Mékong : la population de dauphins d'eau douce repart à la hausse

Les dauphins du Mékong, qui étaient jadis des milliers, ont été décimés par la guerre, la chasse et la pêche au filet.

De Stefan Lovgren
Publication 11 avr. 2019, 10:49 CEST
La population d'une espèce rare de dauphins repart à la hausse

Il est 17h30 quand plusieurs bateaux de touristes s’attardent au milieu du Mékong. Un soleil d'un orange profond projette une lueur chaude sur l'eau brune. C'est donc le moment idéal pour photographier les rares dauphins de la rivière Irrawaddy qui se rassemblent ici. Ces dauphins ne sont pourtant pas des modèles très disposés à poser, comme le découvrent les touristes du jour.

Alors que les dauphins marins sautent souvent hors de l'eau tout en nageant de façon continue, les dauphins au rostre arrondi d'Irrawaddy, dont la taille peut atteindre 2,5 mètres de long, n'émergent que partiellement avant de replonger. Ils peuvent apparaître brièvement à un endroit puis réapparaître la fois suivante dans un endroit aléatoire situé à quelques centaines de mètres. Le déclic des appareils photos des touristes qui suit chaque apparition survient alors inévitablement trop tard.

Si leurs apparitions sont impressionnantes, le plus remarquable exploit de ces dauphins est peut-être justement de ne pas avoir disparu.

Pendant des décennies, la population de dauphins d'Irawaddy du Mékong, au Cambodge, s'est progressivement rapprochée de l'extinction. Si à une époque des milliers d'individus avaient été dénombrés, la population a commencé à s'effondrer dans les années 1970. Pendant le règne des Khmers rouges et les années de guerre qui s'en sont suivies, les dauphins ont été chassés comme une ressource alimentaire. La pêche au filet non-distinctive, dans laquelle les dauphins finissent parfois par devenir des prises accessoires, a eu des conséquences néfastes et, au début du millénaire, il en restait peut-être moins de 100.

Certaines mesures de conservation ont finalement été mises en place au milieu des années 2000 lorsque le Fonds mondial pour la nature (WWF) s’est associé au gouvernement cambodgien pour soutenir les efforts des forces de l’ordre visant à lutter contre les pratiques de pêche non durables, notamment l’utilisation de poisons et de dynamite. À peu près à la même époque, le gouvernement cambodgien a également commencé à promouvoir les dauphins en tant qu'espèce incontournable et attraction touristique. Cependant, il faut du temps pour réprimer les activités illégales et en 2015 un recensement de la population révélait qu'il ne restait que 80 spécimens.

Mais l'année dernière, de bonnes nouvelles sont arrivées. Une nouvelle étude a recensé 92 dauphins dans le Mékong, nombre le plus élevé depuis plus de 20 ans. Les chercheurs ont identifié neuf nouveau-nés. Cette année, trois autres ont déjà été repérés. Eng Chea San, directeur général de l'Administration des pêches cambodgienne, a déclaré qu'une douzaine de dauphins ou plus, jusque-là jamais identifiés, vivaient dans la rivière.

Il ne faut cependant pas encore crier victoire. La population de dauphins reste bien en dessous de ce qui est considéré comme stable pour assurer sa survie future. Un large éventail de menaces persistent, notamment la construction d'un nouveau barrage de 2 600 mégawatts à Sambor, au Cambodge, qui aurait pour effet de nuire à l'habitat principal des dauphins. La mortalité élevée chez les jeunes dauphins continue également d'interroger les scientifiques. 

Mais Mark Drew, directeur de programme du WWF au Cambodge qui a piloté la campagne de préservation des dauphins, explique que « nous avons peut-être réussi à inverser la tendance. » Le directeur du  WWF au Cambodge, Teak Seng, qualifie cela « de nouvelles fabuleuses », mais ajoute que le temps n'est pas à la complaisance. « Alors que les menaces qui pèsent sur leur survie persistent, nous devons redoubler d'efforts pour protéger les dauphins à la fois pour leur avenir, pour celui du fleuve et des communautés qui vivent sur ses berges », a-t-il déclaré.

 

DES STARS DE L'ÉCOTOURISME

Moins connus que leurs cousins des océans, les dauphins des rivières comptent parmi les créatures les plus menacées de la planète. Selon une étude de la Royal Society, en 2007, le dauphin de Chine, ou bajji, est devenu le premier mammifère à disparaître depuis plus de cinquante ans et la première espèce de cétacés à avoir été menacé d'extinction par l'activité humaine.

Les dauphins d'Irrawaddy, qui, avec leurs fronts bombés ressemblent à de petits bélugas, vivent dans les eaux saumâtres près des côtes, des embouchures de rivières et des estuaires en Asie du Sud. Mais trois sous-populations d'eau douce ont été identifiées dans trois fleuves, dont le fleuve Mahakam en Indonésie, le fleuve Ayeyarwady (ou Irrawaddy) au Myanmar et le Mékong, qui prend sa source dans les hautes terres tibétaines et traverse six pays asiatiques avant de se jeter dans la mer méridionale de Chine.

La population du Mékong, considérée comme la plus nombreuse des trois, se trouve ici dans le nord du Cambodge. C’est une région qui subit, comme la majeure partie du Cambodge, la pression de la pêche intensive depuis des décennies. Le plus gros problème pour les dauphins a été l'enchevêtrement dans les filets maillants, les conduisant à la noyade.

En 2012, le gouvernement cambodgien a déclaré l'ensemble du tronçon du fleuve zone protégée, la pêche devenant ainsi interdite de façon permanente dans l'habitat principal du dauphin. Aujourd'hui, les règles sont appliquées par un contingent de 32 gardes fluviaux et les responsables affirment que la mortalité globale des dauphins a considérablement diminué. « C’est sans doute à cause des efforts de conservation que nous voyons de plus en plus de dauphins », déclare Eam Sam Un, responsable de la biodiversité et de la surveillance pour WWF.

Selon les écologistes, une plus grande implication des communautés locales a également aidé. Vénérés au Cambodge et au Laos, où beaucoup de gens croient que ces animaux sont la réincarnation de leurs ancêtres, les dauphins d’Irrawaddy sont maintenant au centre du secteur de l’écotourisme en plein essor au Cambodge, qui soutient le travail de conservation.

L’attention portée aux dauphins a également eu des retombées positives sur d’autres espèces de la région du Mékong en proie à des troubles écologiques, a déclaré Zeb Hogan, biologiste marin à l’Université du Nevada à Reno, qui dirige un projet de recherche de l'Agence des États-Unis pour le développement international appelé Wonders of the Mekong. « Le dauphin est une espèce phare. Il est bien connu dans la région, il est très visible et attire les intérêts et les financements nationaux et internationaux en matière de conservation », dit-il. « La protection des dauphins contribue à protéger l'habitat d'autres espèces de la région, notamment des tortues en voie de disparition et des poissons de grande taille. »

 

RÉPERTORIER LES DAUPHINS

Les chercheurs ont encore beaucoup à apprendre sur le comportement et l'environnement des dauphins d’Irrawaddy, a déclaré Lindsay Porter, une experte des dauphins qui s’est rendue au Cambodge et travaille avec l’Unité de recherche sur les mammifères marins basée à Hong Kong et rattachée à l’Université britannique de St. Andrews.

« Nous ne savons pas vraiment pourquoi les dauphins se rassemblent dans ces mares, dont certaines peuvent atteindre une profondeur de 46 mètres », indique Porter. « Cela pourrait être dû à la disponibilité de la nourriture ou peut-être parce qu'il y a moins de perturbations. »

Les chercheurs tentent de suivre tous les individus de cette population, ce qui n’est pas une tâche facile. La seule façon de différencier les individus est par leurs petites nageoires dorsales, qui ont des formes légèrement différentes. Le fait que les animaux n'apparaissent que très peu de temps sans vraiment sortir leur corps de l'eau les rend extrêmement difficiles à photographier à des fins d'identification.

« Cela signifie que l'on passe beaucoup d’heures sur l’eau », a déclaré Porter, qui participe à un projet de mise à jour de l'inventaire détaillé des différents dauphins tenu par les autorités. Porter et d’autres chercheurs prévoient également d’étudier l’utilisation sophistiquée du sifflement par les dauphins comme moyen de communication.

Teak, le directeur du WWF, est optimiste quant à l’avenir de ces animaux. « Le dauphin d'Irrawaddy est le trésor national vivant du Cambodge et un indicateur clé de la santé du Mékong », a-t-il déclaré. « Leur rétablissement est un signe encourageant pour le fleuve et les millions de personnes qui en dépendent. Après des années de travail acharné, nous avons enfin des raisons de croire que ces dauphins emblématiques peuvent être sauvés de l'extinction. »

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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