Figé pour un temps infini.

À strictement parler, le terme « infini » est impropre. Rien n’est éternel, pas même les trous noirs. Le physicien anglais Stephen Hawking a prouvé que les trous noirs fuient (on parle de «rayonnement de Hawking ») et que, si on leur en laisse le temps – des billions et des billions d’années –, ils s’évaporeront totalement.

Un observateur extérieur ne vous verrait jamais disparaître dans un trou noir, mais que vous arriverait-il ? Sgr A* est si vaste que son horizon des événements est distant de son centre d’environ 13 millions de kilomètres.

À quel moment le traverse t-on ? Peut-être existe-t-il ce qu’on appelle un « mur de feu » et qu’en atteignant l’horizon des événements, vous seriez instantanément consumé.

La relativité générale prédit toutefois autre chose quand on traverse l’horizon des événements : il ne se passe rien. Vous le franchiriez, sans vous rendre compte que vous seriez désormais perdu pour le reste de l’Univers.

On dit souvent que les trous noirs sont infiniment profonds. Faux. Ils ont un fond. Mais vous ne vivriez pas assez longtemps pour l’atteindre. La gravité augmenterait au cours de votre chute.

L’attraction sur vos pieds, si vous tombiez les pieds devant, serait tellement plus forte que celle exercée sur votre tête que vous seriez étiré jusqu’à être déchiqueté. Des physiciens parlent de « spaghettification ». Mais des bouts de votre corps parviendraient au fond.

Or le centre d’un trou noir recèle une énigme appelée « singularité ». Comprendre une singularité serait l’une des plus grandes avancées scientifiques de tous les temps.

Il faudrait d’abord inventer une nouvelle théorie dépassant à la fois la relativité générale d’Einstein (qui rend compte des mouvements des étoiles et des galaxies) et la mécanique quantique (qui prédit le comportement des particules microscopiques).

Ces deux théories offrent de bonnes approximations de la réalité, mais aucune ne fonctionne dans des configurations extrêmes comme l’intérieur d’un trou noir.

Les singularités, à ce qu’on suppose, sont minuscules. Agrandissez-en une un billion de billion de fois, et le plus puissant microscope du monde ne parviendra aucunement à la voir. Pourtant, au moins au sens mathématique, quelque chose est là, qui n’est pas seulement petit mais dont la masse dépasse l’imagination.

La grande majorité des physiciens affirme que oui, les trous noirs existent, sauf qu’ils sont impénétrables ; nous ne saurons jamais ce que recèle une singularité. Mais des spécialistes de physique théorique sont de plus en plus nombreux, ces dernières années, à admettre que le cosmos ne se résume pas à notre Univers.

Nous vivrions plutôt dans un « multivers » – une multitude d’univers, chacun étant une bulle distincte dans le gruyère du réel. Tout cela est très spéculatif. Mais il est possible que, pour donner naissance à un nouvel univers, il faille d’abord prendre un morceau de la matière d’un univers existant, le compacter et le condamner.

Cela ne vous rappelle rien ? Après tout, nous savons bien ce qu’il est advenu d’au moins une singularité. Notre Univers est apparu voilà 13,8 milliards d’années d’un big bang cataclysmique. Juste avant, tout était comprimé dans un grain infinitésimal et extraordinairement dense – une singularité.

Les indices relatifs à l’intérieur d’un trou noir sont omniprésents. Regardez à gauche, regardez à droite. Pincez-vous. Un trou noir a pu engendrer un autre univers. Il se pourrait même que nous y vivions.

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