Morts mystérieuses à Pompéi : le crime de la villa Ménandre
Que s’est-il passé dans cette maison lors de l’éruption du Vésuve, en 79 après J.-C. ? Qui est venu y dérober les trésors qu’elle renfermait ? Les archéologues tentent d’élucider une énigme qui remonte à l’Antiquité.
Cette énigme pourrait être considérée comme résolue. Il y a dix-huit cadavres et nous connaissons leur meurtrier. Son nom : le Vésuve. Il a tué la plupart de ses victimes en une seule journée, en 79 après J.-C.
Il a enfoui les corps sous des cendres brûlantes, des roches en fusion et des masses d’air chaud pouvant atteindre 800 °C. Mais certains des dix-huit défunts ne sont morts que des semaines, voire des mois plus tard. Nous n’en savons pas plus sur ce qui a pu se passer, cette année-là, dans la casa del Menandro – la maison de Ménandre.
En ce 24 octobre 79, l’activité commerciale anime les petites rues de la cité, blottie dans le golfe de Naples. Dans le port, à l’embouchure du Sarno, les ouvriers déchargent les bateaux provenant de Nola, Acerrae et Nuceria, qui convoient les marchandises issues de l’intérieur du pays et ayant transité sur de plus gros navires, conçus pour la haute mer.
Des bassines remplies d’une sauce à base de poisson, le garum, fument au soleil. De temps à autre résonnent des coups de marteaux venus d’une villa voisine: des travaux de réparation après les dégâts provoqués par le grand séisme, dix-sept ans plus tôt. Le quotidien d’une ville prospère et de moyenne importance du temps de la Rome antique.
Le cauchemar commence vers 13 heures. La terre gronde. Quasiment personne ne lève les yeux – ici, on est habitué aux tremblements de terre. Mais si l’on porte malgré tout son regard vers le Vésuve, on voit monter une colonne de fumée.
Pline le Jeune écrira plus tard dans une lettre à Tacite : « Un nuage d’une taille et d’un aspect inhabituel. […] Sa forme rappelait celle d’un arbre et, plus exactement, celle d’un pin. Il se dressait comme un tronc gigantesque et s’élargissait dans les airs en rameaux. »
La cendre puis les roches en fusion se mettent à tomber de façon plus abondante. Les habitants de Pompéi se rendent alors compte qu’ils doivent fuir : soit très loin de là, soit en se réfugiant dans les maisons. Quinze personnes trouvent ainsi refuge dans la maison de Ménandre.
Le lendemain, Pompéi a cessé d’exister, ensevelie sous 3,3 km3 de cendres et de lave – comme Herculanum, Boscoreale, Stabies et Oplontis. Des milliers de gens y ont péri.
Les questions que pose aujourd’hui Jens-Arne Dickmann, archéologue à l’université de Heidelberg, sont celles d’un véritable enquêteur criminel. Il mène depuis de nombreuses années des recherches à Pompéi et a consacré sa thèse à l’habitat patricien dans cette ville de province romaine.
Le cas qui l’intéresse désormais est celui de la maison de Ménandre : que s’est-il passé, voilà près de deux millénaires, dans cette villa cossue ? Qui étaient les individus qui y ont été ensevelis ? Que leur est-il arrivé ? À quel moment ? Et, de façon plus générale, comment les gens vivaient-ils là ?
Dickmann se tourne vers moi : « Pendant longtemps, les chercheurs se sont avant tout intéressés aux aspects relatifs à l’histoire de l’art. Désormais, nous nous efforçons de reconstruire les formes de vie spécifiques d’une culture passée. »
La maison de Ménandre constitue pour lui une sorte de cold case : une affaire criminelle non élucidée qu’il voudrait essayer de résoudre en reprenant les indices.
Pompéi sombre peu à peu dans l’oubli au cours des siècles qui suivent l’éruption dévastatrice. Ce n’est qu’au début du XVIIIe siècle que l’on découvre ses ruines. Ainsi que ses trésors : des monnaies, des bijoux, des fresques. Les rois de Naples sont enthousiasmés.
Sans prendre la moindre précaution, Charles de Bourbon puis son fils, Ferdinand IV, font procéder à des fouilles pour récupérer les objets de valeur.
L’intérêt pour l’Antiquité connaît alors un essor dans les milieux cultivés européens. Mozart visite Pompéi en 1770, Goethe en 1787. Ce dernier déclare en découvrant les ruines que l’on ne peut être que « stupéfait par le côté exigu et peu étendu » de cette ville.
Il faudra attendre encore un siècle avant que des travaux scientifiques ne soient entrepris de façon systématique. À partir de 1863, Giuseppe Fiorelli, directeur du Musée national de Naples et directeur des fouilles à Pompéi et à Herculanum, procède au déblaiement des maisons par leur partie supérieure. Il fait aussi réaliser des moulages en plâtre des victimes.
Mais un ensemble reste à l’écart des fouilles, dans l’îlot (insula) I-10 : la maison de Ménandre – qui doit son nom à l’une des fresques représentant le poète comique grec Ménandre. Ses vestiges ne sont mis au jour qu’à partir des années 1920, par l’archéologue Amedeo Maiuri.
Celui-ci y découvre des occupants, mais aussi un véritable trésor d’argenterie. Lequel reste un mystère à l’heure actuelle. Ce nouveau directeur des fouilles fait dégager, à grand rythme, maison après maison. Ses travaux seront les derniers d’une telle ampleur. Depuis cinquante ans ne sont plus réalisées que des fouilles assez modestes.
D’autres scientifiques s’intéressent aussi à la maison de Ménandre, comme l’Anglais Roger Ling dans les années 1970, puis l’archéologue italienne Grete Stefani. Mais eux non plus ne parviennent pas à révéler l’identité des victimes retrouvées dans cette villa.
C’est un cas épineux. Dans les années 1920, les fouilleurs de l’équipe d’Amedeo Maiuri y ont dénombré dix-huit corps : dix dans le couloir, entre les pièces nobles et le logement des esclaves, trois dans l’écurie, deux dans la chambre de l’intendant du domaine.
Qui étaient ces morts ? Des membres de cette riche famille de propriétaires ou bien leurs esclaves logés tout à côté afin d’être toujours disponibles ? Surtout, derrière l’entrée d’une salle à manger, on a retrouvé trois autres corps, à côté de pics et de pioches. Mystère !
Pourquoi y avait-il des outils auprès de ces cadavres ? Ces gens étaient-ils des habitants de la maison ? Et, sinon, qu’y faisaient-ils ? S’agissait- il de pillards à la recherche de trésors dont parlent les sources antiques ?
« Savaient-ils qu’il y avait de l’argenterie dans la cave de cette demeure ? », s’interroge Dickmann. Pour élucider ces questions, il s’appuie sur les rapports des fouilles et les publications de collègues. Son principal outil est son expérience. Son savoir-faire, c’est sa capacité à recombiner les connaissances précédentes avec ses propres observations.
La maison de Ménandre se situe non loin du Grand Théâtre de Pompéi. Dans l’une des vitrines de la pièce 19 sont exposés les restes des dix premiers corps. Ils furent calcinés et soudés ensemble lors de l’éruption du Vésuve.
Maiuri les a laissés d’un seul bloc. Des vertèbres, des côtes et l’os d’une jambe dépassent de cette masse dure. À côté, le crâne d’un enfant. Trois de ces personnes avaient moins de 5 ans.
Un autre corps est séparé de ceux présents dans cette vitrine. Il a été retrouvé dans son lit, lors des fouilles menées par Maiuri. Ses appartements étaient à part, à une extrémité du bâtiment réservé aux esclaves.
Était-ce l’intendant du domaine ? Les murs de sa chambre, recouverts d’un enduit blanc, sont décorés de peintures représentant des paysages. « Sur le sol, au pied du lit, les membres de l’équipe ont découvert le corps recroquevillé d’une petite fille », précise Dickmann. Était-ce sa fille ? Une jeune esclave ?
Un test génétique pourrait révéler si ces deux personnes avaient un lien de parenté, mais cette analyse serait coûteuse. On ignore aussi le nom de cette enfant. Mais celui de l’homme n’est peut-être pas une énigme.
Au seuil de ses appartements, les archéologues ont mis au jour un sceau portant l’inscription : « Q POPPAEI EROTIS. » Éros était-il un ancien esclave de Quintus Poppaeus et qui, une fois affranchi, aurait été chargé de l’administration du domaine ? Peut-on alors supposer que Quintus Poppaeus était le propriétaire de cette demeure ?
Ce seul et unique sceau est un indice trop faible pour étayer une telle affirmation, souligne Dickmann. Appartenait-il seulement à l’intendant ? Avait-il été confectionné à son usage ou l’intendant était-il entré en sa possession d’une autre façon ?
Quoi qu’il en soit, on a aussi découvert dans ses appartements un seau en bronze, déjà vieux de plus de trois siècles à l’époque et soigneusement réparé – une pièce antique remontant sans doute à plusieurs générations.
Au pied du lit d’Éros se trouvait une bourse en cuir contenant 560 sesterces en pièces. Bien plus que ce que gagnait un ouvrier en une journée. À quelles fins l’intendant avait-il tant économisé et comment dépensait-il son argent ?
À l’entrée de ses appartements, on lit sur une inscription : « Nucerea(e) quaeres ad Porta(m) Romana(m) in Vico Venerio, Novelliam Primigeniam » (« Demande Novellia Primigenia, à Nocera, près de la Porta Romana, dans le quartier de Vénus »). À Pompéi, beaucoup de prostituées se faisaient appeler « Primigenia » par leurs clients.
Les appartements de l’intendant permettent de déduire certaines choses à propos du propriétaire de la maison de Ménandre. Jens-Arne Dickmann me montre un mur nu : « Dans le rapport de fouilles de Maiuri, on peut lire que quinze couteaux pour tailler la vigne et les arbres étaient accrochés là. »
Ainsi qu’une paire de ciseaux pour la tonte des moutons. «Le nombre de ces outils laisse à penser que l’intendant les distribuait aux esclaves quand ces derniers partaient travailler. » Le maître de maison devait posséder quantité de terres aux alentours de Pompéi.
La richesse de cette cité provenait d’ailleurs de la terre. Les fertiles sols volcaniques étaient propices à la culture de la vigne ; et la mer était poissonneuse. Même les pierres de la région rapportaient de l’argent aux gens du cru : elles faisaient les meilleures meules de moulin à huile de tout le pays.
Sur les plans politique et culturel, l’importance de Pompéi restait toutefois moindre. La cité doit sa célébrité tardive au fait d’être restée dans l’état même où elle se trouvait au moment de la catastrophe. Elle nous offre ainsi un aperçu direct de la vie des Romains de cette époque dans une petite ville de province.
Tout laisse à penser que la prodigalité des terres alentour a fait la fortune du propriétaire de la maison de Ménandre. L’aile noble était composée de vastes pièces et de bains chauffés à partir du quartier des esclaves.
De là, un escalier menait à la cave. Et c’est dans celle-ci que l’équipe de Maiuri a fait une découverte sensationnelle, les 4 et 5 décembre 1930 : 118 pièces d’argenterie pour 24 kg au total, enveloppées avec soin dans de la laine et de la toile, et emballées dans une caisse.
Des plats, des assiettes, des gobelets, des cuillers : tout ce qu’il fallait pour la table d’un Romain prospère. Ce trésor nous renseigne aussi sur la vie du maître de maison.
J’accompagne Dickmann, quelques pièces plus loin, dans le triclinium. Chaque riche demeure patricienne possédait plusieurs de ces salles à manger. Trois banquettes étaient disposées en forme de fer à cheval autour de la table. Il y avait là assez de place pour le maître de maison et huit convives.
L’archéologue me montre des marques sur le sol en mosaïque. « On voit très bien ici où se trouvaient les meubles. » Les Romains aimaient les festins. Suivant l’occasion et la saison, suivant l’humeur et l’importance des convives, le maître de maison choisissait le triclinium adéquat.
La salle à manger la plus spacieuse porte dorénavant un nom peu poétique – pièce 18. Mais il est facile d’en reconnaître l’importance : 87,5 m2 et 8 m de hauteur sous plafond (reconstitué à l’époque moderne), avec des murs dans les teintes jaunes et ornés de motifs dionysiaques – masques, satyres, nymphes.
Juste à côté, la pièce 19, plus petite, est décorée de façon similaire. C’est ici qu’est installée la vitrine avec les morts. La pièce 15, de l’autre côté, servait également de salle à manger. Ces trois pièces donnent sur le péristyle.
L’importance du banquet était telle dans la société romaine que la maison était construite autour de cet événement. Aucune colonne ne gênait le regard vers l’extérieur. «Ainsi, les invités pouvaient pleinement savourer la vue sur les plantes et les fontaines », explique Dickmann.
Le poète romain Martial (40 à 102/104 apr. J.-C.) décrit ce qui garnissait l’assiette en de telles occasions. On servait de la laitue, du poireau et du thon en hors-d’œuvre, puis des saucisses, du choux, des haricots et du lard, enfin du raisin, des poires et des châtaignes.
L’équipe d’Amedeo Maiuri a trouvé, au milieu de la vaisselle en argent, un trésor dans le trésor : un petit coffret renfermant plusieurs bijoux en or, ainsi que des monnaies pour une valeur de 1 432 sesterces – sans doute les économies du foyer. Certains bracelets du coffret sont des objets clinquants et peu raffinés, telles qu’ils étaient en vogue au Ier siècle – on affichait alors volontiers ses richesses.
Demeure parmi les plus cossues de la ville, la maison de Ménandre n’était cependant pas exempte de défauts. « Sa situation, par exemple, selon Dickmann. Elle ne donne pas sur la rue principale de la ville, la Via dell’Abbondanza, mais se situe juste derrière, un peu en retrait, dans une rue de moindre importance. »
De plus, en l’an 79, c’était déjà une maison assez ancienne. La partie avant, qui représente le cœur de cette propriété, date sans doute du IIe siècle av. J.-C. D’où la taille réduite de l’atrium.
Les maisons plus récentes de Pompéi sont des édifices plus somptueux. Le message adressé au visiteur qui pénétrait dans ce genre de demeures était clair : j’ai les moyens de m’offrir autant de place. « Bien sûr, le maître de la maison de Ménandre ne voulait pas être en reste », assure Dickmann.
Il promène son regard sur deux colonnes surdimensionnées. Érigées au seuil d’une pièce d’habitation donnant sur la cour intérieure, elles font paraître la pièce plus grande qu’elle ne l’est. « D’après la taille et l’aménagement de la maison, son propriétaire devait compter parmi les citoyens les plus fortunés de la ville. »
Qui étaient donc ces citoyens fortunés de Pompéi ? Nous en connaissons certains : ceux qui tenaient entre leurs mains les rênes économiques et politiques de la cité. On distingue encore leurs noms sur les façades de nombreuses maisons, tracés en lettres rouges en vue des élections au poste d’édile (fonctionnaire municipal) ou de duumvir (président du conseil municipal).
Souvent, des corps de métiers tout entiers s’engageaient pour leur candidat. Les orfèvres proposaient Cuspius Pansa au poste d’édile et les vendeurs de pain soutenaient Trebius Valens.
L’archéologue Roger Ling estime que le propriétaire de la maison de Ménandre jouait un rôle dans la vie politique : « Je présume qu’il était au moins décurion – un membre du conseil municipal élu à vie. » Les décurions étaient des hommes très en vue. Ils veillaient à la sécurité et à l’organisation des divertissements.
Ils finançaient de leurs propres deniers des jeux et des fêtes. « Peut-être même le maître de la maison de Ménandre a-t-il été président du conseil. » Ses devoirs auraient alors exigé qu’il reçoive des citoyens dans ses appartements privés. C’est probablement à cela qu’ont servi les pièces richement décorées de cette maison.
Roger Ling a également examiné la piste qui mène à Quintus Poppaeus, dont le nom figure sur le sceau retrouvé dans l’appartement de l’intendant. Des documents juridiques de l’époque mentionnent un Q. Poppaeus, édile à Pompéi en l’an 39/40 apr. J.-C. – soit quarante ans avant l’éruption du Vésuve. On ne sait cependant pas avec certitude si cet homme était encore en vie au moment de la catastrophe.
Roger Ling a trouvé encore deux autres noms, mais sans indication de rang ou de fonction. Il s’agissait sans doute d’esclaves affranchis. Ceux-ci ne pouvaient donc pas être les propriétaires d’une demeure aussi somptueuse.
Une première énigme réside dans l’identité du maître et des occupants de la maison de Ménandre ; les trois victimes près des pioches et des pelles en constituent une seconde, plus grande encore. Agenouillé sur le sol de l’une des pièces, Jens-Arne Dickmann mesure un trou dans le mur à l’aide d’un mètre pliant.
On tombe sur ces ouvertures partout à Pompéi : des brèches ovales percées dans les murs, tout juste assez larges pour permettre à un homme de s’y glisser. C’est par là qu’entraient et sortaient les pillards, se frayant un chemin à travers les cendres et les lapilli – des fragments de lave et des scories.
« Quelque temps après l’éruption du volcan, une commission créée tout exprès à Rome a opéré le transfert de statues et de colonnes, de poutres et de parements, précise Dickmann tout en jetant un œil par le trou dans la pièce voisine. Les auteurs antiques Dion Cassius et Suétone nous renseignent même sur les coupables : les curatores Campaniae restituendae, nommés parmi les sénateurs et les anciens magistrats, qui avaient pour tâche d’organiser la reconstruction des villes encore habitables autour de la région du Vésuve. »
C’est pourquoi les fouilles entreprises durant la « décennie française », au début du XIXe siècle, ont mis au jour un forum et un théâtre presque vides. Aucune statue de notable, aucune élégante façade en marbre.
Les salles et les temples avaient été dépouillés jusqu’aux fondations. Les auxiliaires des curatores Campaniae restituendae avaient démonté tout ce qui pouvait être recyclé ailleurs. Le marbre était un précieux matériau de construction.
Les statues elles aussi pouvaient resservir : un citoyen en toge ne se distinguait pas d’un autre. Une fois affublé d’une nouvelle tête, un notable de Pompéi pouvait ainsi devenir en un tournemain un citoyen prestigieux de n’importe quelle autre cité.
Jens-Arne Dickmann en est certain : « Tôt ou tard, nous pourrons prouver qu’il y a à Pouzolles (la Puteoli antique) ou à Nocera (Nuceria) des éléments de construction provenant de Pompéi. »
Les véritables richesses se trouvaient toutefois dans les maisons privées. Bien sûr, Pompéi était méconnaissable, ensevelie par l’éruption sous plusieurs mètres de cendres et de lapilli. « Mais ceux qui la connaissaient pouvaient encore s’y orienter », affirme Dickmann.
Il devait être possible de distinguer les édifices les plus élevés grâce aux monticules qu’ils formaient. Et les survivants ont très certainement tenté de sauver leurs biens. Mais les ruines attiraient aussi des individus assez louches.
« Certains pillards appartenaient probablement à des bandes organisées assez importantes, avance Dickmann. Au-dessus de l’entrée d’une maison figurait jadis un graffiti : « doummos pertousa ». Quel qu’en ait été l’auteur, ce dernier avait quelques lacunes en grammaire.
En latin correct, il aurait fallu écrire « domus pertusa » (maison percée, autrement dit, qui a déjà été fouillée). D’autres voleurs savaient ainsi qu’ils arrivaient trop tard.
« Ce que je note de particulièrement intéressant, ce sont les fautes de latin, relève Dickmann. On peut imaginer que ce pillard était un esclave, pour qui le latin était une langue étrangère. »
Sa langue maternelle était sans doute le grec. C’est ce qu’indique le « u » du mot « pertusa » prolongé en « ou ».
La tâche des intrus n’était pas difficile, mais très dangereuse. Les matières meubles projetées par le volcan pouvaient s’ébouler à tout moment, les toits s’effondrer et ensevelir les pillards.
Tel est le sort qui a dû frapper les trois individus dont Amedeo Maiuri a découvert les squelettes, avec leurs pioches et leurs pics, au seuil de la pièce 19. Dans son rapport de fouilles, il a consigné avec précision la position des corps : ramassés en boule.
Des chercheurs en ont conclu que ces défunts n’étaient pas des pillards mais bien des habitants de la maison asphyxiés par les gaz toxiques de l’éruption et qui, dans leur agonie, se recroquevillèrent sur eux-mêmes. « Je n’y crois pas, déclare Dickmann. Pour quelle raison ces personnes auraient-elles, à l’instant de leur mort, transporté justement des pics et des pioches ? »
L’un des squelettes est visiblement plus petit que les deux autres : un enfant ou un adolescent accompagnait les voleurs lors de leur expédition. Pour Dickmann, cela est tout à fait logique : « Ils ont emmené des enfants parce que ceux-ci sont moins grands et moins lourds. Ils pouvaient ainsi passer par des ouvertures beaucoup plus étroites et leur poids risquait moins de provoquer des éboulements de gravats. »
L’archéologue passe la tête par l’un des trous et désigne les bords de l’ouverture : « Vous voyez, ce côté-ci est nettement plus large que l’autre. C’est donc d’ici qu’ils ont ouvert le mur à coups de pioches. »
Avec précaution, il passe un doigt tout près d’une brèche : « Et ici, manifestement, ils ont tapé à côté. » En étudiant la direction des coups de pioche et l’enfilade des trous, on peut retracer le cheminement des brigands à travers la maison de Ménandre. Dickmann a relevé trois parcours différents.
Parfois, pourtant, les trous sont si petits que même un enfant n’aurait pas pu s’y glisser. « Ce n’étaient sans doute que des lucarnes permettant de voir rapidement si la pièce de l’autre côté du mur était vide ou bloquée. »
Peut-on deviner grâce à ces ouvertures si les pillards connaissaient les lieux ? « Je suppose qu’ils ne savaient pas ce qu’ils cherchaient ou, à tout le moins, qu’ils ne savaient pas où chercher », explique Dickmann.
Il passe dans la pièce 17 – une arrière-pièce située entre la grande salle à manger 18 et la pièce 15, moins vaste. Il désigne un trou d’observation dans le mur est : « De l’autre côté étaient situées les petites chambres des esclaves, où il n’y avait certainement rien à voler. Quelqu’un qui connaissait la maison l’aurait su. »
Mais ces pillards, à l’évidence, l’ignoraient. Ils ne sont pas arrivés jusqu’à la cave où le trésor est resté pendant près de deux mille ans.
L’affaire de la maison de Ménandre n’est qu’en partie élucidée. Le travail de détective mené par Dickmann nous en apprend un peu plus sur ceux qui ont pénétré dans la villa quelques semaines ou mois après l’éruption et qui y ont perdu la vie. Et nous pouvons formuler des hypothèses sur le propriétaire des lieux.
Mais, quant à savoir qui étaient les autres morts, le mystère persiste. Une énigme que seuls des archéologues du futur sauront résoudre, grâce à de nouveaux indices ou à de nouvelles méthodes scientifiques.