Tiger King condamné à 22 ans de prison

Autrefois à la tête d'une vaste organisation qui exploitait ces grands félins, le juge a décidé que Joe Exotic ne pourra plus jamais posséder de tigres.

De Sharon Guynup
Photographies de Steve Winter
Publication 30 janv. 2020, 12:30 CET, Mise à jour 16 déc. 2020, 11:34 CET
Un agent sous couverture du Fish and Wildlife Service des États-Unis tient dans ses mains l'un ...
Un agent sous couverture du Fish and Wildlife Service des États-Unis tient dans ses mains l'un des cinq crânes de tigre découverts sur les terres de l'actuel Greater Wynnewood Exotic Animal Park. Ces crânes ont servi de preuves dans un procès qui a abouti à la condamnation de l'éleveur Joe Exotic pour avoir tué, vendu et transporté illégalement des tigres, ainsi que pour avoir sollicité les services d'un tueur à gages.
PHOTOGRAPHIE DE Steve Winter

C'est pieds et poings liés que Joseph Maldonado-Passage, alias « Joe Exotic », est entré dans le tribunal fédéral d'Oklahoma City mercredi dernier pour entendre sa sentence. Il portait l'habituelle tenue orange des prisonniers américains. Jusqu'à son arrestation en septembre 2018, il dirigeait l'un des plus grands établissements d'élevage de tigres aux États-Unis, où il proposait également de caresser des tigreaux ou de se prendre en photo à leurs côtés et se donnait même parfois en spectacle dans des costumes dignes des plus grands showman de Las Vegas.

Mais cet homme autrefois acclamé comme le Roi des tigres apparaissait désormais plus feutré, presque hagard. Disparu, l'homme de spectacle exubérant et confiant que j'avais eu l'occasion d'observer au printemps dernier durant les sept jours de son procès. Le 2 avril, un jury le reconnaissait coupable de deux chefs d'accusation pour tentative d'assassinat par tueur à gages et 17 autres pour criminalité liée aux espèces sauvages ; un procès que nous avions évoqué dans le cadre plus large d'un article qui cherchait à comprendre pourquoi entre 5 000 et 10 000 tigres vivaient en captivité aux États-Unis et qui les possédait.

En implorant la clémence du juge, Joe Exotic sanglote. « Je n'ai violé aucune loi, » clame-t-il. Il se dit en mauvaise santé et indique devoir des excuses à sa victime, Carole Baskin, avant de la blâmer, elle, puis le gouvernement, les forces de l'ordre, ses employés et d'autres encore pour la situation dans laquelle il se trouve.

À l'annonce du verdict par le juge Scott Palk, son visage reste impassible : 264 mois, soit 22 ans en prison, autant dire la perpétuité pour cet homme de 56 ans.

Clay, Daniel et Enzo, trois des 39 tigres sauvés des griffes d'un parc animalier de l'Oklahoma, se prélassent autour d'une piscine du Wild Animal Sanctuary de Keenesburg, dans le Colorado. Ces grands félins passeront le reste de leur vie ici, alimentés et soignés comme il se doit.
PHOTOGRAPHIE DE Steve Winter

Joe Exotic avait essayé de recruter deux tueurs à gages, l'un était son employé et l'autre… un agent du FBI. Son objectif ? Liquider Carole Baskin, fondatrice de l'organisme Big Cat Rescue Wildlife Sanctuary installé en Floride. Elle était son ennemie jurée. Son site Web « 911 Animal Abuse » épinglait des individus qui s'adonnaient à l'élevage massif de tigres, séparaient les tigreaux de leur mère et les réduisaient au rôle de figurant pour selfie. À travers ce site Web, des manifestations se sont organisées contre les spectacles itinérants lucratifs que Joe Exotic présentait dans les centres commerciaux ou les foires. Ces protestations ont fini par nuire à son activité, il avait alors menacé Carole en public et sur les réseaux sociaux, jusqu'à ce qu'il essaie de la tuer.

Carole Baskin a eu l'occasion de s'exprimer pendant le jugement. « La condamnation de M. Schreibvogel Maldonado Passage ne s'est appuyée que sur une poignée d'exemples représentatifs de son intention malveillante de m'assassiner, » a-t-elle dit. « Lorsque vous réfléchirez à sa sanction, j'aimerais simplement que vous preniez en compte la chose suivante : si cet homme vicieux et obnubilé sort un jour de prison, ma vie et celle de ma famille redeviendront ce qu'elles ont été pendant les dix années qui ont précédé son arrestation. »

Chacun des chefs d'accusation de tentative d'assassinat était assorti d'une peine de 108 mois, à purger consécutivement.

Les accusations relatives à la criminalité liée aux espèces sauvages ont quant à elle justifié l'ajout de quatre années d'emprisonnement. Joe Exotic a été reconnu coupable du meurtre de cinq tigres d'une balle dans la tête afin de libérer de l'espace pour d'autres félins. Il vendait et se livrait au trafic de tigres et d'autres espèces menacées, il falsifiait les documents officiels afin de dissimuler ses activités qui entraient en violation avec les lois fédérales.

« Les sanctions prises montrent que le juge a compris la gravité du comportement de l'accusé, » déclare John Webb, procureur des crimes environnementaux. Baskin a confié qu'elle était « soulagée d'apprendre que Maldonado-Passage allait passer autant d'années derrière les barreaux. »

Dans sa déclaration présentencielle, le juge Palk a indiqué que Joe Exotic était « rongé, sinon obsédé par sa volonté de faire taire Carole Baskin. » Il a également souligné son manque permanent de respect pour la loi : Joe Exotic a été enregistré lors d'un appel téléphonique passé depuis la prison de Grady County au cours duquel il tentait de jouer les intermédiaires pour une vente de lionceaux. Le juge a notamment évoqué son penchant pour le « trafic systématique d'animaux » et a pris acte de la gravité des crimes liés aux espèces sauvages qu'il a qualifiés de « considérables en volume. »

Les avocats de Joe Exotic ont demandé à ce qu'il soit de nouveau autorisé à détenir des animaux sauvages à sa sortie de prison. Le juge Palk s'est montré catégorique dans le refus de cette requête en affirmant que l'accusé « avait démontré sa détermination à contourner les statuts réglementaires, » ce qui « ne laissait aucune marge de manœuvre » en ce qui concerne sa volonté de détenir ou de s'occuper à nouveau d'animaux.

Au fil des années, Joe Exotic a été le centre de toutes les attentions avec des centaines d'articles de journaux, des podcasts et même une série télévisée qui sera produite par Kate McKinnon, l'une des vedettes du Saturday Night Live. C'est un personnage haut en couleur qui a vécu sous les feux de la rampe pendant des décennies, allant même jusqu'à se présenter en tant que président et gouverneur de l'Oklahoma, et il serait naïf de nier l'attrait des scénaristes de film noir pour une tentative d'assassinat par tueur à gages. Cependant, ce que Joe faisait avec les tigres du Greater Wynnewood Exotic Animal Park, un établissement toujours ouvert, semble être la norme dans cette industrie centrée sur l'exhibition de jeunes animaux sauvages.

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    Des touristes observent un jeune tigre jouer avec une peluche pendant une séance où ils pourront prendre en photo et caresser l'animal au Myrtle Beach Safari. Les visiteurs n'ont pas conscience des pratiques nécessaires pour rendre dociles ces tigreaux, ni même de ce qui arrive aux tigres captifs lorsqu'ils deviennent trop vieux pour interagir avec le public et ne peuvent pas être utilisés pour l'élevage ou le spectacle.
    PHOTOGRAPHIE DE Steve Winter

    Les déclarations de nombreux témoins au cours du procès de Joe Exotic ont révélé que la vente et le trafic de tigres et d'autres espèces menacées, la falsification des documents officiels, le blanchiment d'argent, l'évasion fiscale et d'autres activités criminelles étaient également pratiqués dans un grand nombre d'autres établissements. Lors de l'audience de détermination de la peine, l'avocat de la défense William Earley a fait le constat suivant : « Je pense que de nombreuses preuves montrent que d'autres personnes étaient impliquées dans des violations similaires de la loi. » Dans notre article précédent, nous avions publié une carte des réseaux de trafic de tigres à l'échelle des États-Unis.

    Une législation laxiste et une surveillance limitée de la part du gouvernement ont permis à ces entreprises de prospérer malgré leurs années de violations répétées en matière d'abus, de négligences et de risques potentiels pour les animaux et le public. Elles sont peu nombreuses à avoir perdu leur licence d'exposant délivrée par le département de l'Agriculture des États-Unis (USDA). « L'USDA aurait tout simplement dû retirer la licence de Joe Exotic il y a 20 ans, » affirme Brittany Peet, directrice du service d'application des lois sur les animaux captifs pour la fondation PETA. « Il sera peut-être le premier auteur de violences envers les animaux à aller en prison pour avoir tué et vendu des grands félins en captivité, mais il ne devrait pas être le dernier, et PETA fait appel au département de la Justice des États-Unis pour finir ce qu'il a commencé avec Joe Exotic en s'attaquant aux réseaux de trafiquants de tigres et en y mettant un terme une bonne fois pour toutes. »

    Bien que les charges de cruauté envers les animaux n'aient pas été retenues contre lui, le traitement que Joe Exotic infligeait à ses tigres a attiré l'attention de plusieurs défenseurs du bien-être animal. En 2011, une enquête sous couverture menée par l'organisation Humane Society of the United States a découvert des tigres et d'autres espèces « enfermés dans d'indignes conditions, frappés, traînés et battus en guise de "dressage", élevés pour donner naissance à des petits qui étaient utilisés pour des séances photo avec le public avant de disparaître lorsqu'ils n'étaient plus utiles, » rapporte Kitty Block, PDG de l'organisation. Année après année, son nom apparaissait dans les affaires portées devant l'USDA pour violations des normes établies par l'Animal Welfare Act, la loi sur le bien-être animal en vigueur aux États-Unis.

    Le paysage législatif qui entoure cette affaire pourrait bientôt changer. En toute fin d'année dernière, la Chambre des Représentants des États-Unis a obtenu suffisamment de voix pour faire avancer le projet The Big Cat Public Safety Act . À l'heure actuelle, les États-Unis ne disposent d'aucune loi fédérale pour contrôler la possession de grands félins, alors que ces prédateurs peuvent dépasser les 200 kg et mesurer plus de 3 m. The Big Cat Public Safety Act est une loi qui interdirait la possession de grands félins en tant qu'animaux domestiques et rendrait illégal le contact direct avec leurs petits. De nouvelles lois étatiques introduites en Virginie et en Oklahoma feraient également du contact avec le public une activité illégale.

    Quelques-uns des plus grands établissements proposant ce type d'activités font actuellement l'objet d'enquêtes ou de poursuites impliquant des espèces de grands félins menacées. Courant décembre, le Myrtle Beach Safari de Caroline du Sud a été perquisitionné dans le cadre d'une enquête sur un trafic de lions. En Floride, le Dade City Wild Things qui proposait autrefois à ses visiteurs de nager avec des félins est actuellement aux prises avec la justice en raison de pratiques violant l'Endangered Species Act, la loi protégeant les animaux menacés. Parmi les pratiques visées figurent notamment le fait d'enlever les petits à leur mère dès la naissance, celui de les forcer à interagir avec le public ou encore de les enfermer dans des cages de petite taille. Dans l'Indiana, l'organisation Wildlife In Need est soumise à une injonction lui interdisant de séparer prématurément les mères de leurs petits dans le cadre d'une instance en cours. Au cours de cette affaire, la justice a établi que le dégriffage de grands félins menacés ou en danger d'extinction dans le but de faciliter le contact avec le public (sans nécessité médicale) constituait une violation de l'Endangered Species Act.

    Les exhibitions et spectacles de tigres itinérants proposés dans les foires ont suscité de plus en plus de protestation de la part du grand public. En octobre, la Californie interdisait le recours aux animaux sauvages dans les cirques.

    La situation aux États-Unis a quant à elle attiré l'attention de la communauté internationale. Le pays fait partie des six nations actuellement visées par une enquête sur un possible trafic de tigres conduite par la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES), un traité signé par 183 pays visant à contrôler ce commerce. Les États-Unis font partie des signataires.

    Phillip Land est un agent spécial du Fish and Wildlife Service des États-Unis ; il affirme que son agence continuera « d'enquêter avec vigueur sur les crimes liés aux espèces sauvages, » et d'ajouter « J'espère que la sanction reçue par Joe Maldonado-Passage en dissuadera plus d'un. »

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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