Fatigue chronique : et si la solution se trouvait dans nos intestins ?

De récentes études ont établi un lien entre certaines bactéries intestinales et le syndrome de fatigue chronique.

De Betsy Ladyzhets
Publication 16 mars 2023, 11:06 CET
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Les microbes présents dans nos intestins contribuent à la digestion des aliments et à l'absorption des nutriments, deux processus essentiels de notre santé globale. Cette image obtenue par microscopie électronique à balayage révèle le grand nombre et la diversité des bactéries présentes dans les excréments humains.

PHOTOGRAPHIE DE Martin Oeggerli, Micronaut. Kindly supported by University Hospital Basel and School of Life Sciences, FHNW

À en croire le nombre croissant d'études sur le sujet, le microbiome intestinal jouerait un rôle majeur dans une maladie chronique invalidante dont le nombre de cas a récemment augmenté. Connue sous le nom d'encéphalomyélite myalgique, ou plus communément syndrome de fatigue chronique, cette maladie se caractérise par une fatigue intense, l'apparition de troubles gastro-intestinaux, de douleurs musculaires et de difficultés cognitives, notamment des migraines et une perte de la concentration, entre autres symptômes. La maladie apparaît généralement à la suite d'une infection virale, mais son fonctionnement reste un mystère pour les scientifiques et il n'existe aucun traitement à ce jour.

Avant la pandémie de COVID-19, les chercheurs estimaient à 2,5 millions le nombre de citoyens américains souffrant d'encéphalomyélite myalgique/syndrome de fatigue chronique (EM/SFC). Ce nombre a considérablement augmenté ces dernières années car les symptômes à long terme induits par les infections à COVID-19 remplissent les critères de l'EM/SFC. Aux États-Unis, le nombre de patients souffrant d'une forme longue du COVID se situerait entre 8 et 23 millions, selon le Government Accountability Office. En France, le COVID long concernerait environ 2 millions d'individus, d'après une estimation basée sur une étude menée en 2022.

Deux études récentes financées par les National Institutes of Health évoquent des mutations du microbiome comme cause potentielle de l'EM/SFC, tout en ouvrant de nouvelles voies pour le diagnostic et le traitement des patients concernés. Certaines bactéries intestinales productrices de substances impliquées dans le métabolisme et le système immunitaire étaient présentes en quantité inférieure chez les patients atteints d'EM/SFC, par rapport aux groupes témoins.

Le système digestif humain abrite plusieurs billions de microorganismes qui contribuent à la digestion des aliments et envoient des signaux à d'autres régions du corps. Les intestins « devraient être une forêt tropicale très riche et diversifiée, » illustre Suzanne Vernon, directrice de la recherche au Bateman-Horne Center, un centre majeur de recherche sur l'EM/SFC. La scientifique suggère que les infections virales comme la COVID-19 provoqueraient une « pertrubation » de cet écosystème, souvent perçue sous la forme de nausée, de diarrhée et d'autres symptômes gastro-intestinaux.

Chez la plupart des patients, le microbiome retrouve rapidement son état normal. Pour d'autres en revanche, « la perturbation intestinale s'installe, » explique Suzanne Vernon, ce qui entraîne sur le long terme des difficultés de régulation d'autres fonctions de l'organisme.

À mesure que les scientifiques gagnent en connaissance sur les perturbations du microbiome associées à ces troubles, ils pourraient améliorer les techniques de diagnostic et même développer des traitements. L'apparition de symptômes de l'EM/SFC s'apparente à un « effet boule de neige », illustre Lawrence Purpura, spécialiste des maladies infectieuses au Centre médical de l'université Columbia, où il soigne des patients atteints de COVID long et étudie leur microbiome. « En intervenant tôt, nous pourrions empêcher cette boule de neige de grossir, » dit-il.

 

PERTURBATION INTESTINALE

La revue Cell Host & Microbe a récemment publié deux études des groupes de recherche de l'université Columbia et de Jackson Laboratory, un institut américain à but non lucratif, dans lesquelles les chercheurs réalisent une analyse comparative détaillée des microbes présents dans les échantillons de selles de patients souffrant d'EM/SFC et de sujets sains.

Les deux groupes ont constaté un niveau inférieur d'espèces bactériennes similaires chez les patients EM/SFC, par rapport aux patients témoins. Ils se sont notamment attardés sur les bactéries productrices de butyrate, un acide gras impliqué dans la régulation du métabolisme et du système immunitaire. Outre les différents rôles joués par le butyrate dans la réaction de l'organisme face aux infections, cet acide protège également la barrière entre l'intestin et le système circulatoire, il régule les mutations génétiques des cellules et bien plus, nous explique Brent Williams, auteur principal de l'étude de Columbia. Williams et ses collègues ont méticuleusement analysé le rôle du butyrate dans les intestins des patients EM/SFC, allant même jusqu'à établir une corrélation entre les faibles niveaux de bactéries productrices de cet acide et l'aggravation des symptômes.

Les résultats obtenus en parallèle par l'équipe de Jackson Laboratory suggèrent que la bactérie productrice de butyrate pourrait être utilisée pour diagnostiquer l'EM/SFC. De précédentes études ont permis d'identifier des troubles du microbiome chez les patients EM/SFC, mais ces nouveaux résultats permettent de distinguer les microbes qui pourraient être liés à la maladie. « La nouvelle étude a permis d'aller plus loin en identifier réellement les différentes espèces bactériennes, » indique Vicky Whittemore, directrice de programme au sein du National Institute of Neurological Disorders and Stroke des NIH, non impliquée dans l'étude.

Par ailleurs, les nouvelles études ont porté sur des échantillons de patients plus importants que ceux des précédents travaux, environ 100 sujets dans l'étude de Columbia et 150 dans l'étude de Jackson Laboratory. La première a recruté les patients de cinq centres EM/SFC répartis à travers les États-Unis, un détail important car le microbiome évolue en fonction de la localisation, comme nous l'explique Williams. De son côté, après avoir supervisé le recrutement des patients et le prélèvement des échantillons pour Jackson Laboratory, Vernon indique que l'obtention de résultats similaires à partir « d'un échantillon aussi large et diversifié » est un fait notable.

Dans l'étude de Jackson Laboratory, les chercheurs ont également comparé deux groupes de patients EM/SFC, le premier diagnostiqué au cours des quatre dernières années et le second vivant avec la maladie depuis plus de 10 ans. Le groupe diagnostiqué récemment présentait une détérioration supérieure du microbiome avec une diversité bactérienne inférieure, comme en témoigne l'auteure principale de l'étude, Julia Oh, ce qui suggère un rétablissement de l'écosystème intestinal au fil du temps.

Cependant, les patients du second groupe présentaient plus de signes de troubles métaboliques sévères et des symptômes plus graves, alors que leurs microbiomes étaient similaires à ceux du groupe témoin. Cela pourrait suggérer que les modifications à court terme du microbiome contribuent à un dysfonctionnement à long terme du système immunitaire, indique Julia Oh, en dépit du rétablissement des intestins.

 

POUR UN MICROBIOME PLUS SAIN

D'après les auteurs, il est nécessaire d'approfondir les recherches sur les bactéries productrices de butyrate et les autres espèces identifiées dans leurs études pour en savoir plus sur ces potentiels biomarqueurs. Si leurs résultats sont corroborés, nous pourrions utiliser des bactéries intestinales spécifiques pour diagnostiquer la maladie, dont l'identification repose uniquement sur les symptômes à l'heure actuelle.

Les études ouvrent également la voie aux potentiels traitements, comme les probiotiques ou les régimes centrés sur le microbiome, même si les malades de longue durée pourraient nécessiter des médicaments visant à atténuer les dégâts infligés à leur métabolisme ou à leur système immunitaire. 

À l'université Columbia, l'étape suivante pour Williams sera d'implanter des échantillons de microbiome des patients EM/SFC chez des souris. Il espère ainsi déterminer « si les symptômes sont causés par le microbiome » et si les traitements axés sur le microbiome pourraient atténuer ces symptômes.

« Nous pourrions être en mesure de modifier le microbiome à un stade précoce pour atténuer ou ralentir la progression de la maladie, » explique Julia Oh. De futurs essais cliniques pourraient tester les impacts de compléments bactériens spécifiques sur la santé du microbiome.

D'ailleurs, certains patients n'ont pas attendu les essais cliniques pour expérimenter avec les compléments et les régimes déjà connus. Whittemore a été contactée par plusieurs patients pour des conseils sur les habitudes alimentaires à suivre et les probiotiques, par exemple le fait de limiter les aliments associés à une inflammation du système immunitaire, comme la viande rouge, ou l'ajout d'aliments fermentés, comme le yaourt ou le chou fermenté.

« Il serait intéressant de mener une étude chez les patients à un stade précoce de la maladie, pour voir si ce type de traitement simple peut aider leurs intestins à retrouver un état proche de la normale » déclare Whittemore. Les expériences personnelles des patients pourraient offrir des pistes pour de telles études. Dans l'un de ces projets, baptisé Remission Biome, deux patients EM/SFC qui travaillaient en tant que scientifiques avant de tomber malades testent différents compléments bactériens qui pourraient atténuer leurs symptômes.

Whittemore ajoute que les personnes atteintes de COVID long ont tendance à être diagnostiquées plus rapidement que celles atteintes d'EM/SFC ; la maladie offre donc une nouvelle occasion d'étudier l'influence d'une infection virale sur le microbiome et le déclenchement de symptômes persistants.

En dehors de la recherche, l'amélioration de l'éducation médicale au sujet de l'EM/SFC et du COVID long pourrait également aider à identifier et soigner les patients. « Il y a des centaines de milliers de patients non diagnostiqués et non traités qui essaient de guérir par leurs propres moyens d'une maladie post-virale grave, » déclare Tamara Romanuk, l'un des deux patients-chercheurs du projet Remission Biome. « Des médecins bien informés » pourraient diagnostiquer ces personnes et les aider à gérer leurs symptômes, poursuit-elle, même si les traitements officiels n'arriveront que dans plusieurs années.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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