Alors que le monde se confine, le "mur de Trump" se prolonge, menaçant la faune sauvage

Alors que le monde entier se mobilise et se confine pour endiguer la pandémie de coronavirus, l'administration Trump s'efforce de poursuivre la construction du mur frontalier, faisant fi des corridors migratoires empruntés par la faune sauvage. 

De Douglas Main
Photographies de Alejandro Prieto
Publication 2 avr. 2020, 17:47 CEST
Un lièvre se trouve près de la rivière San Pedro, au Mexique, au sud du mur ...

Un lièvre se trouve près de la rivière San Pedro, au Mexique, au sud du mur frontalier. Ces animaux sont des proies de choix pour les grands mammifères comme les pumas et les jaguars, qui risquent d'être blessés par les nouvelles clôtures qui vont prolonger le mur existant.

PHOTOGRAPHIE DE Alejandro Prieto

La région de Sky Island, dans le sud de l'Arizona et du Nouveau-Mexique, est un véritable concentré de merveilles naturelles, l'une des parties les plus diverses d'Amérique du Nord d'un point de vue biologique, où des milliers d'espèces animales vivent... traversant chaque jour la frontière américano-mexicaine.

Ce patchwork de vallées, de collines et de chaînes de montagnes sont autant de corridors migratoires permettant aux jaguars, aux ocelots, aux ours noirs, aux mouflons d'Amérique et aux coatis, notamment, de se déplacer dans la région. Des centaines d'espèces sont même endémiques de cette région des États-Unis, notamment les jaguars, les trogons élégants, de beaux oiseaux très colorés, des smilisca fodiens, une espèce d'amphibiens de la famille des Hylidae, et des serpents appelés Oxybelis aeneus.

Mais alors que le monde entier se mobilise et se confine pour endiguer la pandémie de coronavirus, l'administration Trump s'efforce de poursuivre la construction du mur frontalier, faisant fi des corridors migratoires empruntés par les espèces animales. Le département de la Sécurité intérieure américain a ouvert la voie à la prolongation du mur sur plus de 280 kilomètres, en grande partie sur des terrains montagneux reculés.

Vue aérienne du San Bernardino Wildlife Refuge en 2019. Le barrage de véhicules à gauche, le long de la frontière américano-mexicaine, a déjà été largement remplacé par un mur qui entrave les déplacements de la faune. Les entrepreneurs ont retiré de grandes quantités d'eau de l'aquifère régional, menaçant les espèces de poissons vivant là.

PHOTOGRAPHIE DE Alejandro Prieto

« La construction de ce mur au cœur de Sky Island va entraver les couloirs empruntés par la faune pour se déplacer », explique Louise Misztal, directrice exécutive de la Sky Island Alliance, un groupe environnemental apolitique basé en Arizona.

Pour commencer à construire les nouvelles sections du mur, dans les semaines ou mois à venir, le Département de la Sécurité intérieure a accordé des dérogations le 16 mars dernier pour permettre aux équipes de construction de ne pas se conformer aux 37 lois environnementales en vigueur, dont l'Endangered Species Act, une loi fédérale des États-Unis créée pour protéger les espèces dont les populations sont menacées de disparaître.

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    Le porte-parole des douanes et de la protection des frontières, Matthew Dyman, a déclaré que bien que le Département de la sécurité intérieure ait émis des dérogations aux « lois environnementales pour ces projets afin d'assurer la construction rapide du mur, le CBP reste attaché à la protection des importantes ressources culturelles et naturelles du pays ». De plus, dit-il, le Département « mène des enquêtes environnementales sur chaque zone du projet pour [identifier] toutes les espèces menacées et en voie de disparition et autres plantes et animaux sauvages qui peuvent être présents ».

    Pendant ce temps, les écologistes ont exprimé leurs inquiétudes quant à la poursuite de la construction du mur frontalier au moment même où les citoyens et les journalistes sont confinés chez eux ou « distraits » par la pandémie de coronavirus. Même si les entreprises ont fermé leurs portes et que beaucoup de salariés américains sont invités à rester chez eux, la construction du mur se poursuit et les périodes d'examen des projets écologiquement sensibles, y compris les baux pétroliers sur les propriétés fédérales, ne sont ni reportées ni prolongées.

    La pandémie pourrait avoir d'autres retombées environnementales ; le 26 mars, l'Agence de protection de l'environnement a annoncé qu'elle allait temporairement affaiblir les règles environnementales pour soutenir les entreprises. Malgré la pandémie, les responsables du gouvernement fédéral se sont également empressés de baisser les normes d'efficacité énergétique des automobiles décidées sous l'ère Obama.

    Un jeune puma traverse une barrière mobile près du San Bernardino Wildlife Refuge. Ces clôtures sont perméables aux couguars ; les nouveaux pans de mur, beaucoup plus élevés, ne le seront pas.

    PHOTOGRAPHIE DE Alejandro Prieto

    Randy Serraglio, spécialiste des grands félins et écologiste du Center for Biological Diversity, un groupe environnemental à but non lucratif, estime qu'il est « scandaleux » que la construction du mur continue, car les ressources fédérales dépensées ici pourraient être mieux utilisées pour lutter, par exemple, contre la propagation du coronavirus. Outre les sections nouvellement approuvées, plus de 160 kilomètres de mur sont actuellement en cours de construction dans d'autres régions de l'Arizona, y compris dans des zones naturelles comme l'Organ Pipe Cactus National Monument, une réserve de biosphère située dans l'Etat américain.

     

    UN « DÉSASTRE » ÉCOLOGIQUE. 

    C'est « une catastrophe écologique en préparation » pour les jaguars et autres espèces qui doivent traverser la frontière pour survivre, s'inquiète Misztal. Bien que la population reproductrice de jaguars la plus proche se trouve dans le nord de Sonora, au Mexique, ces félins solitaires se rendent régulièrement au nord de la frontière américaine, où ils étaient autrefois nombreux.

    Vue aérienne de la construction du mur à l'Organ Pipe Cactus National Monument en novembre 2019, du côté mexicain de la frontière. Le Département de la Sécurité nationale a fait l'impasse sur des dizaines de lois pour permettre la construction de ce mur, y compris la loi en vigueur sur la protection des espèces en voie de disparition.

    PHOTOGRAPHIE DE Alejandro Prieto

    Le Département de la sécurité intérieure, qui supervise les douanes et la protection des frontières états-uniennes, a accordé des dérogations au mois de mars pour construire environ 20 sections de mur dans les deux États, dont plus de 145 kilomètres en Arizona, ce qui représente un quart de sa frontière sud. Les travaux coûteront aux contribuables américains plus de 3 milliards de dollars, somme à laquelle s'ajouteront les contributions des entreprises sous contrat avec le Corps des ingénieurs de l'armée des États‑Unis et le Département de la Défense. Les fonds ont été détournés du budget du Pentagone après la décision controversée du président Donald Trump en février 2019 de déclarer une urgence nationale sur la sécurité des frontières.

    En règle générale, une aussi grande entreprise devrait reposer sur de nombreuses études écologiques, dans le respect des lois telles que la Loi nationale sur l'environnement (le National Environmental Policy Act). Mais en vertu de la Real ID Act de 2005, le chef du Département de la sécurité intérieure peut lever toutes les restrictions légales pour construire le mur.

    Cette photographie de 2013 montre un jaguar mâle connu par beaucoup comme El Jefe. Le félin a vécu pendant plusieurs années dans les montagnes de Santa Rita en Arizona, non loin de Tucson.

    PHOTOGRAPHIE DE UA, Usfws

    Interrogé sur l'impact environnemental du mur, Dyman a déclaré que les douanes et la protection des frontières se coordonnaient avec le Fish and Wildlife Service pour « traiter spécifiquement les impacts potentiels sur la population de jaguars » et prévoyaient d'annexer certains passages empruntés par la faune. Un total de 40 sites de transition pour les petits animaux ont été « identifiés le long de la frontière dans l'Organ Pipe Cactus National Monument et ... le long de la frontière à l'est de Douglas, en Arizona ». Le mur sera cependant agrémenté de routes et de lumières vives dans certaines zones, ce qui pourrait dissuader les animaux de traverser.

     

    LES JAGUARS EN DANGER

    Les nouveaux pans de mur sont constitués de barrières faites de poutres en acier avec des espaces de 10 centimètres trop petits pour permettre à de nombreux animaux de passer. Ils entravent également le vol des oiseaux volant à basse altitude, comme la chevêchette brune, qui est en voie de disparition. La construction de tels édifices dans des zones accidentées est par ailleurs difficile et coûteuse, les taux de franchissements illégaux y sont relativement faibles et d'autres technologies telles que des détecteurs de mouvement et des caméras sont déjà en usage.

    Ces étendues montagneuses ne facilitent peut-être pas les déplacements humains, mais elles sont vitales pour la migration animale, explique Myles Traphagen, un scientifique de la conservation du Wildlands Network, un groupe environnemental non partisan voué à la préservation des corridors fauniques.

    Avec ce nouveau mur, « la repopulation du jaguar aux États-Unis s'arrêterait brusquement », dit Traphagen.

    En 2014, le Fish and Wildlife Service a cartographié 3 105 km² d'habitat essentiel pour le jaguar en Arizona et au Nouveau-Mexique. C'est un territoire jugé crucial pour le rétablissement de l'espèce dans le pays, bien que les scientifiques conviennent qu'une grande partie des hautes terres de la région pourraient également accueillir des jaguars. Avant la colonisation européenne, ces félins avaient une grande aire de répartition, qui s'étendait jusqu'au Grand Canyon.

    On suppose que les huit jaguars vus en Arizona ou au Nouveau-Mexique depuis 1996 sont des mâles. Les mâles, solitaires, errent à la recherche de nourriture et de partenaires. La dernière femelle observée en Arizona a été abattue en 1963. A l'heure actuelle, les femelles jaguars connues vivent dans le nord de Sonora, mais étant donné la protection dont elles bénéficient et les corridors de migration encore ouverts, elles pourraient se propager vers le nord pour reprendre leur ancien territoire de répartition.

    Une vue aérienne du côté mexicain de la frontière, à l'est de Nogales. La portion de mur nouvellement approuvée entraverait les couloirs de migration des jaguars et des ocelots.

    PHOTOGRAPHIE DE Alejandro Prieto

    Les jaguars sont plus rares aujourd'hui aux États-Unis, mais sont toujours une espèce endémique phare : les protéger aiderait indirectement de nombreuses autres espèces, car ils dépendent de vastes étendues sauvages.

    Traphagen se dit encore plus préoccupé par l'impact du mur sur les espèces plus communes. Des cerfs, des pécaris, des dindes, des lynx roux, des pumas, des ours et d'autres animaux traversent la frontière pour trouver de la nourriture et s'accoupler.

    « Si vous mettez en danger les populations locales et régionales, il y aura un effet en cascade », explique Traphagen. « Nous pourrions constater une rupture de l'intégrité de l'écosystème. »

    Malgré l'incroyable diversité animale de la région, il n'y a actuellement que deux études de pièges photographiques en cours pour documenter les espèces qui vivent à la frontière : la Sky Island Alliance mène une étude en Patagonie et dans les montagnes d'Huachuca, et Traphagen mène une étude similaire au San Bernardino National Wildlife Refuge, une zone humide désertique abritant plusieurs espèces de poissons en voie de disparition. Les deux zones seront bientôt concernées par la construction du mur.

    Le Center for Biological Diversity et d'autres groupes ont posé des recours judiciaires, contestant la capacité du Département de la sécurité intérieure d'ignorer les lois en vigueur. La construction du mur a jusqu'ici était très préservée de ce type de poursuites, bien que la Cour suprême puisse choisir de traiter cette affaire pendant la session en cours.

    L'expansion du mur dans ces zones « ne peut que faire du mal aux jaguars », explique Howard Quigley, chercheur à Panthera, une organisation dédiée à l'étude et à la sauvegarde des félins. « Ce n'est bon pour aucun type de faune. Chaque fois que vous provoquez une fragmentation des populations contiguës, vous les poussez à l'extinction locale... »

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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