Les dinosaures étaient-ils résistants à la douleur ?

Fractures des épaules, des côtes, du cou, du dos, de la mâchoire... D’après une étude britannique, les dinosaures, qui peuplaient la Terre il y a 240 à 66 millions d’années cumulaient les blessures, parfois graves. Mais certains y survivaient.

De Taïna Cluzeau
Publication 29 oct. 2019, 17:56 CET
Cette vision d'artiste illustre le nouveau souffle de vie apparu au cours des périodes du Trias ...
Cette vision d'artiste illustre le nouveau souffle de vie apparu au cours des périodes du Trias inférieur et moyen. Les extinctions massives qui marquent la fin de la période du Permien ont permis aux plantes et aux animaux qui leur ont survécu de grandir et de se diversifier en l'absence relative de concurrence et de prédateurs. Ces conditions ont permis l'avènement des dinosaures, des ptérosaures et des premiers crocodiliens.
PHOTOGRAPHIE DE Illustration de Highlights for Children/Oxford Scientific/JupiterImages

Sue, surnom du fossile de tyrannosaure le plus complet trouvé à ce jour, était bien mal en point lors de son exhumation. Une omoplate et un humérus endommagés, trois côtes ressoudées, un péroné déformé et deux vertèbres de la queue fusionnées : tel est le bilan de santé que l’étude de son fossile a révélé. Pourtant, malgré cette série de blessures, Sue aurait vécu pas moins de vingt-huit ans. (À lire aussi : Combien vaut réellement un fossile de dinosaure ?)

Les dinosaures étaient-ils des créatures coriaces, capables de supporter des douleurs intenses? Les Hearn (Cochrane PaPaS Review Group)  et Amanda C. de C. Williams (University College London) ont publié en septembre 2019 une étude s’appuyant sur un corpus de plus de 200 descriptions de blessures chez ces animaux qui vécurent entre -240 et -60 millions d’années. Parmi les traumatismes observés, une majorité de fractures, dont les plus handicapantes concernent les membres supérieurs et inférieurs, notamment les épaules, la ceinture pelvienne, les côtes, le cou, le dos, la queue et la mâchoire.

« C’est la première fois que l’on se penche directement sur la question de la douleur chez les dinosaures », se réjouit Les Hearn, qui a passé trois ans à collecter et analyser les données. Seul bémol : si cette étude montre que survivre à d’importants traumas était loin de constituer une exception chez ces créatures, il est impossible d’évaluer aujourd’hui dans quelle mesure elles supportaient la douleur. « Les comportements ne sont pas préservés dans les restes paléontologiques, donc, pour les dinosaures, nous sommes limités à ce que nous pouvons déduire des os fossilisés et des pistes d’empreintes », expliquent les auteurs dans l’étude. 

« En tant que spécialiste de l’évolution des comportements liés à la douleur chez les vertébrés, ce que je me suis demandé, avant de me lancer dans cette recherche, c’est si on pouvait démontrer que les dinosaures éprouvaient déjà la douleur, et s’ils adaptaient leur comportement en fonction de celle-ci », précise Les Hearn. Il ne reste en effet plus de preuve directe que les dinosaures possédaient le sens de nociception, le processus sensoriel à l’origine du message nerveux qui provoque la douleur.

Néanmoins, explique le chercheur, « quand un animal se blesse, il est nécessaire qu’il protège cette blessure afin d’en guérir. La fonction de la douleur est de l’inciter à cela. Les oiseaux, descendants de dinosaures, et les crocodiles, qui leur sont apparentés, présentent des comportements liés à la perception de la douleur, comme tous les animaux que nous connaissons. Il n’est donc pas controversé d’admettre que si de nombreux dinosaures ont survécu à leurs blessures, c’est qu’eux aussi devaient ressentir la douleur et adapter leur comportement. » Les paléontologues ont d’ailleurs identifié, le long de pistes d’empreintes, des preuves de claudication, une réaction typique pour éviter la douleur, mais qui peut aussi être un signe de malformation congénitale.

Selon les chercheurs, « certaines blessures devaient entraver sérieusement la mobilité des dinosaures, altérer leur capacité à chasser ou à échapper aux prédateurs ». Pour survivre, ils devaient donc probablement pouvoir compter sur l’aide de leurs congénères. Il est envisageable qu’ils aient été capables de les alerter par des cris de détresse, à l’instar d’espèces de crocodiles et d’oiseaux d'origines très anciennes, bien qu’on n’ait pour l’instant retrouvé aucune trace d’appareil vocal comme le larynx ou le syrinx dans les fossiles de dinosaures. Des ossements découverts dans des terriers pourraient indiquer que les dinosaures les plus petits s’y réfugiaient, tandis que les plus grands auraient pu se mettre à l’abri dans des grottes. Reste qu’ils n’auraient pas pu survivre très longtemps sans eau ni nourriture. Les herbivores mal en point ont pu certainement profiter de la protection passive de la harde : plus le nombre de têtes est important, moins il est probable d’être mangé par les prédateurs.

Les carnivores blessés, quant à eux, recevaient peut-être de la nourriture des autres membres de la meute, comme c’est le cas aujourd’hui chez certains groupes de canidés sauvages. « Il existe des éléments appuyant l’hypothèse que les tyrannosaures évoluaient en meute, précise Les Hearn. Par exemple, on a découvert le fossile de Sue en compagnie de trois autres tyrannosaures de tailles différentes. » De plus, comment expliquer le cas de cette femelle Oviraptor retrouvée en pleine nidation au moment de sa mort, et dont les examens du squelette ont montré un os du cubitus endommagé, mais parfaitement ressoudé ? Pour que l’os se remette ainsi, l’animal a dû arrêter de chasser pendant plusieurs semaines. Pourtant, la femelle a été capable de se reproduire. Elle a donc certainement été nourrie, avance l’étude. 

D’autres indices étayent l’hypothèse de comportements sociaux de protection. Il a été découvert récemment que le cerveau des oiseaux, descendants des dinosaures, contenait bien plus de neurones qu’envisagé par le passé, soit autant que celui de nombreux primates. Cela pourrait signifier que le cerveau des dinosaures était, lui aussi, capable de gérer une grande variété de comportements complexes, comme préserver sa propre espèce, notamment les membres les plus jeunes. L’existence de nids et de traces de meutes ou de hardes, où les plus jeunes semblent marcher sous la garde d’un adulte, vont également dans ce sens. 

« Nous devons être prudents, car nous n’avons pas vu directement ces comportements chez les dinosaures, mais comme des comportements similaires sont observés de nos jours chez les animaux sauvages, il est logique et légitime de penser que les dinosaures n’étaient pas différents », conclut le chercheur.

Prochaine mission pour Les Hearn : enrichir sa base de données sur les blessures de dinosaures. « Nous n’avons pas réuni assez de descriptions de fossiles endommagés pour construire des statistiques fiables. Par exemple, nous avons observé que les carnivores présentent en moyenne plus de blessures que les herbivores, notamment au niveau des épaules et des pattes avant, probablement subies en luttant avec leurs proies. Cependant, de fait, les herbivores sont mangés et digérés par les prédateurs, en particulier les animaux blessés, plus faibles. Il existe donc un biais statistique qui ne nous permet pas, avec ce faible nombre d’observations, de conclure avec certitude. » Le chercheur a commencé à contacter des musées possédant des collections de fossiles, afin de déterminer si certains présentent des traumatismes n’ayant pas encore fait l’objet d’une publication scientifique.

 

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