Un héron cendré a été observé pour la première fois aux États-Unis

Ce grand oiseau aquatique natif de l'Eurasie a été observé sur l'île de Nantucket, dans le Massachusetts. L'espèce serait-elle en train de s'établir sur le continent américain ?

De Maureen Seaberg, Douglas Main
Publication 22 sept. 2020, 17:36 CEST
Ce héron cendré a été aperçu le 6 septembre par Skyler Kardell, agent de la fiducie foncière ...

Ce héron cendré a été aperçu le 6 septembre par Skyler Kardell, agent de la fiducie foncière de Tuckernuck Island, dans le Massachusetts, pour laquelle il recense et observe les oiseaux.

PHOTOGRAPHIE DE Skyler Kardell

Skyler Kardell gagne sa vie en observant les oiseaux. À 18 ans, il est coastal steward sur Tuckernuck Island, une île rattachée à la municipalité insulaire de Nantucket, dans le Massachusetts. Le rôle des coastal steward est de veiller sur la faune de divers sites naturels à travers les États-Unis. Alors qu'il patrouillait sur la plage le 5 septembre pour observer les sternes, il a aperçu ce qu'il pensait être un grand héron, une espèce d'oiseau aquatique qui figure parmi les visiteurs réguliers de l'île. Mais en y regardant de plus près, il s'est aperçu que quelque chose clochait : l'oiseau était trop petit et trop pâle pour appartenir à cette espèce.

« Il avait un cou, des pattes et un bec plus courts que ceux des grands hérons, » témoigne Kardell. En fait, il ressemblait plutôt à un héron cendré, même si le jeune homme n'avait vu ces oiseaux qu'une seule fois en photo dans un livre. Et pour cause, c'est une espèce native des territoires africains et eurasiatiques.

« J'ai eu des soupçons dès le début, mais comme une telle identification pose différents problèmes, je savais que je devais mesurer mon enthousiasme, » se souvient-il.

Kardell a passé en revue ses premières photos de l'oiseau puis est reparti à sa recherche le lendemain sur l'île de Tuckernuck, mais il n'était plus là. Déterminé à le retrouver, il a mis le cap sur l'île voisine de Muskeget afin de poursuivre ses recherches avec deux amis. C'était comme si l'oiseau les attendait. Il s'est empressé de réaliser de nouveaux clichés pour les partager avec l'Avian Records Committee du Massachusetts, qui n'a pas manqué de confirmer son intuition : le nouveau visiteur était bien un héron cendré.

D'après les scientifiques, c'est la première photo de l'espèce dans les États-Unis contigus. Cela montre que les hérons cendrés étendent leur aire de répartition, ce qui suggère un futur établissement de l'espèce sur le continent américain. La découverte est surprenante en raison de la distance parcourue par l'oiseau et des difficultés que comporte le fait de distinguer le grand héron du héron cendré.

Aussi inattendue soit-elle, cette découverte est un nouvel exemple de la possibilité pour les oiseaux d'évoluer de temps à autre en dehors de leurs aires de répartition. Le comportement de ces espèces dites erratiques est de plus en plus considéré par les scientifiques comme faisant partie intégrante de la biologie naturelle des oiseaux, plutôt qu'une simple coïncidence, comme nous l'explique Richard Veit, directeur du Tuckernuck Land Trust, une fiducie foncière basée à Nantucket dont la mission est la protection de la faune insulaire, et ornithologue au College of Staten Island de New York.

 

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    QUI SE RESSEMBLE, S'ASSEMBLE

    Le grand héron (Ardea herodias) et le héron cendré (Ardea cinereal) sont tous deux des échassiers qui appartiennent au même genre taxonomique (Ardea) et évoluent dans des habitats similaires le long des côtes ou des cours d'eau et dans les milieux humides. Ils se nourrissent de poissons, de crustacé, d'insectes ou encore de rongeurs et descendent vraisemblablement d'un ancêtre commun dont ils se serait séparés il y a deux millions d'années environ, nous explique Veit.

    Malgré leur ressemblance, l'œil averti saura les distinguer en s'appuyant sur différents détails : les hérons cendrés sont légèrement plus petits et ont des pattes, un bec et un cou plus courts. La teinte de leur plumage est généralement plus claire, indique Wayne Petersen, ornithologue pour la Massachusetts Audubon Society et coauteur avec Veit du livre Birds of Massachusetts.

    Habituellement, un océan sépare ces deux espèces. Les grands hérons se sont installés sur la majeure partie du territoire nord-américain, de l'Amérique Centrale et des Caraïbes alors que le héron cendré est une espèce endémique d'Europe, d'Afrique subsaharienne et de certaines régions du sud de l'Asie.

    Les ornithologues ne savent pas exactement comment cet oiseau est arrivé à Nantucket, bien qu'une analyse photographique de chaque plume de l'animal menée par Tom Johnson suggère qu'il se trouvait en Nouvelle-Écosse cet été.

    D'après Petersen, le plus probable est que l'oiseau soit arrivé après un vol par le nord depuis l'Europe, en s'accordant peut-être une halte sur le littoral de l'Islande, du Groenland ou du Canada. Il a également pu voler depuis l'ouest de l'Afrique pour rejoindre l'Amérique du Sud puis les Caraïbes avant de faire route plus au nord. Autre possibilité, bien que peu probable, le « bateau-stop » depuis l'Europe. Enfin, le scénario le moins plausible serait un survol de l'Alaska depuis la Sibérie pour ensuite gagner le Massachusetts. Les hérons cendrés n'ont presque jamais été observés dans les îles Aléoutiennes.

    Il ne fait aucun doute que l'aire de répartition des hérons cendrés outrepasse désormais les frontières de l'Europe et d'après Veit, les oiseaux sont aperçus presque chaque année dans les Caraïbes ou à Terre-Neuve, au Canada.

    Les hérons cendrés sont également devenus des visiteurs réguliers de l'Islande et le Groenland dénombre à ce jour 15 observations documentées. Plus au sud, ce sont plus de 150 représentants de l'espèce qui sont aperçus chaque année dans les Açores, un chapelet d'îles de l'Atlantique Est, et les Bermudes ne sont pas en reste. Sur l'île de la Barbade, il est possible d'observer les oiseaux tout au long de l'année, même s'il n'existe aucune trace de leur reproduction dans la région pour le moment.

    Puisque les oiseaux s'aventurent de plus en plus loin sur le continent américain, « une future colonisation semble inévitable, » indique Veit.

     

    ESPÈCES ERRATIQUES

    Face à  la tendance actuelle qui consiste à considérer ces oiseaux « erratiques » comme étant « au mauvais endroit, » Veit soutient que de telles odyssées devraient plutôt être perçues comme étant naturelles, une façon naturelle pour les espèces de trouver de nouveaux territoires et d'étendre potentiellement le leur.

    « Cette tendance à l'erratisme et à la colonisation est en fait typique des oiseaux et d'autres organismes mais, paradoxalement, les ornithologues n'ont pas su la reconnaître à cause de notions désuètes qui voudraient que les oiseaux erratiques comme le héron cendré de Tuckernuck se soient perdus, aient eu problème d'orientation ou aient été "soufflés par une tempête", ce qui est complètement faux, » affirme Veit.

    Si les hérons cendrés et les grands hérons venaient à partager leur aire de répartition, ils entreraient probablement en concurrence en raison de la similarité de leurs habitats et de leurs régimes. Par ailleurs, en tant qu'espèces proches, il est possible qu'ils finissent par s'accoupler et produire une progéniture viable, explique Petersen.

    « Il y a 50 ans, on aurait pu prétendre qu'il n'y avait pas assez de données disponibles pour reconnaître que l'erratisme de certains oiseaux était un processus menant à la colonisation et à la spéciation, » déclare Veit. « Mais ces jours ont littéralement été balayés par un torrent de données » qui montrent précisément cela.

    Prenons par exemple le cas des hérons garde-bœufs, une espèce parente de taille similaire mais au plumage blanc qui a migré vers l'Amérique du Sud depuis l'Afrique dans les années 1950 avant d'entamer un nouveau voyage vers le nord. On les retrouve désormais en Amérique Centrale et dans le sud des États-Unis. Si ces oiseaux en sont capables, les hérons cendrés le sont peut-être également, suggère Petersen.

    Le héron cendré n'a pas été aperçu depuis le 6 septembre et aurait vraisemblablement repris son voyage en direction de l'ouest. Depuis, il a pu parcourir de nombreux kilomètres et offrir en route une surprise à d'autres passionnés d'ornithologie.

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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