Les mâles évoluent vers plus de puissance physique. Les femelles, elles, voient leur cerveau se développer
Chez de nombreux mammifères, les mâles développent de plus gros attributs physiques, utiles pour se battre et pour faire montre de leur condition physique, tandis que les femelles des mêmes espèces développent de plus gros cerveaux.
Trois jeunes mouflons canadiens se tiennent au bord d’une falaise. Selon une nouvelle recherche, l’évolution donne de plus grandes cornes aux mammifères mâles, notamment aux mouflons canadiens, et de plus gros cerveaux aux femelles.
Y a-t-il une scène plus emblématique des documentaires animaliers qu'un bélier aux énormes cornes incurvées, pouvant peser jusqu'à quinze kilos chacune, s’abattant sur un rival ?
Si vous fermez les yeux, pouvez-vous imaginer le cliquetis des bois d’un chevreuil s’entremêlant à ceux d’un autre dans un bois sombre ? Avez-vous déjà éprouvé de l'admiration en voyant les bois gigantesques de deux mètres de long d'un élan mâle adulte ?
Il faut dire que l'humain est fasciné par les animaux lourdement armés depuis la nuit des temps. La preuve en est : des cornes de buffle domestique (Bubalus bubalis) et des défenses de sanglier, gravées dans les parois de grottes il y a respectivement 44 000 et 45 500 ans, figurent parmi les œuvres d'art les plus anciennes jamais découvertes.
Cependant, en observant les bois, les cornes et les défenses des mâles, nous manquons peut-être de voir les atouts du sexe opposé.
Une étude publiée récemment dans la revue Behavioral Ecology and Sociobiology apporte pour la première fois la preuve que, tandis que les mammifères mâles développent de plus gros attributs physiques, utiles pour se battre et pour faire montre de leur condition physique, les femelles des mêmes espèces développent des cerveaux plus gros que ce que nous ne pensions.
« À mes yeux, les femelles représentent un aspect très important de la biologie qui est souvent négligé », explique Nicole Lopez, doctorante à l'université du Montana et autrice principale de l'étude. « Elle apparaissent généralement plus ternes, sans intérêt, et moins évoluées [que les mâles]. »
Des springboks (Antidorcas marsupialis) dans le parc transfrontalier de Kgalagadi, qui chevauche la frontière entre le Botswana et l'Afrique du Sud. Ces animaux à cornes faisaient partie des espèces étudiées dans le cadre de la recherche.
Cependant, si l’on a toujours observé ce qu’il se passait au sommet de la tête des mâles, quelque chose d'aussi remarquable pourrait bien avoir lieu dans celle des femelles. Quelque chose qui pourrait remettre en cause ce que nous pensions du degré d'autonomie des femelles dans le choix d'un partenaire.
LES MUSCLES OU LE CERVEAU
Bonne nouvelle pour tous les mâles aux gros muscles : l'étude ne suggère pas que de plus grands attributs de combat se traduisent nécessairement par une intelligence moindre.
« Ce n'est pas parce que les mâles investissent davantage dans leurs attributs de défense qu'ils deviennent stupides », précise Ted Stankowich, spécialiste de l'écologie comportementale évolutive à l'université d'État de Californie à Long Beach et auteur principal de l'étude.
Au contraire, la taille du cerveau des mâles reste la même, et ce alors que l'évolution semble leur réserver des couvre-chefs de plus en plus imposants.
Parallèlement, les femelles semblent investir des ressources dans la taille de leur cerveau. Bien qu'il ne soit pas certain que ces deux caractéristiques soient directement liées, ce qui nous permettrait d’en savoir beaucoup plus, l'étude montre qu'elles sont effectivement corrélées.
Afin de recueillir des données sur le lien entre ces traits, Stankowich, Lopez et Jonathon Moore Tupas, coauteur de l'étude, se sont rendus dans sept musées où ils ont mesuré le crâne, le volume du cerveau et la taille des moyens de défenses de 413 spécimens de 29 espèces d'ongulés allant du cerf, du caribou et de l'élan à la chèvre, au mouton et à l'antilope.
Un mouflon canadien (Ovis canadensis) pousse légèrement un jeune bêlier.
Des mouflons canadiens mâles s'affrontent au sommet d'une falaise. Selon les chercheurs, notre fascination culturelle pour la manière dont les mâles utilisent leurs cornes et leurs bois comme armes a éclipsé des caractéristiques biologiques tout aussi fascinantes chez les femelles.
« Nous avons mis des années à étudier ces 400 spécimens », raconte Lopez.
Aujourd’hui, les scientifiques cherchent toujours à savoir pourquoi les femelles semblent augmenter leur volume de matière grise proportionnellement à ce que font les mâles avec leurs outils de combat.
« Nous pensons que le fait que les mâles investissent davantage dans leurs armes leur permet d'émettre des signaux plus importants destinés aux femelles. Les systèmes sociaux deviennent peut-être également plus complexes à ce moment-là », suggère Stankowich. « Peut-être les femelles ont-elles besoin d'un plus gros cerveau pour savoir avec qui elles doivent s'accoupler et comment naviguer dans leur système social. »
Ummat Somjee, biologiste évolutionniste à l’université du Texas à Austin et pour le laboratoire de la recherche tropicale du Smithsonian Institue, précise que cette étude présente diverses limites. Ses auteurs écrivent par exemple que la taille du cerveau n’a pas forcément d’incidence sur l’intelligence. Pour tirer cette conclusion, il faudrait récolter des données comportementales concernant chaque espèce étudiée, et celles-ci sont difficiles à réunir.
Un gnou saute dans la rivière Mara en Afrique de l'Est.
De la même façon, bien qu’il félicite les auteurs de l’étude d’avoir examiné tant de spécimens, vingt-neuf espèces ne représentent qu’une fraction des ongulés dotés d’attributs de combat sur Terre. En examinant d'autres espèces à bois, à cornes ou à défenses, la tendance pourrait changer.
Malgré tout, il s’agit pour Somjee, qui étudie les moyens de défense des insectes et n'a pas participé à l'étude, d'une « idée très intéressante aux implications considérables ».
D'une certaine manière, il n'est pas surprenant que l'humain se soit particulièrement intéressé aux moyens de défense des animaux. Après tout, l’évolution d’une grande partie de ces attributs leur permet d’attirer l’attention, explique Somjee. « Ils nous intriguent, nous interpellent, mais nous induisent aussi en erreur », ajoute-t-il.
Par exemple, Somjee explique que nous trouvons impressionnant que les cervidés mâles, comme les cerfs, les élans et les wapitis, souffrent temporairement chaque année d'ostéoporose, car ils se servent des nutriments de leur propre squelette pour faire pousser leurs bois. La nouvelle étude a également montré que l’idée du « cerveau versus muscles » était encore plus prononcé chez ces animaux à bois que chez ceux à cornes, ce qui pourrait s’expliquer par la nature saisonnière de leurs attributs.
Depuis environ 500 ans, des cerfs sauvages parcourent les terres de Knole House, un ancien archevêché situé au Royaume-Uni. L’étude a montré qu’il y avait chez les cerfs une corrélation particulièrement forte entre l'évolution des bois des mâles et celle des cerveaux des femelles.
« C'est un phénomène naturel étonnant. Un phénomène bizarre et étrange », déclare Somjee à propos de la croissance et de la perte rapide des bois, « mais je pense qu'une chose qui a été oubliée, c'est que ce qui se passe chez les femelles est tout aussi étonnant. »
Par exemple, les femelles détournent également de grandes quantités de calcium, de phosphore et d'autres nutriments de leur propre corps pour former une progéniture entière dans leur utérus. Bien sûr, tous les tissus qui permettent la fabrication de bois, de cornes ou de défenses sont d'abord créés par ces femelles.
Pour sa part, Lopez souligne qu'une grande partie de la littérature scientifique s'est concentrée sur les combats entre mâles pour comprendre la sélection sexuelle qui s'opère chez ces espèces. Après tout, l'idée dominante a longtemps été que plus les mâles étaient imposants et plus leurs attributs l’étaient aussi, plus les femelles venaient vers eux.
« Il est possible que les tests menés pour montrer que [les femelles] décident des mâles avec lesquels elles s'accouplent ne soient simplement pas les bons » déclare Lopez.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.