Génies : les femmes souvent oubliées par l'histoire
Bon nombre d’études scientifiques tentent de distinguer le cerveau féminin du masculin. Pourtant, c’est un fait : l’intelligence n’a pas de sexe. Reste que pour développer des capacités exceptionnelles, l’être humain a besoin de se libérer des contraintes financières et sociales, afin de pouvoir se consacrer pleinement à son activité. Pendant des siècles, il fallait être riche, et plutôt un homme, pour réunir ces conditions. Le manque de soutien peut aussi empêcher ou retarder l’épanouissement d’un génie potentiel : tout au long de l’histoire, les femmes se sont vu refuser une éducation de qualité, ont été freinées dans leur vie professionnelle, et ont vu leurs réalisations sous-évaluées. La moitié des participantes à l’étude pionnière sur les enfants à QI élevé, menée à partir de 1920 par Lewis Terman, sont restées finalement au foyer. Et pourtant, surmontant les contraintes liées à la maternité et la misogynie de leur époque, certaines femmes sont parvenues à briller. Voici quatre exemples de génies féminins méconnus qui ont, bien souvent, travaillé dans l’ombre d’un homme célèbre.
Hypatie d’Alexandrie
Au IVe siècle de notre ère, Hypatie a été l’une des dernières grandes figures d’Alexandrie. L’ancienne capitale d’Égypte fut le plus grand foyer de diffusion de la culture hellénique au Moyen-Orient. Théon d’Alexandrie, son père, a été l’ultime directeur du musée de la bibliothèque, centre intellectuel de la ville, avant que l’établissement ne soit fermé, pour paganisme, par l’empereur romain Théodose I. L’érudit a enseigné à sa fille les mathématiques, les sciences, la littérature, la philosophie et les arts. De ce savoir accumulé, la légende veut qu’elle ait développé, la première, la théorie selon laquelle la Terre tourne autour du Soleil. Mais ses talents ne se limitaient pas à l’astronomie. Elle a également conçu plusieurs instruments : un hydromètre, un astrolabe en argent et un planisphère. Dans une ville en proie aux bouleversements religieux, la jeune savante a été accusée de sorcellerie par des fanatiques chrétiens, et assassinée. Pour certains historiens, sa mort marque la fin de l’Antiquité classique et la déchéance intellectuelle d’Alexandrie.
Emilie du Châtelet
En 1733, la marquise Émilie Du Châtelet rencontre son futur amant, Voltaire. L’homme est instantanément ébloui par son éducation scientifique et littéraire, mais aussi par sa liberté de parole. La jeune femme, âgée de 27 ans, pratique les jeux d’argent, le chant d’opéra, le théâtre, et multiplie les conquêtes amoureuses. Mais, surtout, elle détonne par sa capacité de travail colossale. Son passe-temps favori ? La physique newtonienne. Émilie du Châtelet est la première à traduire, en français, l’œuvre maitresse d’Isaac Newton : Philosophiae naturalis principia mathematica (1687). Elle ajoute même des commentaires comprenant des points mathématiques complexes, comme les intégrales, que le savant allemand Leibniz vient tout juste de mettre au point. Encore aujourd’hui, son texte reste la traduction de référence de l’œuvre du physicien anglais. Surnommée par Voltaire « Madame Pompon Newton », Émilie du Châtelet avait, sans aucun doute, une longueur d’avance, tant sur le plan des mœurs que du génie.
Marie-Anne Pierrette Paulze
Encore une femme qui se cache derrière un nom célèbre : celui d’Antoine Lavoisier, son époux, père de la chimie moderne. Marie-Anne Pierrette Paulze l’assiste dans ses travaux et traduit en français diverses publications scientifiques. Elle met aussi à profit ses talents de dessinatrice pour illustrer les planches du Traité élémentaire de chimie (1789) : un ouvrage de référence. Après l’exécution de son mari, guillotiné en 1794, elle épouse en seconde noce le principal rival de celui-ci : le physicien américain Benjamin Thompson, avec qui Lavoisier avait eu des différends notables sur la nature chimique de la chaleur. En matière de mariage, il semble que ce soit la science qui guidait ses choix !
Camille Claudel
« Sais-tu que nous voilà en présence de quelque chose d’unique, une révolte de la nature : la femme de génie ? », s’enthousiasmait l’écrivain Octave Mirbeau au sujet de la sculptrice Camille Claudel. Elle a été l’élève, la collaboratrice, l’assistante et la maîtresse de Paul Rodin. En tout, elle a réalisé soixante-sept sculptures dans sa carrière. Pendant une dizaine d’années, les deux artistes ont été intimement liés et ont partagé une inspiration commune, à tel point qu’il est difficile de déterminer qui est l’auteur de certaines œuvres. En 1898, décidée à voler de ses propres ailes, Claudel quitte Rodin. Mais sans lui, elle peine à obtenir des commandes publiques et à se faire une place dans le milieu artistique. De cette rupture naît une paranoïa dirigée contre son ancien amant, qu’elle accuse de son insuccès. Puis, la folie prend le pas sur le génie. Solitude, cyclothymie et morbidité la conduiront à l’asile, où elle passera les trente dernières années de sa vie.
Retrouvez notre dossier consacré aux génies, dans le n° 212 du magazine National Geographic paru en mai 2017.