Ces araignées se "catapultent" pour ne pas se faire dévorer après l'accouplement

Chez une espèce d'araignées très répandue en Asie, les mâles fuient à toute vitesse après l’accouplement afin d'éviter de se faire dévorer par les femelles cannibales : un comportement qui n'avait jamais été observé auparavant.

De Liz Langley
Publication 26 avr. 2022, 11:32 CEST
Philoponella prominens mating

Une Philoponella prominens mâle (à droite) s'accouple avec une femelle lors d'une expérience en laboratoire.

PHOTOGRAPHIE DE Shichang Zhang

Les araignées mâles qui risquent de se faire dévorer par les femelles ont développé une technique astucieuse pour s’échapper : elles se lancent dans les airs après l’accouplement.

Lorsque Shichang Zhang a observé ce phénomène chez un membre de la famille des Uloboridae (Philoponella prominens), il s’agissait du premier exemple connu d’araignées mâles se catapultant pour échapper au cannibalisme sexuel. Écologiste à l’université de Hubei à Wuhan, en Chine, Zhang s’est dit surpris lorsqu’il a observé ce comportement en laboratoire.

« Le mouvement ultra-rapide est généralement utilisé par les animaux pour échapper aux prédateurs ou pour attraper des proies, et non pour contrer un partenaire sexuel », nous a-t-il expliqué par e-mail. (À lire : Cette araignée mutile les organes génitaux de sa femelle pour l’empêcher de s’accoupler à nouveau.)

Dans le cadre de l’étude de Zhang et de ses collègues, publiée ce lundi dans la revue scientifique Current Biology, toutes les araignées mâles qui ont fui les femelles après l’accouplement ont survécu. Des caméras à haute vitesse ont révélé que les mâles de cette espèce, qui font environ la taille d’une lettre sur un clavier d’ordinateur, effectuent en moyenne 175 tours par seconde lors de la manœuvre de fuite.

Les chercheurs « fournissent des preuves solides qui indiquent que ce comportement captivant est une adaptation sexuelle », déclare Greta Binford, arachnologue au Lewis & Clark College de Portland dans l’Oregon, et qui n’a pas pris part à l’étude. « Je ne connais pas d’autres études qui l’aient démontré. »

 

UN PREMIER RENDEZ-VOUS… PARTICULIER

Environ 290 espèces de ces araignées de la famille des Uloboridae existent dans le monde. En Chine, les Philoponella prominens forment des colonies d’au moins 300 individus et sont souvent présentes dans les jardins, les champs et les forêts. Binford, qui a étudié les Uloboridae au Pérou, décrit leurs habitats comme un « complexe d’appartements dans lequel chaque araignée a sa propre petite toile qui est reliée aux autres par une sorte d’échafaudage de soie ».

Les femelles de cette espèce, tout comme celles de nombreuses autres espèces d’araignées, essaient de manger leur partenaire sexuel après l’accouplement, probablement parce que les mâles sont plus petits et plus faciles à attraper que d’autres proies. Pour cette raison, lorsqu’il initie l’accouplement, le mâle s’approche de la femelle avec prudence. Il utilise un ensemble d’appendices, des pédipalpes, pour introduire un paquet de sperme dans l’ouverture génitale de la femelle, puis s’éloigne rapidement.

Afin d’observer ce catapultage de plus près, Zhang et ses collègues ont collecté de jeunes araignées dans un jardin voisin et les ont élevées en isolement dans leur laboratoire. L’équipe a ensuite placé un mâle non accouplé dans la toile d’une femelle non accouplée, et ont enregistré leurs interactions. Ils se sont assurés que la femelle soit nourrie correctement de mouches à fruits afin que la faim n’influence pas sa manière de traiter le mâle.

L’équipe a répété cette expérience avec 180 couples d’araignées et a enregistré 155 accouplements réussis. Dans 152 de ces cas, les mâles ont inséminé les femelles, puis se sont échappés et ont survécu. Dans les trois cas où les mâles ne se sont pas catapultés à temps, ils ont été tués et dévorés par la femelle.

Dans une autre série d’expériences, les chercheurs ont tenté d’altérer les moyens de fuite des araignées mâles de différentes manières, en retirant par exemple une paire de pattes avant, et d’observer les effets. Dans cette situation, les scientifiques ont constaté que ces mâles affaiblis, tout comme ceux qui n’avaient pas sauté à temps, ont été dévorés par les femelles.

 

UNE TECHNIQUE ASTUCIEUSE

En examinant image par image les enregistrements haute résolution des caméras à grande vitesse, l’équipe de recherche a « découvert le secret du catapultage », explique Zhang.

La clé serait ainsi l’articulation tibia-métatarse des pattes avant des araignées. Pendant l’accouplement, ces pattes sont repliées contre la femelle. Une fois l’accouplement terminé, le mâle serre un muscle dans son céphalothorax (partie avant de son corps), ce qui envoie l’hémolymphe (l’équivalent du sang chez l’araignée) dans ses pattes avant, lui permettant ainsi de se propulser loin de la femelle. « C’est comme si on pressait un ballon qui a des petits bras sur sa surface : ces bras se redresseraient », décrit Binford.

Les mâles fabriquent également une sorte de dragline avec un morceau de soie qui leur permet d’atterrir dans leur toile à bonne distance de la femelle. Cette ancre est une mesure de sécurité « au cas où les femelles seraient agressives et viendraient soudainement les tuer », explique Zhang.

Au cours de leurs expériences, lorsque les chercheurs coupaient cette dragline, les mâles atterrissaient sur le sol et non dans la toile, puis courtisaient la femelle mais n’essayaient pas de s’accoupler avec elle. Cela s’explique probablement par le fait que, sans sa dragline pour le protéger, le mâle est conscient qu’il ne pourra pas s’échapper après l’accouplement : il n’ose donc pas tenter le coup, selon Zhang.

Mais pourquoi le mâle prend-il la peine de faire la cour à la femelle s’il n’a pas l’intention de s’accoupler avec elle ? Il est possible que, s’il fait en sorte que la femelle le considère comme un partenaire potentiel, celle-ci n’essaiera pas de le manger immédiatement, explique Eileen Hebets, arachnologue à l’université du Nebraska à Lincoln, qui n'a pas pris part à la présente étude.

 

D’ÉTRANGES MOYENS DE DÉFENSE

Dans tout le royaume des araignées, les mâles déploient de nombreuses stratégies « étranges » pour éviter de se faire dévorer, ajoute Hebets. Certains mâles attachent les femelles avec de la soie avant de transférer leur sperme, ou offrent à la femelle un « cadeau » enveloppé de soie, probablement dans le but de la distraire.

D’autres mâles, en revanche, sont prêts à faire le sacrifice ultime dans l’intérêt de la transmission de leurs gènes. Si un mâle réussit à s’accoupler et reste dans les parages pour servir de repas, la femelle peut être suffisamment rassasiée pour ne pas chercher d’autres mâles : elle donnera ainsi naissance à une couvée issue de l’insémination de son défunt compagnon dévoré.

Pour Hebets, l’étude de l’équipe de Zhang « fournit un autre excellent exemple des possibilités apparemment infinies de découvertes que les araignées peuvent offrir aux scientifiques observateurs, curieux et passionnés. »

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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