Au Tibet, la police chinoise intensifie la surveillance de la population
D’après un rapport de l’ONG américaine Human Rights Watch, le pouvoir chinois prélève désormais l’ADN des Tibétains de manière systématique.
Le drapeau chinois affiché sur le célèbre palais du Potala dans la vieille ville de Lhasa au Tibet.
Au Tibet, le pouvoir chinois resserre l’étau. Dernier outil de contrôle en date : la collecte d’ADN. Le régime chinois prélève l’ADN des Tibétains de manière systématique depuis 2019, y compris celui d’enfants de cinq ans, dénonce l’ONG américaine Human Rights Watch dans un rapport. À Lhassa, la capitale du Tibet, les autorités se sont même installées dans des crèches pour mener leurs opérations
Aucune des sept provinces de la région autonome du Tibet, où vivent 3,5 millions de personnes, n’est épargnée. L’ONG se base d’ailleurs sur les informations officielles parues dans chaque préfecture et municipalité de cette région pour démontrer l’existence de ce fichage systématique.
Face à cette opération de grande ampleur, les Tibétains restent largement démunis. « Il n'existe aucune preuve (...) que les gens peuvent refuser de participer ou que la police dispose de preuves crédibles d'un comportement criminel qui pourrait justifier une telle collecte » souligne le rapport. Qu’importe pour le régime : la lutte contre le crime et la nécessité de stabiliser le pays sont généralement invoqués lors de ces opérations. « La police utilise toujours des termes extrêmement vagues pour expliquer ces collectes. Vu son pouvoir, elle n’a pas réellement à se justifier auprès de la population» avance Maya Wang, responsable des enquêtes sur la Chine chez Human Rights Watch.
Le pouvoir chinois assume le caractère systématique de ces prélèvements. En 2022, les autorités locales du comté de Chonggye, dans la région autonome du Tibet, précisaient au sujet de ces prélèvements : « Aucun village ne doit être omis d'un canton, aucun foyer ne doit être omis d'un village, et aucune personne ne doit être omise d'un foyer ». D’après un autre rapport, celui de l’Institut australien de politique stratégique publié en 2020, la collecte d’ADN aurait même commencé dès 2013 au Tibet.
Pour l’instant, le but de ces collectes demeure opaque, si ce n’est d’instaurer un implacable climat de surveillance. « Les possibilités futures sont multiples. Le régime pourrait notamment coupler ces données à celle de la reconnaissance faciale, par exemple. Échapper à la surveillance devient de plus en plus compliqué» dénonce Maya Wang. « La collecte d'ADN n'est qu'un élément d'un régime de surveillance biométrique à multiple facette, qui comprend également des photos haute définition, (...) des empreintes digitales et des scans de l'iris, qui sont ensuite reliés à des dossiers personnels dans les bases de données de la police » complète le rapport de l’Institut australien de politique stratégique. « La police n’a pas le droit de faire ces prélèvements sanguins, au sens strict du droit chinois. Mais ils peuvent largement s’affranchir de cette question. L’enjeu principal est de maintenir le parti au pouvoir » poursuit Maya Wang.
Cette collecte d’ADN représente une pierre de plus à l’édifice du contrôle de la Chine au Tibet, édifice dont les fondations ont été posés dès les années 1950, après l’invasion militaire du Tibet par la République populaire de Chine de Mao Zedong. Commence alors une vaste entreprise de mise au pas des Tibétains. Et si, désormais, tous les habitants de la Chine sont soumis à une surveillance accrue, les Tibétains sont tout particulièrement concernées. « Contrairement aux Chinois des autres provinces, ils n’ont plus aucun espace de liberté. À titre d’exemple, un Chinois qui passe un coup de fil à l’étranger n’éveillera pas de soupçons. Ce n’est pas le cas des Tibétains. La police estime que ces échanges peuvent indiquer un soutien ou une loyauté envers l'activisme tibétain en exil. Nous avons documenté un cas où un moine est torturé et emprisonné pour avoir simplement envoyé des dons au Népal afin d’aider les Tibétains en exil victimes du tremblement de terre de 2015 » soutient Maya Wang.
En janvier 2022, la Chine a aussi lancé le programme « un foyer, un dossier » au Tibet, selon le rapport d’Human Rights Watch, qui cite les médias officiels du comté de Gyatsa et de la ville de Bayi comme source. Un policier désigné est chargé de passer dans les foyers pour rassembler des informations sur chaque habitant. Selon le Bureau de la sécurité publique chinois, ces opérations visent à établir « des relations directes entre la police et la population ».
Ces initiatives ne sont pas sans rappeler la situation des Ouïghours au Xinjiang. Là-bas, le pouvoir chinois avait poussé le curseur encore plus loin, en envoyant des cadres dormir chez les habitants pendant des périodes d’une semaine. Le régime avait même pris soin d’éditer un manuel afin de faciliter leur arrivée dans ces familles ouïghoures et pour faire « baisser la garde » de leurs hôtes selon l’anthropologue Darren Byler, qui écrit dans le magazine américain China Files en 2018. « Le manuel conseille (...) d’être chaleureux. « Ne leur faites pas la morale tout de suite », suggérait-il, « montrez-vous préoccupé par leur famille et apportez des bonbons pour les enfants ». Puis le manuel enjoint de prêter attention aux moindres détails : « En entrant dans le foyer, les membres de la famille semblent-ils agités (...)? » « Y a-t-il encore des objets religieux accrochés aux murs de la maison ? ». Objectif de la manœuvre : envahir le dernier espace d’intimité des Ouïghours, et vérifier qu’ils embrassent l’identité imposée par Pékin, en abandonnant notamment la religion musulmane.
Autre parallèle entre le Tibet et le Xinjiang, selon le rapport de l’Institut australien de politique stratégique, les données ADN de la quasi-totalité des 23 millions de Ouïghours ont été prélevées dans ce territoire à l’ouest de la Chine dès 2016. « Les pratiques de répression des deux provinces se nourrissent l’une et l’autre » constate Maya Wang. Chen Quanguo, l’homme qui fut en charge de la répression au Xinjiang, de 2016 à 2021 avait d’ailleurs fait ses premières armes au Tibet de 2011 à 2016, en occupant le même poste de secrétaire du Parti communiste. Une stratégie assumée au sommet de l’État. « En termes de sécurité nationale », avait déclaré le président chinois Xi Jinping en 2014, « les approches au Tibet et au Xinjiang sont les mêmes, et les objectifs sont également les mêmes. »