Les jeunes Tchadiens envoyés combattre au Yémen à leur insu
Engagés comme agents de sécurité, ces jeunes hommes deviendraient en réalité des mercenaires envoyés à leur insu prendre part à la guerre civile yéménite.
Selon des informations rapportées par nos confrères de RFI, des centaines de jeunes civils faisant partie de tribus arabes ou parlant arabe, originaires pour la plupart des zones frontalières communes au Tchad, au Niger et à la Libye, seraient trompés et enrôlés pour combattre au Yémen.
D’après le journal Al-Quds Al-Arabi Newspaper basé à Londres qui cite des sources en Arabie Saoudite, Riyad recruterait actuellement des mercenaires du Tchad. Des sociétés de sécurité basées aux Émirats Arabes Unis recruteraient activement des jeunes bien souvent pauvres et marginalisés, leur faisant miroiter un salaire mensuel variant entre 900 et 300 dollars. Les contrats qu’ils font signer à ces jeunes sans espoir d’avenir dans leur pays correspondent à des emplois d’agents de sécurité. En réalité, ils deviendront des mercenaires envoyés en guerre au Yémen à leur insu. Ces forces juvéniles auront pour mission de soutenir les militaires saoudiens dans leurs opérations terrestres.
UN PHÉNOMÈNE ÉTENDU
Cette nouvelle forme d’enrôlement toucherait même des Tchadiens résidant à Sebha, capitale de la région historique du Fezzan et du district de Sebha, au sud de la Libye. Des dizaines de jeunes Tchadiens y auraient été recrutés dans cette ville pour combattre au Yémen.
Les recruteurs sillonneraient le Tchad, le Niger et le sud libyen en accord tacite avec les autorités locales pour faire miroiter à ces jeunes un avenir plus prospère. Les missions qu’on leur présente sont souvent les mêmes : déploiement dans les pays du Golfe pour sécuriser, entre autres, la Mecque, les puits de pétrole et les bâtiments officiels.
Chérif Djako, un activiste tchadien basé à Paris, insiste sur le fait que les jeunes hommes recrutés n’ont pas la moindre idée de ce qui les attend : « Ils sont allés chercher des jeunes partout pour aller travailler aux Emirats comme membres de la sécurité civile mais, dès qu'ils sont arrivés aux Emirats, ils ont immédiatement été envoyés comme mercenaires pour faire la guerre contre les Yéménites ».
Ces mercenaires d’un nouveau genre sont spécifiquement recrutés parce qu’ils parlent arabe. Une fois arrivés au Yémen, ils revêtent des treillis militaires émirati et sont soumis à un court entraînement militaire avant d’être présentés comme des nouvelles recrues des Émirats arabes unis.
Si plusieurs sources confirment ce phénomène qui semble gagner en importance, le gouvernement tchadien a lui indiqué que le président du Tchad, M. Idriss Déby Itno, avait effectivement « pris part à la cérémonie marquant la fin de la manœuvre militaire aux côtés de ses pairs chefs d’État africains d’Asie » par la voix du porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Ahmad Makaïla. Celui-ci ajoute que le président tchadien n’a cependant « en aucune manière signé un quelconque accord avec qui que ce soit. »
« Le Tchad est un pays de droit et ne saurait s'engager sur des bases obscures et illégales », a-t-il encore déclaré. « Le ministère des Affaires étrangères regrette et dénonce vivement le relais et l'amplification faite à cette grotesque accusation qui a tout l'air d'une campagne de dénigrement ».
UNE GUERRE SANS FIN
Les Émirats Arabes unis et le Tchad sont tous deux engagés dans la guerre civile yéménite, conflit qui oppose depuis 2014 les rebelles chiites Houthis et les forces fidèles à l'ex-président Ali Abdallah Saleh au gouvernement d'Abdrabbo Mansour Hadi. Le conflit s'est internationalisé en mars 2015 avec l'intervention de nombreux pays musulmans menés par l'Arabie saoudite.
Les combats sont maintenant considérés par beaucoup comme une guerre par procuration entre les Saoudiens, qui soutiennent Hadi, et l'Iran, qui est soupçonné de soutenir les Houthis, bien qu'il n'y ait aucune preuve tangible pour l'affirmer.
Les Houthis, du nom de leur fondateur, Hussein Badr al Din Al Houthi, ont lancé leur première rébellion en 2004 contre l'ancien président du Yémen, Ali Abdullah Saleh. Ils réclamaient plus d'autonomie pour leur enclave nordique, l'une des plus pauvres et des plus négligées du Yémen.
Saleh a alors envoyé l'armée yéménite et mis à mort Hussein Badr al Din Al Houthi avant de mettre Sadah à feu et à sang, ce qui n'a fait que renforcer la détermination des Houthis. Trois révoltes subséquentes ont également été réprimées en 2010.
En 2011, le printemps arabe s'est propagé au Yémen. Des manifestants - dont de nombreux Houthis - ont envahi les rues de Sanaa et d'autres villes, exigeant la démission de M. Saleh, présenté comme personnage corrompu qui dirigeait le pays avec le soutien de la tribu la plus puissante du Yémen. Lorsque la dite tribu est à son tour descendu dans la rue pour se joindre aux manifestants en février 2012, Saleh a été contraint de démissionner et son vice-président, Abdrabbo Mansour Hadi, a été désigné comme son légitime successeur. Ce dernier a hérité d'un appareil de sécurité faible et divisé et n'a jamais été en mesure d'affirmer son autorité sur ce pays fragmenté.
L'Arabie saoudite, voisine du Yémen, craignant une résurgence du terrorisme islamiste si le pays s'enfonçait plus profondément dans la guerre, s'est rapidement déclarée déterminée à empêcher l'Iran chiite d'étendre son influence dans la région. Dès 2015, le royaume a lancé plusieurs opérations militaires pour sauver le gouvernement yéménite déchu, réunissant huit autres pays dominés par les sunnites: le Maroc, l'Égypte, la Jordanie, le Koweït, le Bahreïn, les Émirats arabes unis, le Qatar et le Soudan. Tous ont fourni des avions à réaction pour bombarder les forteresses Houthi.
Les États-Unis, qui considèrent l'Arabie saoudite comme l'un de leurs alliés les plus puissants et les plus incontournables dans la guerre contre Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA), fournissent également un soutien logistique et de renseignement.
En février 2018, l'ONU a dressé un nouveau bilan des pertes civiles : le blocus du pays par les puissances arabes a provoqué la « pire crise humanitaire de la planète » selon les Nations unies : 7 millions de personnes, soit un quart de la population, sont au bord de la famine ; 1 million ont été touchées par le choléra.
Selon un rapport remis aux élus du Congrès américain par les services de renseignement militaire le 12 avril 2018, 22 millions de Yéménites sur 30 au total se trouvent aujourd'hui en situation de risque humanitaire.