Plus le flamant est rose, plus il est agressif
Si le plumage du flamant est d’un rose éclatant, cela signifie que l’oiseau est en bonne santé et prêt à se reproduire. Cependant, une étude a montré qu’au moment des repas, celui-ci serait également plus enclin à se battre.
Les mâles de l’espèce Phoeniconaias minor (flamant nain) paradent dans le lac Nakuru au Kenya. Au moment des repas, ils ont tendance à se battre. Une pratique plus commune chez l’espèce Phoenicopterus roseus (flamant rose).
Au royaume des animaux, les disputes sont monnaie courante. Les flamants, connus surtout pour leur couleur rose et leur parade nuptiale, ne font pas exception. Au moment de manger, ces oiseaux se chamaillent parfois. Selon une nouvelle étude, quand le plumage du flamant est d’un rose plus éclatant, il risque d’être plus agressif.
Des études antérieures avaient déjà montré le lien entre la couleur de l’animal et sa santé. Plus le flamant est rose, plus il est en bonne condition physique et donc prêt à se reproduire.
Le Phoeniconaias minor est la plus petite des six espèces de flamants. Ils sont originaires d’Afrique subsaharienne et on les trouve souvent le long des lacs alcalins. Les flamants y vivent en très grands groupes comptant parfois des centaines de milliers voire plus d’un million d’oiseaux.
Avec autant de compagnons, on comprend mieux que la communauté des Phoeniconaias minor soit aussi « complexe », affirme Paul Rose, spécialiste en comportement animalier à l’université d’Exeter au Royaume-Uni. « La couleur joue un rôle primordial dans leurs rapports avec les autres », explique-t-il.
Les mâles et les femelles sont tous deux plus attirés par leurs congénères aux couleurs plus vives. Cependant, seuls les oiseaux qui accorderont une grande importance à leur régime alimentaire auront un plumage attrayant. La couleur provient notamment d’une alimentation riche en caroténoïdes, des pigments qui produisent des teintes de rouge et d’orange.
« C’est un indicateur sincère », renchérit Rose. « La couleur rose du flamant prouve aux autres qu’il est en bonne santé. »
Cependant, ces flamants sont également plus agressifs, selon une étude publiée le 8 juin dans la revue Ethology et portant sur le comportement de flamants hébergés dans un parc animalier en Angleterre. Les résultats pourraient aider les chercheurs à mieux s’occuper des animaux en captivité.
Bien que les organismes de conservation ne considèrent pas les Phoeniconaias minor comme une espèce en voie de disparition, leur nombre est en déclin. L’Union internationale pour la conservation de la nature les considère presque comme une espèce menacée. Si les chiffres continuent de diminuer, il faudra trouver des moyens pour mieux prendre soin des populations de flamants dans les zoos. (Bob, le flamant rose le plus connu de Curaçao.)
COUP DE BEC
Dans son habitat naturel, le Phoeniconaias minor se nourrit par filtration : crustacés, algues, diatomées et cyanobactéries sont tant d’organismes qui contiennent les caroténoïdes responsables de la couleur du flamant. En captivité, on le nourrit de granules qui lui procurent les mêmes pigments.
Pour mieux comprendre le lien entre la couleur du plumage et l’agressivité, Rose et ses collègues ont produit 201 vidéos d’une minute chacune. Ils documentent les comportements de 45 oiseaux (24 mâles et 21 femelles) lors de différents repas au WWT Slimbridge Wetland Centre, une réserve faunique dans le comté de Gloucestershire en Angleterre. Rose a classé les animaux sur une échelle chromatique de 1 à 4 (1 étant la teinte la plus pâle et 4 le rose le plus éclatant). Il a ensuite noté leurs comportements lors de la recherche de nourriture, tout en accordant une attention particulière aux réactions agressives. La plupart des comportements agressifs ont été observés lorsque les flamants étaient nourris dans des zones étroites.
Un flamant rose pourrait donner un coup de tête à son voisin sans pour autant s’engager dans une lutte. Selon Rose, il s’agirait d’un premier avertissement. Cependant, la situation risque de dégénérer : un oiseau agressif pourrait donner un coup de bec violent à un congénère ou même s’emparer de ses plumes en poussant des cris stridents.
Un oiseau soumis pourrait battre en retraite. Il s’écarte alors du groupe, les plumes pressées contre son corps. Cependant, le gagnant le poursuit généralement et essaye de le rattraper par la queue.
« La scène n’est pas très agréable à voir », admet Rose.
LE ROSE, ÇA SE TRAVAILLE !
Les chercheurs ont remarqué que les flamants aux teintes plus roses étaient beaucoup plus enclins à être agressifs et à se battre.
« Un flamant en bonne santé – comme en témoignent les couleurs vives de ses plumes – est un mangeur efficace », indique Rose. Ces oiseaux contrôlent en quelque sorte les aires d’alimentation et se montrent particulièrement agressifs envers les autres lorsqu’ils sont nourris dans des auges. Lors des repas, ils prennent durablement l’avantage sur leurs congénères et sont sûrs de conserver cette teinte éclatante qui les aidera à attirer des partenaires tout aussi roses et bien portants.
Ces conflits ont néanmoins des répercussions négatives, que ce soit en captivité ou dans la nature. Ils perturbent la recherche de nourriture et poussent les flamants à se disperser dans de nouvelles aires d’alimentation pour trouver de quoi manger. Ce changement dans les habitudes peut être nocif pour les flamants en captivité parce que les comportements agressifs peuvent toucher tous les oiseaux d’un même groupe et réduire le temps qu’ils passent à se nourrir. (Comme l’Homme, les flamants roses se lient d’amitié pour la vie.)
« Le lien entre la couleur du plumage et l’agression est très intéressant », souligne Melissah Rowe, spécialiste en écologie évolutive au Netherlands Institute of Ecology de Wageningen, « compte tenu du nombre limité d’études » au sujet de l’influence des caroténoïdes sur le comportement.
Généralement, les chercheurs qui analysent l’effet des caroténoïdes évaluent plutôt leur incidence sur la parade nuptiale et le choix des partenaires, élabore Tom Pike, spécialiste en comportement animalier à l’université de Lincoln au Royaume-Uni.
Chez nombre d’espèces d’oiseaux et de poissons, les animaux aux couleurs plus vives sont plus efficaces dans la recherche de nourriture. Ils se remettent plus facilement des maladies et sont en meilleure condition physique. Une étude menée sur le roselin familier (Haemorhous mexicanus) a montré que les mâles ayant des plumes d’un rouge plus vif sur la poitrine s’envolent plus rapidement et échappent donc plus facilement aux prédateurs. De plus, les hormones sexuelles mâles comme la testostérone sont stimulées par les caroténoïdes chez le diamant mandarin (Taeniopygia guttata), ce qui renforce la teinte rouge de son bec et le rend plus agressif.
On ignore si de tels changements touchent également les flamants mâles qui ont une alimentation riche en caroténoïdes.
Jusque-là, les chercheurs ont uniquement réussi à établir un lien entre la teinte rose et le comportement agressif mais pas le rapport de cause à effet. « Plus le flamant est rose, plus il est agressif ou plus il est agressif, plus il est rose ? D’un point de vue sémantique, la nuance est subtile mais sur le plan biologique, la différence est considérable », note Rowe.
LE BIEN-ÊTRE AVANT TOUT
L’importance de l’étude réside surtout dans sa capacité à apporter des éléments clés concernant la prise en charge des flamants en captivité, dit Rowe. Les résultats prouvent que les oiseaux ont besoin de suffisamment d’espace pour éviter de se chamailler. « Ça fait du bien de savoir que de telles recherches améliorent le bien-être des animaux dans les parcs animaliers », ajoute-t-elle.
Rose affirme que son étude a déjà porté ses fruits. À Slimbridge, les soigneurs ont construit un nouveau bassin à l’intérieur pour apaiser les conflits.
Les oiseaux peuvent désormais se répartir sur plusieurs aires lors des repas au lieu de se disputer une même auge. « Les flamants ne savent résoudre les conflits qu’en se battant », explique Rose. Si on prend les mesures nécessaires pour permettre aux flamants de mieux se nourrir, ils auront cette teinte plus rosée que les visiteurs adorent, rapporte-t-il.
« Les zoos n’auront à mettre en place que de petits changements », dit-il. Les soigneurs devraient, notamment, allouer un espace plus vaste aux flamants lorsqu’ils leur donnent à manger. « Ainsi, les flamants seront plus roses », conclut-il. Et ô combien plus contents.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.