Louisa May Alcott, au-delà des Quatre filles du docteur March

Si c’est grâce à son roman à succès Les Quatre filles du docteur March, paru en 1868, que Louisa May Alcott accède à la richesse et à la liberté, la romancière préférait écrire des romans gothiques.

De Amaranta Sbardella
Publication 7 déc. 2021, 14:32 CET
The question of marriage

La romancière Louisa May Alcott, ici photographiée dans les années 1880.

PHOTOGRAPHIE DE Bridgeman, ACI

Après la publication, en 1868, du roman Les Quatre filles du docteur March, Louisa May Alcott se voit affublée du surnom « l’amie des enfants », qui deviendra le titre de sa première biographie écrite en 1888. Les histoires chaleureuses qu’elle a écrites sur les sœurs March (Meg, Jo, Beth et Amy) au moment de leur entrée dans l’âge adulte dans le Massachusetts, à l’époque de la guerre de Sécession, ont fait d’elle l’un des auteurs les plus appréciés et les plus vendus des États-Unis. Les Quatre filles du docteur March a eu deux suites, été adapté en pièces de théâtre, de nombreux films, plus de 10 adaptations télévisées, une comédie musicale à Broadway, ainsi qu’un opéra. Le roman a été vendu à plus de 10 millions d’exemplaires et traduit dans 50 langues.

Alcott a écrit des fictions jusqu’à la fin de sa vie, mais les historiens littéraires savent désormais que la romancière a eu une carrière antérieure cachée, au cours de laquelle elle a produit de nombreux livres, de manière anonyme ou sous un pseudonyme. Ces premiers romans traitent souvent d’une vision plus sombre et tourmentée de la vie que celle dépeinte dans la trilogie Les Quatre filles du docteur March. Dans ces œuvres, Alcott traite de sujets résolument différents de ceux auxquels nous avait habitués « l’amie des enfants ».

 

RICHES INTELLECTUELS

Née en 1832 près de Philadelphie, en Pennsylvanie, Alcott est la cadette de quatre filles élevées au sein d’une famille d’intellectuels aux difficultés financières constantes. Son père, Bronson Alcott, est un pédagogue réformateur et adepte du transcendantalisme, une philosophie qui croyait en l’enrichissement personnel des individus, la fraternité universelle et l’union avec la nature.

Malgré ses nombreux idéaux, Bronson manque de sens pratique, si bien qu’il n’a jamais suffisamment gagné sa vie pour sortir sa famille de la pauvreté. La mère d’Alcott, Abigail, dite Abba, est la gardienne du foyer. Elle soutient l’abolition de l’esclavage (la famille Alcott aurait offert l'asile à des esclaves le long du Chemin de fer clandestin) ainsi que les droits des femmes.

Malgré la pauvreté, Alcott côtoie de riches intellectuels au cours de son enfance. Lorsque Louisa a huit ans, la famille emménage à Concord, dans le Massachusetts, où la petite fille a d’extraordinaires mentors en la personne d’Henry David Thoreau et Ralph Waldo Emerson, éminents transcendantalistes et amis de son père. Elle fréquente l’école de Thoreau, où les cours ont parfois lieu dans les bois en compagnie du grand naturaliste. Emerson vit dans la maison voisine des Alcott et ouvre sa bibliothèque à Louisa. Bien qu’elle soit trop réaliste pour adhérer pleinement aux aspects les plus ambitieux du transcendantalisme, elle a sans aucun doute été influencée par l’importance que le mouvement accordait à l’indépendance et à l’individualité.

La liberté individuelle figure en tête de liste des priorités d’Alcott et elle résiste aux attentes du 19e siècle quant à la domesticité féminine. Dans le même temps, la pauvreté de sa famille donne naissance à un engagement perpétuel pour son bien-être. Louisa écrit ainsi à son père qu’en devenant écrivaine, elle compte prouver qu’elle « peut subvenir à ses besoins, même si je suis une Alcott », un reproche qui s’apparente aussi à une déclaration de mission personnelle. Elle commence à travailler jeune, mais ces emplois sont tous mal rémunérés. Elle travaille successivement comme dame de compagnie, couturière et professeure. Elle intègre également un foyer en tant que servante, mais démissionne à la suite de mauvais traitements administrés par son employeur.

C’est ici, à Orchard House, la maison familiale des Alcott à Concord, dans le Massachusetts, que Louisa May Alcott a écrit en 1868 Les Quatre filles du docteur March. Elle s’inspira de la maison pour le décor de son roman.

PHOTOGRAPHIE DE Bridgeman, ACI

À peine âgée d’une vingtaine d’années, Alcott écrit déjà, le plus souvent de manière anonyme ou sous un pseudonyme. Après avoir servi comme infirmière lors de la guerre de Sécession, elle rédige en 1862, à l’âge de 30 ans, Hospital Sketches. L’œuvre est publiée l’année suivante.

L’un de ses éditeurs, Thomas Niles, apprécie tant le livre qu’il lui demande en 1867 d’écrire un roman pour filles. À la même époque, Merry’s Museum, un magazine jeunesse, lui propose un poste d’éditrice. Louisa accepte les deux projets et délaisse ce que les chercheurs considèrent aujourd’hui comme ses sujets les plus adultes.

 

DOUTES CRÉATIFS

Dans un premier temps, Alcott s’estime incapable d’écrire ce qui allait devenir Les Quatre filles du docteur March. Enfant, elle n’avait « jamais apprécié les filles et en connaissait peu », écrit-elle dans son journal, mis à part ses trois sœurs : son aînée, Anna, et ses benjamines, Elizabeth et May. Elle doute aussi que les « jeux et expériences » de la sororie intéresse quiconque.

Elle commence l’écriture du roman, avant de le mettre de côté et d’y revenir en mai 1868. Après relecture du manuscrit, Thomas Niles et l’écrivaine jugent les dix premiers chapitres ennuyeux. Fin août, elle écrit au sujet de la seconde relecture : « Il se lit mieux que je ne l’aurais pensé. Il ne tombe pas dans le sensationnalisme, mais est simple et authentique, car c’est en grande partie notre vie ».

Le livre, qui se déroule pendant la guerre de Sécession, décrit une année de la vie de quatre sœurs, la sensible Meg (inspirée de l’aînée d’Alcott, Anna), la rebelle Jo (l’alter ego d’Alcott), la douce Beth (Elizabeth) et la frivole Amy (May) entrant dans l’âge adulte, qui recherchent l’aventure et l’amour et tentent de trouver leur place dans le monde. En l’absence du père des filles, qui sert en tant que chapelain pendant la guerre de Sécession, leur mère, Marmee, est une source aimante et inépuisable de conseils. Au cours de l’histoire, Beth décède prématurément (tout comme Elizabeth, la sœur d’Alcott, des suites de la scarlatine), et les trois autres sœurs prennent des chemins différents : Meg se consacre à sa famille, Jo à l’écriture et à l’enseignement, et Amy à l’art.

La première édition du roman Les Quatre filles du docteur March était plus courte que celle que nous connaissons aujourd'hui. Après que 2 000 exemplaires se sont écoulés en deux semaines, l’éditeur d’Alcott lui demande d’écrire une deuxième partie, et les deux volumes forment aujourd’hui un seul et même livre. Les idées de la romancière sur l’amour et le mariage lui attirèrent les foudres de ses fans les plus conservateurs. Alcott souhaitait que Jo reste célibataire tout comme elle, mais son éditeur et ses lecteurs réclamèrent le mariage du personnage avec le riche Laurie Laurence. Dans le second volume des Quatre filles du docteur March, Alcott cède, mais sans donner satisfaction à la plupart de ses lecteurs : Jo épouse le plus âgé professeur Bhaer, tandis que sa sœur Amy se marie avec Laurie.

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    Ciseaux en l’air, un coiffeur s’apprête à couper la chevelure de Jo sur cette gravure de l’artiste Harold Copping, réalisée en 1912.

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    Le point de vue négatif d’Alcott sur le mariage découlerait en partie de la pression exercée par les difficultés économiques sur l’union de ses parents. Grâce à l’écriture et à l’héritage reçu de sa tante, Jo évite le même sort. Avec son mari, elle fonde Plumfield, une école de garçons (le père d’Alcott avait fait de même en 1834). Le personnage fictif de Jo jouit également d’une certaine indépendance financière.

    Sous la pression du public qui souhaite savoir ce qu’il advient des sœurs March, Alcott écrit deux suites au roman : Le Rêve de Jo March, paru en 1871 qui raconte l’histoire des élèves de Plumfield ; et Jo et sa tribu, publié en 1886, le dernier tome de la trilogie qui suit l’entrée des élèves dans l’âge adulte.

     

    ŒUVRES OUBLIÉES

    Grâce à sa réussite littéraire, Louisa May Alcott gagne suffisamment d’argent pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille. Le succès du roman Les Quatre filles du docteur March la cantonne néanmoins dans un rôle qu’elle n’apprécie guère, celui d’écrivaine de « bouillie morale pour la jeunesse » comme elle le décrit. Si ce genre lui a valu sa liberté financière, il la définit aussi (et uniquement) comme une femme supportant les idées féministes. En 1879, Alcott intègre un groupe de femmes de Concord qui exercent pour la première fois des droits de vote restreints. La romancière a fait campagne jusqu’à la fin de sa vie pour l’obtention du suffrage féminin.

    Limitée par les sujets restreints que les écrivaines respectables pouvaient traiter, elle n’a jamais considéré son travail comme « formidable », explique Daniel Shealy de l’université de Caroline du Nord, aux États-Unis, et éditeur du livre Les Quatre filles du docteur March : l’édition annotée. « Elle a toujours voulu écrire un grand roman et n’a jamais estimé qu’elle l’avait fait », ajoute-t-il.

    Dans les années 1940, les commerçantes de livres rares new-yorkaises Madeleine Stern et Leona Rostenberg découvrent d’autres écrits d’Alcott, publiés de manière anonyme ou sous un pseudonyme. Elles apprennent ainsi qu’entre 1852, date à laquelle le premier récit en prose d’Alcott a été publié alors qu’elle n’avait que 20 ans, et 1888, l’année de sa mort, la romancière a écrit 210 poèmes et sketchs, histoires et publications en série, parus dans une quarantaine de périodiques différents.

    Sous le pseudonyme d’A.M. Barnard, Alcott a également publié 30 thrillers gothiques au cours de la décennie précédent Les Quatre filles du docteur March. Dans ces romans « sanglants » comme elle les décrivait, la passion et la vengeance occupent une place de choix. « Je pense que j’aspire naturellement au sensationnalisme », confia-t-elle à un ami tout en décrivant ces histoires comme de « formidables fantaisies ».

    En 1866, Alcott écrit Pour le meilleur et pour le pire, et pour l'éternité. Dans cette histoire d’amour obsessif, l’héroïne passe un pacte faustien dès les premières pages du livre : « J’ai souvent le sentiment que je vendrais volontiers mon âme à Satan en échange d’une année de liberté ».

    Le roman, finalement publié pour la première fois en 1995, est devenu un best-seller et a contribué à reconnaître qu’Alcott était bien plus que l’autrice des Quatre filles du docteur March. « Son œuvre a désormais bien sa place parmi les incontournables littéraires américains », conclut Daniel Shealy. « Sa réputation en tant qu’écrivaine ne cesse de grandir ».

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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