Le chalutage de fond affecte à la fois la vie marine et le climat

Cette méthode de pêche, que la Commission européenne prévoit d’interdire, produit des émissions nocives qui réchauffent la planète.

De Ayurella Horn-Muller
Publication 20 janv. 2024, 14:30 CET
En mer du Nord, près de la côte nord de la France, un chalut est hissé ...

En mer du Nord, près de la côte nord de la France, un chalut est hissé à bord d’un bateau de pêche. Le chalutage de fond est une pratique de pêche destructrice pour les fonds marins qui, selon une nouvelle recherche, émet également des gaz à effet de serre. 

PHOTOGRAPHIE DE Sylvain Lefevre, Getty Images

Le chalutage de fond, ou l'utilisation de lourds filets pour racler le fond de l'océan dans l'objectif de pêcher des poissons, a un effet néfaste sur la vie marine et les écosystèmes marins. Malgré cela, cette pratique représente encore plus d'un quart des prises de pêche dans le monde. 

Selon une nouvelle étude de référence publiée dans la rubrique Marine Science de la revue Frontiers, le chalutage de fond émet 370 millions de tonnes métriques de dioxyde de carbone dans l'atmosphère par an, ce qui le rend nocif à la fois pour la vie marine et pour le climat.

L’étude révèle qu’entre 1996 et 2020, le chalutage de fond a contribué à hauteur de 0,97 partie par million (ppm) au CO2 atmosphérique. Si cette pratique se poursuit, les auteurs prévoient qu'elle ajoutera 0,2 à 0,5 ppm de CO2 d'ici à 2030. À titre de comparaison, le taux de croissance du dioxyde de carbone dans l'atmosphère augmente actuellement d'environ 2,4 ppm par an en moyenne, selon le rapport 2023 Global Carbon Budget.

Il ne s'agit peut-être que d'une petite partie des émissions globales, mais les experts affirment que même de petites réductions peuvent contribuer à lutter contre le changement climatique. 

« Le réchauffement de la planète est semblable à une mort à petit feu. Les émissions de CO2 sont produites par un grand nombre de sources différentes », a déclaré Enric Sala, écologiste marin, explorateur en résidence de National Geographic et l'un des auteurs de la nouvelle étude. « Les émissions liées au chalutage de fond sont faibles par rapport aux émissions produites par la combustion de combustibles fossiles sur terre, mais absolument tout compte ». 

Les consommateurs pourraient être tentés de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour éviter d’acheter du poisson pêché au chalut de fond quand ils font leurs courses afin de mettre fin à cette pratique destructrice, mais Sala ajoute qu'à l'exception de quelques actions organisées, cela ne ferait sûrement pas une grande différence. Selon lui, il faudrait plutôt s'efforcer d'obtenir des zones protégées qu'elles restreignent totalement cette technique de pêche. 

« Le plus logique serait d'interdire le chalutage de fond dans les zones marines protégées », explique Sala. « On devrait commencer par là. »

COMMENT LE CHALUTAGE AFFECTE-T-IL LE CLIMAT ? 

En s’appuyant sur des recherches au sujet du potentiel de stockage du carbone, des données de pêche indiquant où le chalutage de fond a été pratiqué et des modèles de circulation océanique, les chercheurs ont pu estimer la quantité de CO2 que le chalutage a injectée dans l'atmosphère entre 1996 et 2020. Ils ont ensuite modélisé deux potentiels futurs scénarios, l'un dans lequel le chalutage de fond n’est plus du tout pratiqué en 2030 et l'autre dans lequel la pratique continue jusqu’en 2070.

Selon leurs résultats, entre 55 et 60 % des émissions produites par le chalutage de fond sous l'eau sont rejetées dans l'atmosphère en l'espace de neuf ans en moyenne, tandis que le CO2 restant peut acidifier le milieu où il est rejeté. Avec environ 370 millions de tonnes métriques de CO2, la fraction annuelle estimée de dioxyde de carbone émise dans l'atmosphère par le chalutage représente presque le double des émissions annuelles provenant de la combustion de carburant pour l'ensemble de la flotte de pêche mondiale. 

Cette étude « aide les gouvernements à comprendre que cette industrie peut émettre du CO2, et qu'elle le fait », a déclaré Trisha Atwood, professeure associée à l'université d'État de l'Utah et autrice principale de l'étude. « Ils ont la possibilité d'atténuer ces émissions avec une meilleure gestion de la façon dont la pêche est pratiquée et de l'endroit où elle l’est. »

Le chalutage des fonds marins implique généralement l'utilisation de « portes » métalliques pouvant peser chacune plus de 5 000 kilogrammes, utilisées pour naviguer et maintenir les filets alourdis à l'endroit prévu à cet effet, qui peut s'étendre sur près de 200 mètres. Cette pratique peut arracher des sédiments et détruire des habitats naturels en provoquant des perturbations physiques sur les fonds marins équivalentes à des coupes à blanc dans les forêts

« Nous savons depuis très longtemps que cette activité a des conséquences dévastatrices sur les écosystèmes très sensibles des fonds marins », a déclaré Camilo Mora, analyste de données à l'université d'Hawaï, qui a étudié les effets du changement climatique sur les écosystèmes marins et terrestres. « Aujourd'hui, grâce à cette étude, nous apprenons que les conséquences du chalutage de fond vont bien au-delà de l'écosystème lui-même », nous a écrit Mora, qui n'a pas participé à la recherche.

Selon la nouvelle étude, cette pratique de pêche très répandue est à l'origine des émissions les plus importantes en mer de Chine orientale, en mer Baltique, en mer du Nord et en mer du Groenland. Les chercheurs ont constaté que la mer de Chine méridionale, la mer de Norvège et la côte pacifique du Japon étaient également des zones où le CO2 produit par le chalutage était rejeté dans l'atmosphère en plus grande quantité que prévu, si l’on s’appuie sur l'activité locale de chalutage.

« Le CO2 produit par le chalutage se déplace dans l'océan. Il n'apparaît pas nécessairement là où l'on pêche au chalut », a expliqué Atwood en décrivant ce phénomène « choquant », où le chalutage à un endroit provoque en fait l'émission de CO2 à un autre endroit, comme un effet de « voisinage ». 

En 2021, elle a cosigné avec Sala un article qui a été le premier à quantifier la libération possible de carbone dans l'océan par le chalutage de fond et qui, selon eux, est à l'origine de la nouvelle recherche.

LE DILEMME DES CONSOMMATEURS

Certains, comme Mora, estiment que l'appel à l'action lancé par ces nouveaux résultats mériterait d’être plus ferme. « Le chalutage de fond n'en vaut pas la peine. Pour le peu de nourriture que nous en obtenons et la destruction qu'il provoque, il ne constitue pas une bonne option d'un point de vue moral, éthique ou même économique », a-t-il déclaré. « En plus des réglementations, le consommateur actif devrait être informé des conséquences de la consommation de certains types de poissons », a-t-il ajouté. 

Les consommateurs de l'Union européenne devraient être en mesure de savoir si le poisson qu'ils envisagent d'acheter au supermarché a été pêché au chalut, étant donné que l'Union européenne exige que les sources de poisson non transformé soient étiquetées avec le type d'engin de pêche utilisé pour la capture. Bien que cette réglementation soit appliquée par la loi française, elle n’est pas respectée dans tous les pays de l’Union et pour tous les produits.

Aux États-Unis, il n'existe aucune réglementation de ce type, bien que le chalutage de fond soit interdit dans plus de la moitié des eaux fédérales américaines et que l'engin utilisé pour le chalutage soit interdit dans plus d'un tiers, selon un rapport du Conseil américain de gestion des pêches datant de 2023.

Cependant, Sala considère que « faire porter le chapeau aux consommateurs » est une « tactique typique utilisée par l'industrie pour se dédouaner de ses responsabilités ». Selon lui, bien que le choix des consommateurs soit considéré comme une solution pour réduire la surpêche, trop peu de personnes modifient leur comportement alimentaire pour obtenir des résultats significatifs. Selon lui, une solution plus efficace serait l’interdiction du chalutage dans les zones marines protégées, où cette pratique de pêche est encore largement autorisée

« Le chalutage de fond est le moyen le plus dommageable d'extraire de la nourriture de l'océan. Nous savons que ses conséquences écologiques sont désastreuses », dit Sala. « S’ajoute aujourd’hui à cela l'impact du réchauffement climatique. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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