Mars, le voyage sans retour

Tout sera terriblement dangereux, le voyage, l’atterrissage, le séjour sur place. Mais la planète Rouge est aujourd’hui à notre portée

De Joel Achenbach
Publication 9 nov. 2017, 01:53 CET

Il veut aller sur Mars et y mourir… mais pas dès l’atterrissage. La plaisanterie d’Elon Musk, le patron de la société SpaceX, est devenue célèbre. La technologie qui pourrait lui éviter cette mauvaise fortune a passé un test crucial, une nuit de décembre 2015, quand une fusée Falcon 9 de son entreprise a quitté Cap Canaveral, en Floride, avec onze satellites de télécommunication à son bord.

Quelques minutes plus tard, le lanceur s’est séparé du corps de la fusée, comme des milliers d’autres l’ont fait depuis l’aube de l’ère spatiale. D’ordinaire, ceux-ci se consument en retombant dans l’atmosphère, et leurs fragments s’abîment dans l’océan. Mais ce lanceur a pivoté sur lui-même, et ses moteurs se sont rallumés pour freiner sa course et guider sa descente vers un site d’atterrissage proche de celui du départ.

Au centre de contrôle de Cap Canaveral et à celui de SpaceX, à Hawthorne (Californie), des centaines de jeunes ingénieurs étaient rivés à leurs écrans, fixant la boule de feu à l’approche. Elon Musk s’est précipité dehors pour avoir une vue directe. Quelques secondes plus tard, une déflagration sinistre s’est fait entendre.

Nul n’avait jamais réussi à faire revenir au sol un lanceur de fusée orbitale comme celui-ci. Les deux précédents tests de SpaceX s’étaient soldés par des explosions. Cette fois, la déflagration était en fait le bang sonique de l’entrée du lanceur dans l’atmosphère. Elle a atteint les oreilles de Musk au moment où l’engin atterrissait doucement et – enfin ! – avec succès. Devant leurs écrans, les ingénieurs hurlaient de joie.

SpaceX venait de franchir une étape dans la recherche des fusées réutilisables. Elon Musk estime que cette technologie pourrait réduire le coût des lancements de 99 %, et offrir à SpaceX un avantage compétitif dans le lancement de satellites et les vols d’approvisionnement de la Station spatiale internationale (ISS). Mais il n’en a jamais fait son but principal. Ce premier atterrissage en douceur d’une fusée porteuse, a-t-il déclaré cette nuit-là lors d’une téléconférence, était « une étape cruciale sur le chemin de la fondation d’une ville sur Mars ».

Elon Musk ne veut pas seulement se poser sur Mars. Il veut y fonder une nouvelle civilisation, avant qu’une calamité ne nous balaie de la surface de la Terre. À Hawthorne, à côté du bureau de Musk, un mur est décoré de deux images jumelles de Mars : sur l’une, la planète est telle qu’aujourd’hui, rouge et aride ; sur l’autre, elle est bleue, « terraformée » par les ingénieurs, avec des mers et des fleuves. Musk imagine de coloniser Mars avec une flottille de vaisseaux emportant chacun une centaine de colons – dont beaucoup devraient payer leur couchette à bord 500 000 dollars ou plus.

Pablo de Leon, ingénieur spatial à l’université du Dakota du Nord, teste une combinaison dans un laboratoire de la Nasa. Des ventilateurs y soulèvent une terre fine afin de stimuler les tempêtes de poussière qui pourraient harceler les astronautes sur Mars.
PHOTOGRAPHIE DE Phillip Toledano

SpaceX, fondée en 2002, n’a encore jamais envoyé d’être humain dans l’espace. Mais elle espère convoyer l’an prochain des astronautes de la Nasa jusqu’à l’ISS avec un Falcon 9. La société a aussi conçu une fusée plus lourde, le Falcon Heavy. Celle-ci ne serait toutefois pas assez grosse pour transporter des humains vers la planète Rouge. Et, à l’heure où nous écrivons ces lignes, en septembre, rien n’indique que SpaceX ait conçu – encore moins testé – les autres technologies qui permettraient à des humains de rester en vie et en bonne santé sur Mars, ou lors du voyage. En juin dernier, Musk a annoncé que SpaceX enverrait ses premiers astronautes sur Mars en 2024, pour une arrivée en 2025.

« Ils auront la gloire et ce genre de choses, affirme-t-il. Mais, dans un contexte historique plus large, ce qui compte vraiment, c’est la perspective d’envoyer un nombre important de personnes, des dizaines sinon des centaines de milliers et, au bout du compte, des millions de tonnes de marchandises. » Voilà pourquoi les fusées réutilisables sont si importantes pour lui.

Avant même de déposer des hommes sur la Lune, en 1969, la Nasa a commencé l’exploration de Mars avec des sondes robotisées. Elle aussi prévoit d’envoyer des astronautes vers la planète Rouge, mais en 2030 au mieux, et seulement pour orbiter autour de l’astre. Poser un gros vaisseau spatial à sa surface sera risqué et délicat – cet objectif prendra une ou plusieurs décennies supplémentaires, juge la Nasa. Qui n’envisage pas de villes martiennes.

Mais tout le monde semble d’accord : si l’humanité aborde une nouvelle grande destination dans l’espace, ce sera Mars. Reste que la faisabilité de l’entreprise est sujette à débat.

L’astronaute John Grunsfeld, ex-directeur scientifique de la Nasa, se rappelle qu’on lui a dit, en 1992, qu’il faisait partie de la génération qui irait un jour sur Mars. Il espère toujours que des êtres humains iront sur la planète Rouge, mais s’en tient au point de vue qu’il défendait il y a quelques années auprès de Charles Bolden, lui aussi ancien astronaute, devenu administrateur de la Nasa. Les deux hommes devaient s’adresser à de nouvelles recrues. « Ne leur dis pas qu’ils iront sur Mars, a conseillé Grunsfeld, parce qu’ils n’ont aucune chance de le faire. Ils auront 60 ou 70 ans [quand ça arrivera]. »

En plus de concevoir ses propres fusées pour Mars, la Nasa a beaucoup étudié la prise en charge des passagers. En mars 2016, l’Américain Scott Kelly et le Russe Mikhaïl Kornienko ont regagné la Terre après 340 jours à bord de l’ISS. Ils ont servi de cobayes pour des recherches sur les effets des longs séjours spatiaux sur l’organisme et sur l’esprit humains (l’aller-retour Terre/Mars pourrait durer près de trois ans).

Lorsque leur capsule Soyouz a replongé dans l’atmosphère, se rappelle Kornienko, elle vibrait comme une voiture sur des pavés ; des étincelles de la taille du poing, issues du bouclier thermique enflammé, volaient devant les hublots. Kelly et Kornienko respiraient à grand-peine. L’année en apesanteur avait affaibli leurs capacités pulmonaires et leurs muscles thoraciques.

Après l’atterrissage dans la steppe kazakhe, les deux hommes ne pouvaient quasiment pas marcher. L’équipe au sol a dû les porter hors de la capsule, de peur qu’ils ne trébuchent et se brisent un os. Deux mois plus tard, Scott Kelly disait encore souffrir des pieds.

Dans les films de Hollywood, l’apesanteur est rigolote. Les entretiens vidéo menés avec Kelly et Kornienko quand ils se trouvaient à bord de l’ISS suggèrent plutôt le contraire. Leur visage est bouffi, car le drainage des fluides est insuffisant. Ils gardent les bras croisés sur la poitrine car, sinon, faute de gravité, ceux-ci s’étendent tout seuls devant eux dans une sorte de posture de zombie. Et ils doivent s’habituer à se sangler sur un siège de toilettes aspirantes, et même, ajoute Kornienko, à se laver pendant un an avec des lingettes humides – faute de douche.

Mais, lors d’un voyage bien plus long et dangereux, sans possibilité de rebrousser chemin ni d’effectuer une sortie d’urgence, les effets de l’espace sur le corps humain pourraient poser d’énormes problèmes. Jennifer Fogarty, directrice scientifique adjointe du programme de recherche humaine au centre spatial Johnson de la Nasa, à Houston, prévient : les passagers « seront malades à l’arrivée ».

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    Le Russe Sergueï Volkov, qui a passé six mois à bord de l’ISS, subit des tests physiques à la Cité des étoiles. Un long séjour dans l’espace peut affecter sérieusement le corps. Quitter le champ magnétique protecteur de la Terre le rend vulnérable aux rayons cosmiques – des particules rapides.
    PHOTOGRAPHIE DE Phillip Toledano

    En apesanteur, les os diminuent – la perte de masse osseuse est de 1 % par mois en moyenne. Des exercices vigoureux aident à compenser, mais l’imposant équipement utilisé à bord de l’ISS est trop lourd pour une mission sur Mars. Des astronautes de l’ISS ont aussi éprouvé de sérieux troubles de la vision. Apparemment, les liquides s’amassent dans le cerveau et font pression sur les globes oculaires.

    Le scénario catastrophe serait que des astronautes se posent sur Mars avec la vue basse et des os fragilisés, et se fracturent aussitôt une jambe. En théorie, faire tourner rapidement le vaisseau spatial sur lui-même au cours du voyage réduirait ce risque (la force centrifuge remplacerait la gravité). Seulement, disent les ingénieurs de la Nasa, cela compliquerait par trop une mission déjà suffisamment difficile.

    Les radiations constituent un autre danger. Pour l’essentiel, les astronautes de l’ISS en sont protégés par le champ magnétique de la Terre. Lors d’un voyage vers Mars, ils seraient vulnérables aux radiations dues aux éruptions solaires et aux rayons cosmiques. Ces derniers, constitués de particules à haute énergie qui traversent la galaxie quasiment à la vitesse de la lumière, risquent notamment d’endommager l’ADN et les cellules du cerveau. Cela signifie que les astronautes pourraient arriver sur Mars avec une moindre vivacité intellectuelle.

    Une solution potentielle consisterait à doubler le module d’habitat avec une épaisse couche d’eau, ou même à l’envelopper de plantes poussant dans de la terre, pour former un bouclier antiradiation partiel.

    Fournir aux astronautes de l’eau et un air respirable est déjà un défi en soi. Kenny Todd est le directeur des opérations d’intégration pour la Station spatiale internationale. Je le rencontre au centre spatial Johnson. C’est le matin, mais il a déjà l’air épuisé, après une nuit passée à superviser un vol de ravitaillement de l’ISS – une opération cruciale dont on parle peu.

    Une partie de l’eau de l’ISS provient du filtrage et du recyclage de l’urine et de la sueur. Mais les filtres peuvent se boucher à cause du calcium résultant de la perte osseuse des astronautes, et des microbes contaminer l’eau. Les épurateurs qui extraient le dioxyde de carbone de l’air tombent parfois en panne, eux aussi, comme presque tous les instruments de la Station. En orbite terrestre basse, ce n’est pas un problème vital : la Nasa peut envoyer des pièces de rechange. Un vaisseau à destination de Mars ne disposerait que des pièces détachées qu’il emporterait. Tout l’équipement de survie, souligne Todd, devra être nettement plus fiable qu’il ne l’est aujourd’hui, et quasiment incassable.

    N’en déduisons pas que Kenny Todd ne veut pas envoyer des gens sur Mars. « Il faut bien partir de quelque part, admet-il. Il faut commencer par du rêve. Et les choses deviennent réelles à un moment ou l’autre. » En clair, il faut d’abord imaginer beaucoup de choses.

    La psychologie humaine figure parmi les choses les plus complexes à prendre en compte. « Nous avons tant progressé grâce aux missions robotisées que nous estimons avoir fait le tour de la partie matérielle, dit Jennifer Fogarty. Mais nous allons maintenant ajouter le facteur humain : des individus conscients et responsables. Avons-nous vraiment évalué tous les risques qu’ils représentent ? Leur avons-nous donné tous les outils pour y faire face ? »

    À l’instar des modules d’Apollo, Orion amerrira. ici, des mannequins sont installés dans un prototype avant un test de largage dans une piscine, au centre de recherche Langley de la Nasa. Orion transportera peut-être des astronautes près de la Lune, mais sans doute pas avant 2021.
    PHOTOGRAPHIE DE David C. Bowman, NASA

    La Nasa étudie ces problèmes en menant des expériences sur la Terre. J’assiste à l’une d’entre elles, au centre spatial Johnson. Dans un hangar sans fenêtres, au-delà d’un panneau « entrée interdite », se dresse une structure en dôme de trois étages, également dépourvue d’ouvertures et recouverte d’un matériau insonorisant. Quatre volontaires doivent rester enfermés à l’intérieur de la structure hermétique, physiquement coupés du monde pendant un mois. Grâce à treize caméras, les chercheurs scrutent les moindres mouvements des cobayes, et observent comment ils affrontent l’isolement – sur les plans individuel et collectif.

    Ce type de simulation a ses limites. « Nous n’avons évidemment pas d’interrupteur pour allumer l’apesanteur », m’explique Lisa Spence, responsable du projet. Et ces astronautes disposent d’une toilette avec chasse d’eau et d’une douche. Mais Spence et ses collègues visent au maximum de vraisemblance. Nous regardons deux volontaires recroquevillés dans un sas obscur, munis de casques de réalité virtuelle, qui expérimentent une simulation de sortie spatiale. Nous parlons à voix basse pour qu’ils ne nous entendent pas. Le bruit d’un énorme orage éclate. Si quelqu’un, dans le module, pose une question sur ces coups de tonnerre, précise Lisa Spence, « nous inventons une histoire rocambolesque sur des intempéries dans l’espace ».

    Elle ajoute que prendre part à une mission vers la planète Rouge requiert un certain type de personnalité, capable de supporter l’isolement et l’ennui durant le long trajet, puis de s’activer intensément une fois déposé sur Mars. Il faudra être mentalement fort et posséder d’excellentes qualités sociales. Ce que ne garantit pas forcément le fait de pouvoir payer 500 000 dollars – le premier critère chez SpaceX.

    « Nous sélectionnons des gens très placides, mais il y aura sans doute des conflits », estime Kim Binsted, de l’université de Hawaii à Manoa, qui pilote d’autres expériences de ce type. Pour la plus récente d’entre elles, six volontaires sont restés enfermés pendant un an dans un habitat martien fictif, à mi-pente d’un volcan de l’île.

    Mais nulle expérience ne peut réellement simuler le sentiment d’enfermement dans une petite boîte à des millions de kilomètres de la Terre. William Gerstenmaier, le directeur des vols spatiaux habités à la Nasa, relève que les astronautes de l’ISS « twittent beaucoup de photos de leur ville natale. Et des photos de leur stade de football à l’université. Le lien avec la Terre est toujours très fort ».

    « Ce n’est pas de la nostalgie, au sens où votre appartement, votre foyer, votre famille vous manquent pendant un voyage professionnel, a décrit Mikhaïl Kornienko peu après son année passée en orbite. Vous éprouvez un manque de la Terre comme un tout, et c’est totalement différent d’un point de vue émotionnel. Il y a réellement une pénurie de verdure, il n’y a pas de forêt, d’été, d’hiver, de neige. »

    En juin, six mois après l’atterrissage réussi du lanceur de SpaceX, la Nasa a réalisé dans l’Utah un test au sol d’un lanceur à combustible solide – un élément-clé de la fusée destinée à emporter un jour des humains dans l’espace lointain. Couché sur le côté et solidement fixé au sol, le lanceur s’est allumé dans un orage de feu, crachant des flammes et rugissant pendant plus de deux minutes. « Quel jour extraordinaire ! », a lancé William Gerstenmaier, lors de la conférence de presse qui a suivi. De fait, l’essai était spectaculaire – aussi spectaculaire que peut l’être celui d’une fusée qui ne vole pas.

    « Nous sommes plus près d’envoyer des astronautes américains sur Mars que quiconque l’a jamais été, où que ce soit », a écrit Dava Newman, administrateur adjoint de la Nasa, sur un blog en avril dernier. Certains en doutent.

    En 1969, dans l’euphorie consécutive au premier pas de l’homme sur la Lune, Wernher von Braun, créateur de la fusée lunaire Saturne V a proposé au président américain Nixon un plan pour déposer des hommes sur Mars en 1982. À la place, Nixon a ordonné à la Nasa de construire la navette spatiale (du type de Discovery).

    Depuis, les projets grandioses pour échapper à l’orbite basse de la Terre se sont succédé. Et William Gerstenmaier, entré à la Nasa voilà près de quarante ans, a survécu à tous les changements stratégiques décidés par le pouvoir politique. On lui a demandé de renvoyer des astronautes sur la Lune, puis sur un astéroïde, puis de capturer un astéroïde que visiteraient des astronautes en orbite lunaire. Il n’en perd pas son flegme pour autant. À l’opposé d’Elon Musk, cet ingénieur discret ne veut pas trop promettre. Il aimerait aller sur Mars en prenant son temps, avec méthode, et pour longtemps. Bref, avec froideur, pourraient lui reprocher certains.

    « Affirmer que la Nasa a une stratégie [pour aller sur Mars] est vraiment une insulte au mot “stratégie” », assène Robert Zubrin, fondateur de la Mars Society, qui promeut la colonisation de Mars comme « la plus grande cause de notre génération ». Michael Griffin, administrateur de la Nasa sous la présidence de George W. Bush, admet qu’une mission sur Mars serait difficile, mais pas plus que le projet Manhattan (qui a développé la première bombe atomique) ou le programme Apollo (pour aller sur la Lune) : « Aujourd’hui, nous sommes plus près de Mars, en termes de technologie requise, que nous ne l’étions de la Lune quand le président Kennedy fixa cet objectif, en 1961. Beaucoup plus près. » Nous ne sommes pas près, en revanche, de financer le voyage. Or ce sont les coûts qui ont tué les plans grandioses du passé. Les missions Apollo sur la Lune ont englouti 140 milliards de dollars actuels. D’après les experts, un projet réaliste de voyage sur Mars exigerait au moins autant. Un plan soumis au président George W. Bush père s’élevait à 450 milliards de dollars. Mais la Nasa ne dispose que de 9 milliards de dollars par an pour les vols spatiaux habités.

    Atteindre Mars avant les années 2040 réclamerait donc beaucoup d’argent, mais aussi un engagement politique à la Kennedy. Durant la course à la Lune avec l’Union soviétique, la Nasa récoltait plus de 4 % de la totalité du budget fédéral ; elle n’en perçoit plus que 0,5 %.

    Savoir si nous irons sur Mars – et quand – n’est pas seulement affaire de technologie et d’argent. Cela dépend du niveau de risque que nous jugeons acceptable. Les partisans d’une mission anticipée rappellent que les véritables explorateurs, tels ceux qui tentèrent en premier de traverser les océans ou d’atteindre les pôles, acceptent la possibilité de l’échec ou de la mort. La Nasa pourrait envoyer des gens sur Mars bien plus tôt si elle ne se souciait pas autant qu’ils arrivent vivants ou puissent rentrer chez eux.

    À la fin de la conférence de presse de William Gerstenmaier dans l’Utah, un journaliste s’est levé. Il a dit avoir 49 ans, et se demandait si un homme marcherait sur Mars de son vivant. « Oui », a répondu Gerstenmaier. Puis, après une courte hésitation : « Homme ou femme… Vous verrez en tout cas un être humain. »

    Et de détailler la marche à suivre jusqu’en 2040. Il faudrait d’abord retourner dans l’espace lointain, avec des missions sur le « terrain d’expérimentation » – c’est-à-dire autour de la Lune et de points proches. La mise en orbite d’astronautes autour de Mars attendrait donc les années 2030. « La difficulté à déposer une équipe en surface ajoute à la complexité, m’avait expliqué Gerstenmaier auparavant. C’est ce qui me fait reculer le calendrier au-delà de 2030. »

    La Mars Society, une association à but non lucratif fondée en 1998, dirige un centre de recherche dans l’Utah. Là, des équipes s’entraînent dans un milieu qui ressemble à celui de Mars – mais où l’air est respirable.
    PHOTOGRAPHIE DE Phillip Toledano

    Il est bien plus difficile de faire atterrir un engin sur Mars que sur la Lune. La gravité y est plus forte. L’atmosphère, quoique trop mince pour ralentir un vaisseau spatial ou permettre la vie telle que nous la connaissons, peut suffire à causer une surchauffe. Plusieurs sondes automatiques se sont déjà écrasées sur la planète Rouge. La Nasa y a bien déposé un robot de 1 t, Curiosity. Mais acheminer des humains et leur ravitaillement nécessiterait une charge utile d’au moins 20 t, de la taille d’une maison.

    La solution la plus prometteuse est la rétropropulsion supersonique que SpaceX développe. Quand le lanceur Falcon 9 revient vers la Terre, il traverse sa mince atmosphère supérieure plus vite que le son. Il affronte alors des conditions analogues à celles que Mars présentera. Depuis le succès de Cap Canaveral, en décembre 2015, suivi d’atterrissages réussis sur une barge en mer, bien des gens affirment que l’envoi d’humains sur Mars est plausible. Une affaire loin d’être bouclée. Le 1er septembre, un lanceur de SpaceX a encore explosé sur son pas de tir, lors d’un test.

    Ce pas de tir, que SpaceX loue à la Nasa au centre spatial Kennedy, est le n° 39A. Celui d’où les astronautes d’Apollo 11 se sont envolés vers la Lune. SpaceX est une société jeune, souple et entreprenante, comme l’était à l’époque la Nasa ; laquelle est devenue lente, bureaucratique et prudente. Mais les deux entités ne se livrent pas à une course. Ce sont des partenaires. SpaceX ravitaille l’ISS avec une capsule Dragon portée par un Falcon 9. Et, en avril dernier, Elon Musk a annoncé que SpaceX enverrait une capsule Dragon inoccupée sur Mars dès 2018. Ce qui requiert le soutien technique de la Nasa, en particulier de ses énormes antennes radio pour que le vaisseau puisse communiquer avec la Terre.

    Il en faudra bien plus pour envoyer des gens sur Mars. Des billets à 500 000 dollars sont loin de couvrir les coûts, et SpaceX aura besoin de tout le savoir-faire de la Nasa pour garder ses passagers en vie. Quant à la Nasa, elle pourrait bénéficier des engins et de l’enthousiasme de SpaceX. Si jamais ces deux entités vont sur Mars, ce sera ensemble (ce que Musk lui-même a laissé entendre). Quand ? S’il s’agit d’un partenariat, le planning prudent de la Nasa prévaudra sans doute. Pour faire quoi ? On imagine mieux une poignée de scientifiques passant un an ou deux sur une petite base de recherche, comme en Antarctique, que des milliers d’émigrants permanents dans une métropole martienne.

    « J’encourage ceux qui pensent vouloir vivre sur Mars à passer un été ou, mieux, une année dans une station au pôle Sud », lance Chris McKay, un scientifique de la Nasa et spécialiste de Mars qui a travaillé en Antarctique. Suggérer que les humains pourraient trouver refuge sur Mars après avoir détruit la Terre « est absurde d’un point de vue éthique et technique. Nous devons considérer que nous n’avons pas le droit à l’échec. Si Mars constitue un bateau de sauvetage, alors le Titanic a l’air d’un happy end. »

    Pour effectuer le tri entre les candidats à un aller simple pour Mars, le cosmonaute Mikhaïl Kornienko suggère de leur faire passer un long séjour à bord de l’ISS. Il se rappelle l’instant du retour sur Terre, quand l’équipe au sol a ouvert la trappe du Soyouz. « Après la frénésie de la descente, l’air de la steppe pénètre l’habitacle et vous comprenez que le voyage est vraiment terminé. Et vous ne pouvez pas vous rassasier de tout cet air. Vous seriez capable de le couper au couteau et de l’étendre sur une tranche de pain. »

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