Combien de lions reste-t-il en Afrique ?
Les lions ont disparu de plus de 90 % de leur aire de répartition historique en Afrique au cours des 120 dernières années.
Une lionne se repose dans un arbre dans le parc national Queen Elizabeth, en Ouganda. Alors que le nombre de lions diminue rapidement, les chercheurs estiment qu'il est essentiel de disposer d'estimations de population claires et précises pour aider à orienter les efforts de conservation.
Les populations de lions sont en déclin. C'est indéniable. Ils ont disparu de plus de 90 % de leur aire de répartition historique en Afrique au cours des 120 dernières années. Et au cours du dernier quart de siècle seulement, leur population a diminué de moitié.
Mais combien de lions reste-t-il en Afrique ? La réponse est étonnamment floue. L'estimation la plus souvent citée est de 20 000 spécimens, mais de nombreux chercheurs spécialistes du lion ne sont pas tout à fait à l'aise avec ce nombre.
Il « repose en grande partie sur des hypothèses plutôt que sur la science », explique Nic Elliot, chercheur sur les lions à l'Université d'Oxford. « Nous ne savons tout simplement pas combien il y en a en Afrique. »
Les chercheurs et les rangers ont doté un lion mâle d'un nouveau collier satellite dans le parc national Queen Elizabeth. Les colliers fournissent des données sur la destination des lions, ce qui peut aider à éviter les conflits avec les éleveurs ; ces informations orientent également les recherches ultérieures sur le suivi des populations.
Un lionceau est posé dans un arbre dans le parc national Queen Elizabeth. À partir de 2017, en utilisant une méthode relativement nouvelle de dénombrement des lions appelée capture-recapture spatialement explicite (SECR), les chercheurs ont estimé que la population était de 71 individus dans la région, soit moins que les estimations précédentes.
Les lions sont difficiles à dénombrer car ils ont de faibles densités de population, sont principalement actifs la nuit, se fondent dans leur environnement et se cachent parfois des humains, en particulier dans les régions où le braconnage est chose courante.
Mais il est essentiel de les compter avec précision. Pour mener à bien les projets de conservation, il est nécessaire d'établir des estimations fiables de la population au fil du temps, car ces chiffres donnent une idée de l'urgence et de l'étendue du déclin d'une espèce donnée - et de ce qui peut en être la cause.
Il faut d'abord établir qu'il y a un problème et déterminer ce dont il s'agit avant de pouvoir le résoudre, déclare Alexander Braczkowski, chercheur au Resilient Conservation Laboratory de l'Université Griffith dans le Queensland, en Australie.
Une technique relativement nouvelle pourrait permettre de mieux repérer les signes avant-coureurs et comptabiliser plus précisément les populations de lions, expliquent Elliot, Braczkowski et d'autres scientifiques dans un article publié dans Frontiers in Ecology and Evolution. Le système appelé Spatially explicit capture-recapture (SECR) ou système de capture-recapture spatiale explicite en français, est déjà couramment utilisé pour comptabiliser d'autres espèces de grands félins. Cette technique utilise des observations sur le terrain pour générer un portrait détaillé de la taille, de la densité et des mouvements estimés d'une population. De plus, elle peut permettre aux scientifiques de suivre les trajectoires des populations de lions avec un niveau de détail qui n'est souvent pas permis avec des méthodes plus anciennes.
L'approche a cependant mis du temps à se frayer un chemin chez les chercheurs spécialisés sur les lions. Cela prend plus de temps et ne fonctionne qu'avec des populations de lions qui peuvent être photographiées, selon les chercheurs les plus critiques de ce système.
Cependant, ne pas utiliser le SECR est une « occasion manquée » pour Baczkowski, Elliot et leurs collègues dans leur article. Les méthodes plus traditionnelles « peuvent souvent produire de fausses tendances dans la dynamique des populations de lions, et induire en erreur les efforts de conservation ».
TRAQUER LES SONS ET LES TRACES DE PAS
Dans les années 1970 et 1980, les chercheurs attiraient souvent les lions avec des appâts avant de les attraper et de les marquer au fer rouge, pour indiquer qu'ils avaient été comptés et pour suivre leur évolution.
« Cette technique reste l'une des meilleures pour étudier une zone relativement limitée, mais à notre époque, [on] aurait plutôt tendance à la désapprouver », explique Paul Funston, qui dirige la recherche sur les lions pour Panthera, une ONG de conservation des grands félins.
Les sondages et les comptages de suivi sont plus courants aujourd'hui. La première consiste à conduire dans la brousse et à diffuser les cris de détresse d'une espèce de proies, comme les buffles du Cap, via des haut-parleurs - puis à noter le nombre de lions qui se pressent pour se jeter sur la proie supposée. La seconde consiste à compter les traces de pattes laissées par des lions le long d'un ensemble de terrains et couloirs de migration.
Ces deux techniques peu coûteuses peuvent être utilisées sur une vaste zone, mais elles sont « très imprécises », explique Andrew Loveridge, expert en lions à l'Unité de recherche sur la conservation de la faune d'Oxford.
« Les deux méthodes présentent de graves lacunes méthodologiques et sont statistiquement assez fragiles », dit Elliot. Il est possible en suivant ces méthodes de compter deux fois - voire plus - le même individu.
Mais Frans Radloff, écologiste à la Cape Peninsula University of Technology en Afrique du Sud, défend leur utilisation dans certaines circonstances, tout comme Funston. Lorsque cela est fait correctement, par exemple dans les zones où l'on sait où trouver des traces de lions, la méthode peut fournir des estimations raisonnables de leur présence.
RECONNAISSANCE INDIVIDUELLE
Elliot et Braczkowski affirment que le SECR est plus efficace parce qu'il est plus précis, qu'il est moins sujet à la surestimation ou à la sous-estimation des groupes étudiés et qu'il permet aux scientifiques de se forger une image fluide et évolutive d'une population.
Pour que l'outil fonctionne bien, cependant, les scientifiques ont besoin d'un moyen de reconnaître les individus, explique Braczkowski, qui est également explorateur National Geographic. Chez les tigres, par exemple, chacun a un motif de rayures unique, permettant aux chercheurs de les distinguer plus facilement les uns des autres. Avec les lions, les chercheurs photographient des individus - depuis un véhicule ou à l'aide de pièges photographiques - et étudient leurs têtes à la recherche de marques distinctives.
Un jeune lion se régale d'un cobe à croissant et déclenche un piège photographique. En collectant des photos haute résolution des têtes de lions, chacun avec des marques et des de moustaches uniques, les chercheurs peuvent créer une base de données qui leur permet d'identifier les lions individuellement, ce qui est crucial pour que le SECR fonctionne bien.
Des petits de six mois se détendent dans un arbre. Bien que les scientifiques ne soient pas d'accord sur les meilleures méthodes pour compter le nombre de lions, ils sont tous d'accord sur une chose : leurs populations sont en déclin.
Une fois que les chercheurs ont assemblé un grand nombre d'images avec indications GPS, la technique de modélisation SECR utilise ces informations pour estimer mathématiquement la densité de la population, le nombre total d'individus et d'autres paramètres.
Le SECR a été utilisé plusieurs fois pour dénombrer les lions avec succès. Par exemple, Braczkowski a notamment fait équipe avec Musta Nsubuga, un biologiste de la Wildlife Conservation Society pour estimer le nombre de lions dans la zone de conservation Queen Elizabeth en Ouganda en 2017 et 2018. Pendant trois mois, ils ont parcouru près de 8000 kilomètres à travers la région, prenant les têtes des lions observés en photo.
Avec une documentation scientifique de l'emplacement de chaque individu à un moment précis, le SECR leur a permis de déterminer la population globale - 71 individus. Cette recherche a été publiée cet été dans Ecological Solutions and Evidence. Les mâles, par exemple, parcourent maintenant une zone cinq fois plus grande qu'il y a dix ans, probablement parce qu'ils ont besoin de se déplacer plus loin pour trouver de la nourriture. Il semble que le nombre de proies ait diminué en raison de l'augmentation du nombre de pièges placés dans la viande de brousse dans la région, selon Braczkowski.
Certains chercheurs affirment que les techniques traditionnelles sont toujours utiles lorsqu'elles sont manipulées correctement, et que les nouvelles techniques ne sont pas appropriées partout. En effet, le SECR est plus facile à utiliser lorsque des individus isolés peuvent être approchés avec des caméras ou photographiés à l'aide de pièges photographiques.
« Les lions eux ne peuvent pas être comptés de la même manière à travers l'Afrique car chaque région est unique », dit Radloff. « La seule façon d'obtenir une estimation du nombre restant de lions en Afrique est d'adopter toutes les techniques [scientifiquement valables]. »
En ce qui concerne la population totale de lions, les chercheurs conviennent qu'un décompte parfaitement précis des lions est moins important que de savoir si le nombre de lions augmente ou diminue. Et personne ne pense que ce chiffre est à la hausse. « En ce qui concerne votre question sur le nombre de lions qui restent en Afrique, je peux simplement conclure qu'il n'y en a pas assez », dit Radloff.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.