Les araignées-loups adaptent leur menu au climat
Des chercheurs se sont demandés comment le réchauffement climatique modifiait le comportement des animaux. En Arctique, ils ont découvert des araignées dont les préférences alimentaires changent avec la chaleur. Avec des conséquences surprenantes.
Les araignées-loups changent de menu quand les températures montent. C’est la nouvelle surprenante publiée par une équipe menée par Amanda Koltz, chercheuse en écologie de l’université Washington à Saint-Louis, Missouri. La question n’est pas ici de délaisser le pot-au-feu pour se tourner vers les barbecues au cours de l’été. Les araignées étudiées dans la toundra d’Alaska semblent opter durablement pour des proies différentes quand elles sont exposées à un environnement plus chaud.
Les araignées-loups (Lycosidae) forment l’une des grandes familles d’araignées. Elles sont répandues sur la quasi-totalité du globe. Et, pour la plupart, elles n’attendent pas que leurs proies s’offrent à elles, bien cachées à l’abri d’une toile, mais sont plutôt adeptes de la chasse à l’affût. C’est notamment le cas de l’espèce endémique des régions arctiques, Pardosa glacialis, qui fait l’objet de cette étude.
Particulièrement abondantes, ces arachnides font donc partie des plus importants prédateurs de la toundra, ce qui leur confère un poids majeur dans la chaîne alimentaire de l’Arctique. C’est pour cette raison que les auteurs de cette recherche, parue en août 2018 dans Proceedings of the National Academy of Sciences, ont étudié ces chasseuses de quelques centimètres afin de comprendre les conséquences du changement climatique sur les interactions entre espèces. Bénéficiant désormais d’une fonte des neiges plus tôt dans la saison, les araignées-loups de l’Arctique ont déjà vu leur taille augmenter et leur progéniture devenir plus nombreuse.
À l’aide d’enclos de 1,5 m de diamètre, les écologues ont créé des zones d’études comportant un nombre d’araignées variable et, pour la moitié de ces espaces, un système de simulation du réchauffement climatique. Ils avaient prévu de mesurer l’augmentation de la prédation des araignées sur leurs proies et particulièrement sur les collemboles, de petits arthropodes de quelques millimètres, dont elles raffolent. Mais les résultats ont été inattendus.
Dans la plupart des espaces plus chauds, la population de collemboles, au lieu de diminuer, avait augmenté significativement. La cause ? Les chercheurs ont constaté que les araignées-loups s’étaient détournées de leurs proies favorites pour chasser d’autres types d’arachnides, ainsi que des mille-pattes. Une révolution à l’échelle de ce monde minuscule, dont les collemboles sont les grands gagnants : ceux-ci bénéficient doublement du changement d’alimentation de Pardosa glacialis : d’une part, par son désintérêt ; de l’autre part, du fait de la diminution des prédateurs intermédiaires devenus menus privilégiés de l’arachnide. Résultat, la population de collemboles s’envole et ceux-ci peuvent se consacrer pleinement à leurs propres repas en dévorant les champignons de la toundra.
Les raisons qui poussent les araignées à modifier leur alimentation restent mystérieuses. En revanche, les conséquences sur l’environnement sont détaillées par les biologistes : la diminution du nombre de champignons entraîne à son tour un ralentissement de la décomposition des déchets organiques et une réduction des émissions de gaz carbonés. Le changement de menu des araignées-loups, provoqué par l’élévation de la température, pourrait donc paradoxalement ralentir légèrement le réchauffement de la toundra. Pas suffisamment cependant pour éviter un bouleversement de l’Arctique, où le climat change plus vite qu’ailleurs, et peut-être d’autres effets surprenants sur les animaux de la région.
En septembre 2019, le magazine National Geographic propose un numéro spécial sur l'Arctique.