Dans l'Idaho, un projet de loi entend tuer 90 % des loups de l'État

L'initiative menace de défaire plusieurs décennies d'efforts visant à réintroduire les loups dans la région.

De Douglas Main
Publication 30 avr. 2021, 17:25 CEST
idaho-wolves

Un loup gris au beau milieu d'une prairie de fleurs sauvages. En Idaho, un nouveau décret menace de tuer la plupart des loups de l'État.

PHOTOGRAPHIE DE Jim Et Jamie Dutcher

Dans l'Idaho, les législateurs viennent d'adopter un projet de loi visant à abattre la majorité des loups de l'État, ce qui reviendrait à supprimer la plupart des quotas imposés à la chasse des prédateurs. Cette mesure, qui constitue une extension sans précédent de la chasse au loup dans l'État, n'a pas tardé à s'attirer les foudres des scientifiques, des écologistes et même de groupes pro-chasse. 

La loi devrait permettre aux chasseurs et aux prestataires privés de tuer 90 % ou plus des loups de l'État, dont la population comptait 1 500 spécimens au dernier recensement. La décision tombe quelques mois après le retrait du loup de la liste des espèces protégées dans le cadre de l'Endangered Species Act des États-Unis, bien que le loup des Rocheuses du Nord ne fasse plus partie de cette liste depuis 2011. Avec cette nouvelle loi, ce sont plusieurs décennies d'efforts de réintroduction du loup dans la région qui risquent d'être réduites à néant, sans oublier les dizaines de millions de dollars d'argent public investis.

L'adoption de la loi a suivi la ligne des partis, avec une écrasante majorité de républicains en faveur et une opposition de la plupart des démocrates. Le Sénat a adopté le projet de loi le 21 avril à l'issue d'un vote à 26 voix contre 7, puis la Chambre des Représentants de l'État le 27 avril à 58 voix contre 11. La loi est désormais entre les mains du gouverneur républicain Brad Little. SI le gouverneur y appose sa signature, elle entrera en vigueur dans les prochains mois.

Le cas échéant, la chasse du loup, un animal perçu par beaucoup comme une menace pour le bétail, sera autorisée sous quasiment toutes ses formes, notamment depuis un avion, un hélicoptère, un véhicule tout terrain ou une motoneige. L'appâtage et la chasse de nuit avec des projecteurs seront également autorisés. De même, il sera possible de poser des pièges et des collets sur les propriétés privées tout au long de l'année et chaque chasseur aura droit à un nombre illimité de bracelets pour la chasse de ces prédateurs.

La loi ouvre la voie à une subvention de l'État à hauteur de 300 000 dollars pour l'abattage des loups qui s'attaquent aux élans, soit une augmentation annuelle de 190 000 dollars. Cette somme vient s'ajouter aux 500 000 dollars déjà alloués par l'État à l'abattage de loups s'attaquant au bétail. Cet argent peut par exemple servir à rembourser les frais engagés par un particulier pour chasser des loups, ce que beaucoup critiquent comme étant un retour au système de chasse à la prime qui avait mené à la quasi-extermination de l'espèce des États-Unis contigus au début du 20e siècle. (À lire : Le loup gris est-il toujours une espèce menacée ?)

COMPRENDRE : Les loups

Le projet de loi a été contesté par de nombreuses organisations qui soutiennent habituellement la chasse, dont le département de la Pêche et de la Chasse et de l'Idaho et le groupe Idaho Sportsmen.

« Ça n'a pas de sens, » déclare Carter Niemeyer, gestionnaire de la faune à la retraite qui a passé l'essentiel de sa carrière dans le contrôle des prédateurs. « Pour moi, cette loi est totalement injustifiée. On fait marche arrière. »

Néanmoins, le projet reste soutenu par la plupart des éleveurs généralement hostiles envers les loups, ajoute Niemeyer.

« Ces loups, il y en a trop aujourd'hui dans l'Idaho, » assurait la semaine dernière le sénateur républicain Mark Harris, éleveur et partisan du projet de loi, lors des débats dans l'enceinte du Sénat. « Il devrait y avoir 15 meutes, 150 loups […] Ils ruinent les éleveurs. Ils ruinent la faune. C'est une loi nécessaire. »

 

UN RÔLE CLÉ

Les études scientifiques menées sur les loups et leur impact sur leur écosystème attestent d'une réalité bien différente.

Il a été démontré que depuis leur réintroduction en 1995 au sein du Greater Yellowstone Ecosystem, les loups ont stabilisé l'écosystème. Par exemple, le gouvernement local recense actuellement plus de 120 000 élans, un chiffre similaire, voire supérieur, aux niveaux précédant la réintroduction du loup dans l'État. Des études menées dans le parc national de Yellowstone ont clairement montré que les loups contribuaient à améliorer la santé des troupeaux d'élans en réduisant les maladies et en créant des populations plus résistantes.

En outre, la surpopulation d'élans est un problème dans plusieurs secteurs de l'Idaho où les loups sont moins nombreux. Les élans se nourrissent de grandes quantités de céréales, ce qui a parfois contraint l'État à rembourser des sommes conséquentes aux agriculteurs, indique Garrick Dutcher, directeur de programme et des recherches pour l'organisme de conservation Living with Wolves, basé dans l'Idaho.

D'après Niemeyer, bon nombre de législateurs voyaient d'un mauvais œil la réintroduction des loups par le gouvernement fédéral il y a près de trente ans et depuis, ils n'ont eu de cesse de la combattre, un sentiment que l'on retrouve à l'origine du nouveau projet de loi. Des mesures similaires visant à étendre la chasse au loup ont été prises ailleurs récemment, dans le Montana et le Wisconsin par exemple.

Le projet de loi s'est frayé un chemin à travers le processus législatif de manière extrêmement rapide, en l'absence de réelle consultation de partenaires majeurs tels que le département de la Pêche et de la Chasse de l'Idaho, témoigne la représentante de l'État et démocrate opposée au projet Muffy Davis. Les scientifiques et les écologistes, pour beaucoup scandalisés par cette nouvelle loi, ont également été tenus à l'écart du processus.

Interrogée au sujet du projet de loi, Marissa Morrison Hyer, l'attachée de presse du gouverneur Brad Little, a répondu que le gouverneur avait pour habitude de ne pas commenter la législation en suspens.

« C'est un projet de loi qui a été proposé à la hâte en fin de séance, » témoigne Davis. L'une des raisons de son opposition est que le projet de loi « usurpe l'autorité du département de la Pêche et de la Chasse ». En vertu de la nouvelle loi, c'est à un service du bureau du gouverneur, le Wolf Depredation Control Board (en français, Comité de contrôle de la déprédation du loup, NDLR), que reviendrait la responsabilité de fixer le nombre de loups à abattre, ainsi que le pouvoir de recruter des prestataires pour tuer ces animaux.

Le projet de loi ne prête également aucune attention au nombre relativement faible de têtes de bétail tuées par les loups. Au cours de l'année fiscale 2020, les loups ont probablement tué 102 bovins et ovins, selon les agences de l'État. Ce qui représente environ un animal sur 28 000 à l'échelle des 2,8 millions de bovins et d'ovins que compte l'État, précise Dutcher.

« Comment cela justifie-t-il de tuer la grande majorité des loups de l'Idaho ? » interroge-t-il. « Ces chiffres ne sont pas disproportionnés par rapport au nombre d'animaux tués par d'autres carnivores, mais ces autres espèces ne sont pas persécutées, et ce, à juste titre. »

 

ABATTAGE SYSTÉMATIQUE

Ces dernières années, les chasseurs de l'Idaho ont légalement abattu environ 500 loups par an, de sorte que leur population reste proche des 1 500 représentants.

Certains partisans du projet de loi ont fait savoir qu'ils ne voulaient pas que la population de loups en Idaho dépasse les 15 couples reproducteurs, ou 150 spécimens au total. Sous cette limite, la gestion des loups reviendrait à l'US Fish and Wildlife Service, au niveau fédéral, explique Andrea Zaccardi, avocat principal du groupe environnemental Center for Biological Diversity.

Ces chiffres correspondent à la limite inférieure évoquée par l'US Fish and Wildlife Service lors du retrait des loups des Rocheuses du Nord de la liste des espèces protégées par l'Endangered Species Act en 2011. Cependant, comme le suggère Davis, le projet de loi pourrait mener à un massacre tel qu'il nécessiterait tout de même l'intervention des autorités fédérales, ce que ne souhaitent pas ses partisans.

Le projet de loi est sujet à controverses pour de nombreuses raisons, ajoute Dutcher. Non seulement il autoriserait l'abattage des loups dans leur tanière, y compris les louveteaux, mais il donnerait en plus aux chasseurs le droit sans réserve d'installer des pièges et des collets tout au long de l'année, ce qui pourrait s'avérer mortel pour le reste de la faune, sans parler des promeneurs et de leurs animaux domestiques

Début janvier, la sénatrice Michelle Stennett promenait Teagan, son golden retriever âgé de neuf ans, aux abords d'une route enneigée, lorsque celui-ci a marché sur un piège de métal qui s'est refermé sur sa patte et l'a immobilisé pendant 90 minutes. Dans la panique, Teagan a malencontreusement mordu la sénatrice et tous deux ont dû recevoir des soins d'urgence ; par chance, ils se sont rétablis depuis.

« Cette fois, c'était un chien, mais un enfant aurait très bien pu marcher à cet endroit, » ajoute Davis. 

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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