Installée à 6 700 m d'altitude, cette souris bat tous les records

Au cours d'une récente expédition dans les Andes, des chercheurs ont constaté la présence de souris à une altitude record, tous mammifères confondus.

De Douglas Main
Publication 25 mars 2020, 11:26 CET
Une souris Phyllotis xanthopygus posée sur le gant d'un chercheur à haute altitude sur les versants ...
Une souris Phyllotis xanthopygus posée sur le gant d'un chercheur à haute altitude sur les versants du volcan Llullaillaco. Cette espèce parvient à vivre plus haut que n'importe quel autre mammifère.
PHOTOGRAPHIE DE Marcial Quiroga-Carmona

L'été dernier, des scientifiques annonçaient la découverte du mammifère vivant à la plus haute altitude au monde, une souris de l'espèce Phyllotis xanthopygus, surnommée en anglais « souris à oreilles jaunes », qu'ils avaient aperçue en train de gambader sur la partie supérieure du Llullaillaco, le plus haut volcan historiquement actif au monde, à cheval entre l'Argentine et le Chili.

C'est incroyable de trouver de la vie à une telle altitude, 6 200 m, sur des terres dépourvues de végétation et, à première vue, de nourriture. Ici, au bord du désert d'Atacama, la pluie se fait rare et les températures plongent parfois sous la barre des -60 °C.

« On ne peut que difficilement surestimer l'hostilité d'un tel environnement, » déclare Jay Storz, biologiste au sein de l'université du Nebraska à Lincoln et explorateur National Geographic.

Intrigué par la découverte, Storz a organisé une nouvelle expédition sur le volcan en février dernier dans le seul but de trouver des rongeurs. Et des rongeurs, il en a trouvé. Il est même tombé sur l'une de ces souris à oreilles jaunes à une altitude encore plus élevée que lors de la précédente expédition, au sommet même du Llullaillaco, à 6739 m, établissant donc un nouveau record pour les mammifères.

Présentée dans une prépublication consultable sur le site bioRxiv, l'étude marque le point de départ d'une quête scientifique visant à comprendre la façon dont ces animaux s'adaptent et survivent dans des conditions aussi éprouvantes. Les résultats pourraient nous en apprendre plus sur les moyens mis en œuvre par d'autres créatures pour s'adapter aux conditions extrêmes et pourraient même avoir des applications médicales pour les humains qui font face à de faibles niveaux d'oxygène suite à une maladie, un effort physique ou le mal d'altitude.

La plupart des souris, quatre espèces différentes au total, ont été attrapées à l'aide de petits pièges pendant l'expédition de février afin que les animaux puissent être étudiés ultérieurement, sauf au sommet du Llullaillaco où Storz a pu attraper la souris à la main, au moment où il arrivait sur les lieux. C'était un coup de chance, car l'accès au sommet n'est possible que pendant quelques minutes à cause des faibles niveaux d'oxygène et du risque de vents violents.

« Personne ne s'attendait à voir des souris vivre aussi haut, » rapporte Storz. « Et il s'avère qu'elles atteignent le plus haut point possible. » Le compagnon d'escalade de Storz, l'alpiniste professionnel Mario Perez-Mamani, a pu filmer la scène.

 

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    UN ANIMAL PETIT, MAIS COSTAUD

    La souris à oreilles jaunes (Phyllotis xanthopygus) est une espèce connue qui vit dans les contreforts et les montagnes des Andes mais peut également être aperçue aussi bas que le niveau de la mer.

    Cela signifie que l'aire de répartition de la souris couvre un dénivelé supérieur à 6 700 m. « C'est une amplitude hors du commun, » déclare Scott Steppan, spécialiste des souris et professeur de biologie à l'université d'État de Floride. « Aucune autre espèce ne fait cela. »

    Lors de l'expédition de février, Storz et ses collègues ont également aperçu une souris Phyllotis limatus à 5 070 m, dépassant de loin le record précédemment connu pour cette espèce. Quant aux deux autres espèces, l'altitude à laquelle elles ont été aperçues ne diffère pas tellement de leur altitude maximale déjà établie.

    Dans l'ensemble, l'expédition suggère que « nous avons probablement sous-estimé les altitudes limites et les capacités physiologiques de nombreux animaux, simplement parce que les plus hauts sommets du monde sont relativement peu explorés par les biologistes, » explique Storz.

    Tout a commencé en 2013, lorsque l'alpiniste Matt Farson, également médecin urgentiste, et l'anthropologue Thomas Bowen ont repéré sur le volcan un animal qu'ils supposaient être une souris à oreilles jaunes. Lors d'une expédition ultérieure en 2016 à laquelle a également participé Steven Schmidt de l'université du Colorado à Boulder, les chercheurs ont aperçu une autre souris dans la même zone et ont réussi à récolter un échantillon ADN près de son terrier, grâce auquel ils ont pu confirme son espèce, Phyllotis xanthopygus, avant d'annoncer leur découverte fin juin 2019 à l'occasion du colloque annuel de l'American Society of Mammalogists tenu à Washington.

     

    UN SOMMET FASCINANT

    Le précédent détenteur du record, le pika à grandes oreilles (Ochotona macrotis), avait été observé à 6 126 m. D'autres animaux comme les yaks ou les moutons bleus ont également été aperçus aux alentours de 6 000 m, mais cette altitude ne fait pas partie de leur zone habitable connue. Dans le cas des souris du genre Phyllotis, les individus sont considérés comme faisant partie de populations bien établies.

    Avec cette découverte, le volcan Llullaillaco devient encore plus fascinant, lui qui abrite déjà le plus haut site archéologique au monde et ses momies incas remarquablement préservées, découvertes en 1999 par l'explorateur National Geographic Johan Reinhard. Reinhard avait également remarqué la présence de rongeurs à haute altitude, même s'il avait supposé à l'époque que les petites créatures n'avaient fait que suivre les alpinistes en subsistant grâce à la nourriture qu'ils transportaient. On trouve également sur le volcan l'un des lacs les plus hauts du monde et des microbes ultrarésistants, presque venus d'un autre monde.

    La découverte soulève de nombreuses questions. Avec des températures aussi faibles et des niveaux d'oxygène divisés par deux par rapport au niveau de la mer, comment les souris survivent-elles à une telle altitude ? Et de quoi se nourrissent-elles ?

    Leur nourriture pourrait provenir des détritus soufflés par le vent mais l'apport alimentaire de cette hypothèse semble limité, indique Storz, qui étudie également les souris sylvestres dont l'aire de répartition couvre également un dénivelé important, du niveau de la mer jusqu'à 4 200 m d'altitude. Ces dernières sont l'équivalent nord-américain des souris à oreilles jaunes.

    L'aire de répartition de la souris à oreilles jaunes couvre un dénivelé de 6 700 m, ...
    L'aire de répartition de la souris à oreilles jaunes couvre un dénivelé de 6 700 m, de loin le plus important au monde pour un mammifère.
    PHOTOGRAPHIE DE Illustration tirée de Historic Collection, Alamy

    Ces animaux peuvent survivre à une altitude aussi élevée grâce à « un ensemble de changements physiologiques, » comme un métabolisme du muscle plus lent et un système cardiovasculaire singulier.

     

    AFFAIRE À SUIVRE

    Storz prévoit de réitérer sa visite afin de mieux comprendre leur capacité à endurer des modes de vie aussi extrêmes. Plus précisément, il a l'intention de placer des souris vivantes dans des chambres métaboliques afin de mesurer leur VO2 max, un indicateur de la consommation d'oxygène, et de les soumettre à d'autres tests. Pour ces travaux, il a obtenu une bourse de la National Geographic Society et des National Institutes of Health des États-Unis, car une meilleure compréhension de l'adaptation à la vie en haute altitude est « potentiellement pertinente pour soigner un certain nombre de maladies humaines liées aux […] problèmes d'apports et d'utilisation de l'oxygène, » explique-t-il.

    Parmi ces maladies figurent notamment les troubles cardiaques et pulmonaires tels que l'emphysème ou la bronchopneumopathie chronique obstructive. Les résultats de ces recherches pourraient également aider les médecins à soigner le mal d'altitude et à supporter la vie en haute altitude ou dans d'autres milieux pauvres en oxygène.

    Cette découverte est « tout à fait inattendue et justifie, par conséquent, de mener des recherches approfondies sur cet animal tout en multipliant les études de terrain dans des régions similaires à travers le globe afin de mettre différents cas en parallèle, par exemple avec la chaîne de l'Himalaya, » déclare James Patton, professeur émérite à l'université de Californie à Berkeley, non impliqué dans l'étude.

    Patton s'étonne qu'une souris puisse survivre dans cet environnement et nous fait part de son impatience d'en apprendre plus sur ce qui rend cet exploit possible. « Dire que c'est incroyable serait un euphémisme, » conclut-il.

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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