Plus elle vit en profondeur, plus cette pieuvre a une peau rugueuse

Les pieuvres lisses et rugueuses des profondeurs du Pacifique sèment depuis longtemps la confusion chez les scientifiques : sont-elles de la même espèce ? Cette question pourrait bien avoir trouvé une réponse.

De Liz Langley
Publication 10 oct. 2019, 17:47 CEST
Graneledone verrucosa, la version Atlantique de la pieuvre verruqueuse du Pacifique, a ici été photographiée au ...
Graneledone verrucosa, la version Atlantique de la pieuvre verruqueuse du Pacifique, a ici été photographiée au large de la côte nord-est des États-Unis en 2013. Toutes les espèces Graneledone ont des verrues, mais certaines sont plus lisses que d'autres.
PHOTOGRAPHIE DE Noaa

Dans les abysses de l'océan Pacifique, des pieuvres mauve pâle affublées de deux yeux géants dignes de personnages de dessin-animé arpentent le plancher océanique. Certaines sont recouvertes d'excroissances prononcées alors que d'autres semblent avoir une peau presque lisse ; une énigme sur laquelle les scientifiques se creusent la tête depuis fort longtemps. Ces animaux à l'apparence différente seraient-ils en fait de la même espèce ?

La réponse est oui, selon une nouvelle étude qui va même plus loin en affirmant que plus la pieuvre est verruqueuse, plus elle vit profondément, déclare l'auteur principal de ladite étude Janet Voight, conservatrice adjointe de la zoologie des invertébrés au musée Field de Chicago.

L'équipe a également découvert que les pieuvres verruqueuses du Pacifique les plus cabossées (Graneledone pacifica), qui peuvent vivre jusqu'à 2,7 km sous la surface, ne seraient pas plus grandes qu'un clavier d'ordinateur, bien plus petites que celles à la peau plus lisse vivant à 1,1 km de profondeur et dont la taille serait proche du mètre. (À lire : Pourquoi les pieuvres nous ressemblent-elles tant ?)

C'est surprenant, notamment parce que ça ne colle pas avec un phénomène biologique appelé gigantisme abyssal selon lequel les créatures vivant dans les profondeurs sont généralement plus grandes que leurs homologues de surface. La théorie voudrait que la fraîcheur des températures augmente la taille des cellules et leur durée de vie, ce qui donnerait naissance à des corps plus grands. Les eaux froides ralentissent également le métabolisme de certaines espèces, comme les isopodes géants ou bathynomes, afin qu'un environnement aux réserves minimalistes de nourriture ne soit pas tant problématique.

Cependant, pour ces pieuvres, il est possible que la petite taille des profondeurs soit liée au manque de nourriture, suggère Voight. Nos connaissances de leur régime alimentaire sont minces mais d'après les résidus qu'elle a trouvés sur certains spécimens, Voight pense que ces pieuvres pourraient se nourrir en « passant leurs petites ventouses sous les sédiments pour ramasser de petits escargots, des vers et des palourdes qu'elles portent directement à leur bouche. »

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    Il est également possible que les pieuvres femelles au régime restreint produisent des œufs plus petits qui engendrent des adultes de taille moins importante.

    Nous ne savons également pas pourquoi elles sont verruqueuses, déclare Voight, illustrant au passage à quel point nous en savons peu sur les océans qui représentent 71 % de notre planète mais sont encore si peu étudiés.

     

    EMPLACEMENT, EMPLACEMENT, EMPLACEMENT !

    Pour cette étude, Voight a capturé huit pieuvres au large de la côte Ouest des États-Unis à l'aide de véhicules contrôlés à distance et ALVIN, un minuscule sous-marin conçu pour embarquer 1 pilote et 2 scientifiques. Les spécimens conservés, notamment ceux du musée Field, ont porté le nombre total d'individus à 50. Voight et ses collègues ont ensuite étudié la structure physique des animaux en analysant les ventouses de leurs tentacules, leurs verrues et leurs tubercules, ces petites excroissances à l'intérieur des verrues qui leur confèrent leur texture.

    Une fois les structures corporelles des animaux cataloguées, une analyse informatique sophistiquée en trois dimensions a conclu que la profondeur était le facteur responsable de l'apparence lisse ou verruqueuse des pieuvres. Une analyse plus approfondie de l'ADN a permis de montrer que les deux types de pieuvres étaient de la même espèce, selon l'étude parue le 08 octobre dans la revue Bulletin of Marine Science.

    Experte des pieuvres rattachée à l'université de Lethbridge à Alberta, Jennifer Mather a été impressionnée par le nombre de spécimens étudiés. Lorsqu'il s'agit de se cacher, les pieuvres sont bourrées de talent et le simple fait de les débusquer exige d'utiliser un équipement complexe, et ce, plus particulièrement dans les profondeurs des océans. (À lire : Découverte de la plus grande nurserie de pieuvres au monde.)

    Spécimen particulièrement verruqueux de l'espèce Graneledone verrucosa évoluant dans l'océan Atlantique.
    PHOTOGRAPHIE DE Noaa

    La détermination est un autre facteur essentiel. « La patience du Dr Voight a été récompensée, » déclare Mather, qui n'a pas pris part à l'étude.

    Elle ajoute que certaines pieuvres évoluant dans les eaux peu profondes peuvent également présenter des excroissances temporaires lorsqu’elles cherchent à se camoufler sur une surface cabossée et d'ailleurs, cette explication avait déjà été avancée par certains pour expliquer l'apparence des pieuvres verruqueuses du Pacifique. Toutefois, grâce à son étude portant sur des animaux vivants et morts, Voight a pu confirmer que la « sculpture de leur peau » était définie dès la naissance.

     

    DES ANCÊTRES VERRUQUEUX ?

    L'utilité des verrues reste inconnue bien que toutes les espèces du genre Graneledone en possèdent. Il est possible que cet aspect verruqueux soit une structure vestigiale, « elle est donc présente chez tous les membres du groupe qu’elle offre ou non un avantage, » explique Voight.

    La prochaine mission de Voight sera de déterminer pourquoi ces invertébrés deviennent plus petits et plus verruqueux à mesure que l'on descend en profondeur. Elle souhaite par exemple analyser l'intérieur des verrues à la recherche d'indices : le « quoi » pourrait mener au « pourquoi », indique-t-elle.

    Plus généralement, son étude s'ajoute aux efforts actuellement fournis pour déterminer comment la vie parvient à s'épanouir à de telles profondeurs océaniques, dans l'obscurité totale et avec aussi peu de nourriture, ajoute-t-elle.

    « Comment font ces animaux pour vivre dans les abysses ? Je pense que c'est une question que se posent tous les biologistes des fonds marins, » conclut Voight.

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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