Les tempêtes solaires seraient-elles responsables de l'échouage des baleines ?
De temps en temps, le Soleil libère des salves de rayonnement électromagnétique susceptibles de désorienter les baleines.
Les baleines grises migrent à plus de 16 000 kilomètres le long de la côte ouest de l’Amérique du Nord, un périple plus long que la quasi-totalité des autres mammifères. En été, elles se dirigent vers le nord, atteignant souvent les îles Aléoutiennes en Alaska. En hiver, direction le sud pour mettre bas au large des côtes du Mexique.
De nouvelles recherches montrent que les tempêtes solaires pourraient temporairement déboussoler les baleines lors de ces longs voyages, et les pousser même à s’échouer. Les baleines grises seraient guidées par les champs magnétiques de la Terre, ce qui expliquerait ce phénomène. Pour le moment, on sait sans l'ombre d'un doute que c’est grâce à leur vision qu’elles trouvent leur chemin.
Lors des tempêtes solaires - activités du soleil au cours desquelles de grandes quantités de particules à haute énergie sont propulsées - des taux élevés d’ondes électromagnétiques s’abattent sur la Terre, ce qui aurait des répercussions sur les technologies humaines comme les satellites et les réseaux électriques. La plupart des animaux, y compris les Hommes, ne sont pas fortement touchés par les tempêtes solaires, notamment parce que le champ magnétique de la Terre garde la planète à l’abri d’une grande partie de ces radiations.
Une étude publiée le 24 février dans la revue Current Biology détaille le constat selon lequel les tempêtes solaires pourraient favoriser l’échouage des baleines, ajoutant une nouvelle donne au phénomène. On assiste actuellement à une augmentation effrénée des baleines grises échouées, possiblement en lien avec la famine qui découle de la raréfaction des proies. Plus de 180 baleines se sont échouées depuis janvier 2019, un taux nettement supérieur à la normale.
Pour mieux appréhender les facteurs qui contribueraient à l’échouage, Jesse Granger, biophysicien en conservation à l’université Duke, ainsi que ses collègues, se sont penchés sur les dossiers des baleines échouées vivantes, au large de la côte ouest de l’Amérique du Nord depuis 1985. Ces cas ont été choisis dans le but d’exclure d’autres facteurs — les animaux ne semblaient ni malades ni blessés lorsqu’ils se sont retrouvés sur les plages. Comment expliquer donc l’échouage ?
Les chercheurs se sont rendu compte que les baleines avaient quatre fois plus de chances de s’échouer les jours où le bruit de la radiofréquence, due aux éruptions solaires, était plus fort.
DES SIGNAUX PARASITES
Pour d’autres animaux, comme le rouge-gorge familier (Erithacus rubecula), les études ont montré que le bruit radioélectrique à large bande pouvait momentanément les empêcher d’utiliser leur sens géomagnétique. Cette faculté permet aux animaux de ressentir le magnétisme de la Terre, qui varie en fonction de l’emplacement, et leur permet donc de savoir où ils sont et vers où ils se dirigent.
Les chercheurs supposent qu'il s'agit bien du même phénomène dans le cas des baleines, affirme Granger, actuellement doctorant.
« Bien que cette étude ne fournisse pas de preuves concluantes quant au processus de magnéto-réception chez ces baleines, elle esquisse des pistes de réflexion dans ce sens. Elle élimine d’autres causes d’échouage comme les captures accidentelles, les collisions avec les navires ou les maladies évidentes », déclare Ellen Coombs, chercheuse à l’University College de Londres qui n’a pas participé à l’étude. « Par ailleurs, les scientifiques s’attardent sur les paramètres géophysiques touchés par les tempêtes solaires et leur incidence sur la migration des baleines. »
On a la certitude que d’autres animaux marins — comme la tortue de mer et le saumon — parcourent de longues distances en ressentant ces champs magnétiques, affirme Ken Lohmann de l’Université de Caroline du Nord. D’autres animaux comme les abeilles, les oiseaux, les fourmis, les termites et quelques amphibiens semblent dotés de cette même faculté. (Nous ne savons pas si les tempêtes solaires affectent la capacité de ces animaux à s’orienter).
Les chercheurs ont réussi à démontrer que certains animaux utilisaient leur sens magnétique en les plaçant dans des bobines qui servent de gros aimants — mais les baleines sont trop grosses pour de telles expériences.
Les baleines grises passent le plus clair de leur temps sous l’eau sans repères visuels. Il va donc sans dire qu’elles utilisent un autre sens que leur vision, déclare Coombs.
PERDRE LE NORD
Dans cette étude, les chercheurs ont tenu compte d’autres facteurs comme les cycles climatiques et les variations saisonnières qui n’ont semblé avoir aucune incidence sur les échouages. Ils ont également analysé l’intensité des activités du champ magnétique de la Terre grâce à l’indice AP pour essayer de savoir si celles-ci avaient un quelconque lien avec le phénomène d’échouage. Mais ce n’était pas le cas, à la grande surprise de Granger qui s’attendait à ce que les perturbations locales du champ magnétique puissent déboussoler la baleine et la pousser à s’échouer sur la plage.
La théorie avancée est que la « baleine se croit dans un lieu donné alors qu’en réalité, elle se trouve quelques kilomètres plus loin », souligne Granger. Il semble que ce ne soit pas le cas. Elle serait plutôt momentanément « aveuglée », ce qui pourrait la désorienter et, par conséquent, la conduire à s’échouer, dit Granger.
On pense que l’aptitude des oiseaux à capter le champ magnétique de la Terre proviendrait de petites protéines contenues dans leurs rétines : les cryptochromes. Il est possible que le bruit radioélectrique entrave cette faculté qui dépend de la capacité du cerveau à percevoir les légères variations électrochimiques. Cependant, d’autres moyens permettent également de ressentir le magnétisme, comme la magnétite, une espèce minérale contenant de l’oxyde de fer qu’on retrouve dans le système nerveux de certains animaux.
Granger insiste sur la multiplicité des facteurs qui pourraient potentiellement mener à l’échouage comme la maladie, la famine, les collisions avec les navires et les technologies humaines à l’image du sonar naval et des canons à air sismiques utilisés dans la prospection pétrolière.
« Les échouages ne sont pas dus à une raison bien précise mais peuvent avoir plusieurs origines. Il n’existe donc aucun moyen d’éviter qu’elles se produisent [toutes] », précise Lohmann. Avant d’ajouter : « Il est cependant utile que les responsables de la conservation des cétacés prennent connaissance des facteurs qui favoriseraient les échouages. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.