Les araignées paons ont recours à des illusions d'optique pour envoûter leur partenaire
Ces petites araignées arborent des taches si noires qu'elles absorbent près de 99,5 % de la lumière et font ressortir les couleurs voisines.
Une bouille à croquer qui multiplie les yeux, une parade nuptiale sophistiquée et des sauts dignes des plus grands ninjas… une chose est sûre, les araignées paons savent se faire remarquer.
De plus, l'arrière-train des mâles est brillamment coloré et ces messieurs n'hésiteront pas à secouer leur éventail de bleu, de violet, d'or ou de rouge dans le but d'amadouer de potentielles partenaires.
Et à en croire les scientifiques, ces araignées pas plus grandes qu'une phalange auraient un dernier tour dans leur sac pour épater les dames : des taches noires intercalées entre leurs nuances en technicolor.
« Si vous encadrez de noir une couleur éclatante, elle prend une tout autre apparence, » déclare Dakota McCoy, l'étudiante de l'université Harvard qui a récemment décrit ces taches d'un noir intense chez deux espèces d'araignées sauteuses dans la revue Proceedings of the Royal Society B.
« Nous pensons que le noir les rend plus attrayantes en accentuant les couleurs adjacentes. »
Selon les observations de l'équipe de chercheurs, le noir profond de ces araignées ne refléterait que 0,5 % de la lumière incidente, ce qui se traduirait par un vide de couleur sans reflet ni relief.
Cela signifie que les postérieurs de ces araignées absorbent la lumière comme peu d'autres dans la nature, à égalité avec les oiseaux du paradis, une autre espèce chez laquelle les mâles séduisent les femelles grâce à des performances aux couleurs éclatantes.
Donc, si vous vous demandez à quel point ces taches pourraient être plus sombres, la réponse est « presque pas » : elles ne pourraient presque pas être plus sombres.
ILLUSIONS D'OPTIQUE
Récemment, McCoy et ses collègues ont étudié un type similaire de coloration noire chez les oiseaux du paradis mâles. Ils ont découvert que leur noirceur était le fruit de structures microscopiques qui emprisonnent la majorité de la lumière entrante pour créer une surface sans relief d'un noir intense.
Après avoir regardé les vidéos des chorégraphies pour huit pattes de diverses araignées paons, McCoy s'est demandé si un mécanisme similaire pouvait expliquer les taches noires, tout sauf brillantes, qui ponctuaient la robe colorée des araignées.
« Nous avons remarqué qu'elles arboraient également un noir profond juxtaposé à des couleurs vives et nous avons pensé : "Ce serait génial si ces animaux de parenté éloignée, avec des modes de vie semblables, avaient développé exactement la même illusion visuelle au cours de leur évolution," » raconte McCoy.
Avec ses collègues, elle s'est donc intéressée de plus près aux taches très sombres affichées par Maratus speciosus et Maratus karrie, deux espèces natives d'Australie. Une analyse au microscope électronique a révélé que chez ces deux espèces, les taches noires contenaient de la mélanine (des pigments noirs) glissée derrière une couche de bosses dans les cuticules de l'araignée.
En s'appuyant sur des comparaisons avec les arrière-trains d'araignées plus lisses et moins noirs ainsi que sur des simulations de la façon dont la lumière interagit avec ces bosses, l'équipe a conclu que ces dernières agissaient comme des microlentilles. En piégeant et dirigeant la lumière sur le pigment noir, les microlentilles suppriment les reflets et procurent au noir toute son intensité.
De plus, M. karrie présentait une couche d'écailles fines, semblable à une brosse, apposée au-dessus des lentilles à bosses et qui, selon les chercheurs, aurait une fonction similaire à celles des barbules des plumes d'oiseaux.
Cette manipulation de la lumière associée au pigment donne naissance à des taches très noires qui amènent les araignées femelles à percevoir les couleurs voisines avec une brillance incroyable.
« Si c'est vrai, c'est plutôt fascinant, » déclare McCoy, en précisant que le système visuel des araignées est assez différent de celui des autres animaux. Toutefois, « peut-être que ce "super noir" révèle un biais sensoriel fondamental, une nécessité pour la vision des couleurs qui génère également des illusions d'optique. »
MALINE L'ARACHNIDE
Ce n'est pas étonnant de voir que les araignées paons utilisent ce noir intense pour sublimer leurs couleurs, déclare Bill Hsiung, chercheur postdoctoral à la Scripps Institution of Oceanography qui a longuement étudié la coloration des araignées.
À vrai dire, les araignées paons ont recours à une variété de techniques complexes pour étoffer leur fondement, leurs couleurs rouges et dorées scintillantes étant l'œuvre de pigments et l'iridescence des bleus et des violets celle de structures réfléchissant la lumière.
Hsiung rejoint l'équipe de scientifiques sur le rôle de la structure et des pigments dans la création des taches noires chez les araignées paons. Cependant, il émet quelques réserves quant à la détermination de l'élément structurel.
« Comprendre comment une couleur est produite (ou non) est un pas en avant vers le déchiffrage de la fonction biologique d'une telle couleur, » écrit Hsiung par e-mail.
« Il se peut que nous ne sachions jamais vraiment comment ces petites araignées perçoivent leur environnement mais ce type de recherche nous montre que leur cerveau minuscule pourrait avoir plus de capacité que nous ne l'imaginons. »
LES ARAIGNÉES DU PARADIS
On retrouve ce type de noir intense chez de nombreuses espèces, les poissons des abysses et les papillons l'utilisent pour se camoufler alors que les serpents peuvent arborer des écailles noires pour signaler leur toxicité. Pour le moment, les oiseaux du paradis et les araignées paons sont les seuls animaux dont on pense qu'ils utilisent cette particularité pour séduire leurs futurs partenaires.
Néanmoins, pour réellement prouver que ce noir de jais affecte les choix de reproduction des araignées paons femelles, McCoy précise qu'il faudra pousser plus loin les expériences comportementales.
« Les araignées paons et les oiseaux du paradis sont deux des types d'animaux les plus élaborés sur Terre, » affirme McCoy.
« Je les surnomme parfois "araignées du paradis", mais bien entendu, c'est une vision du monde que l'on pourrait qualifier d'ornithocentrée. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.