Népal : la population de tigres a triplé, mais à quel prix ?

Depuis 2009, le nombre de tigres a presque triplé au Népal grâce aux engagements et aux efforts du pays en matière de préservation. Pas assez contrôlée, cette augmentation serait toutefois dangereuse pour les populations locales.

De Dina Fine Maron
Publication 2 août 2022, 11:02 CEST
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Un tigre du Bengale patauge dans le parc national de Bardia, au Népal, l'une des zones protégées pour ces animaux dans le pays.

PHOTOGRAPHIE DE Utopia_88, Getty Images

Ces dernières années, le Népal est devenu le numéro 1 mondial en matière de préservation des tigres.

Ce vendredi 29 juillet, le pays a déclaré compter 355 de ces félins menacés d’extinction sur son territoire : un nombre presque trois fois supérieur aux 121 individus estimés en 2009.

En 2010, lors du Sommet mondial du tigre à Saint-Pétersbourg, en Russie, les treize pays qui abritaient des populations de tigres à l’état sauvage se sont engagés à les doubler. À ce jour, seul le Népal est parvenu à atteindre cet objectif.

Les réussites du pays sont en grande partie le résultat d’une « forte implication du gouvernement » dans la conservation des tigres et de l’application de politiques anti-braconnage strictes, selon Abishek Harihar, directeur adjoint du programme sur les tigres de l’association de protection des félins sauvages Panthera, qui a soutenu les efforts du Népal lors du recensement de sa population de tigres du Bengale.

Au début du 20e siècle, plus de 100 000 tigres parcouraient notre planète, mais selon Panthera, la perte d’habitat a causé la disparition de plus de 90 % de leur aire de répartition. La chasse aux trophées et le braconnage pour leur peau et leurs os, utilisés en Chine et à travers l’Asie pour fabriquer des produits tels que le « vin » d’os de tigre, une boisson traditionnelle qui confèrerait la force de l’animal à celui ou celle qui la boit, ont aussi considérablement contribué à la réduction des populations. Aujourd’hui, le Cambodge, le Laos, le Vietnam et le Sud de la Chine n’ont plus de tigres à l’état sauvage.

COMPRENDRE : Les tigres

Au Népal, le braconnage d’un tigre est passible de quinze ans de prison et d’une amende de près de 10 000 euros, explique Harihar.

Depuis les années 1970, le Népal a instauré cinq parcs nationaux qui abritent la plupart des tigres du pays. Ces derniers font l’objet de surveillances intensives de la part du personnel des parcs et de l’armée. La protection des tigres a également aidé d’autres animaux menacés, tels que les rhinocéros, les éléphants et les pangolins.

De meilleures méthodes d’échantillonnage, comme les pièges photographiques, expliquent en partie l’augmentation du nombre de tigres dans le pays, mais la population a aussi connu une réelle croissance grâce à un plus grand nombre de naissances, selon Harihar. « Il est clair que le Népal s’est bien plus rapproché de [ses objectifs en matière de population de tigres] que les autres pays », même si l’Inde, le Bhoutan et la Thaïlande ont par ailleurs progressé ces dernières années.

L’annonce du Népal arrive après que l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), l’autorité mondiale chargée de déterminer le statut des animaux menacés, a déclaré au début du mois que le nombre de tigres dans le monde était « stable ou en augmentation ». Selon son dernier décompte, entre 3 726 et 5 578 tigres vivent désormais à l’état sauvage : une augmentation de 40 % par rapport à l’estimation de 2015. L’organisation note que la majeure partie de cette amélioration provient d’une meilleure surveillance des tigres déjà présents, et non de l’augmentation du nombre d’individus.

Pourtant, les progrès réalisés par le Népal ont des conséquences. En effet, certains critiquent l’accent mis sur l’augmentation du nombre de tigres, qui ne serait pas compatible avec la sécurité des communautés. Ces dernières années, les attaques de tigres contre les populations locales qui vivent autour de leur habitat ont augmenté, tout comme la prédation sur le bétail, menaçant ainsi leurs moyens de subsistance. Les agences gouvernementales et les défenseurs de l’environnement « n’ont pas suffisamment réfléchi à la manière de garantir la sécurité des personnes dans ces communautés », affirme Kumar Paudel, directeur de Greenhood Nepal, une association de protection de l’environnement établie à Katmandou.

« Je suis heureux de voir ce nombre de tigres, mais je trouve que le coût de cette préservation est très triste à voir. »

 

LES ATTAQUES EN AUGMENTATION

Entre juillet 2021 et juillet 2022, seize personnes ont été tuées par des tigres dans le parc national de Chitwan, le principal habitat du grand félin, selon Babu Ram Lamichhane, biologiste au National Trust of Nature Conservation du Népal. Seules dix attaques mortelles avaient eu lieu dans le parc au cours des cinq années précédentes.

Le mois dernier, un tigre a attaqué et blessé une femme de 41 ans dans le district de Bardiya, à proximité de l’une des plus grandes zones d’habitat du tigre, alors qu’elle ramassait du bois de chauffage. Selon le Kathmandu Post, l’incident a provoqué la colère de la communauté qui a bloqué la route principale dans le but de demander une meilleure protection contre la faune sauvage. Pour disperser les manifestants, les forces de l’ordre ont eu recours à des grenades lacrymogènes et ont ouvert le feu, faisant de nombreux blessés et tuant une personne.

D’après les observations du groupe de Lamichhane, en général, les tigres qui blessent ou tuent des êtres humains sont physiquement affaiblis ou n’ont pas de territoire, ce sont donc des animaux stressés qui cherchent des proies faciles. L’augmentation des densités de tigres obligerait certains de ces félins à chercher un territoire dans les zones périphériques, où ils sont plus susceptibles de rencontrer des humains.

Pour le biologiste, une meilleure surveillance de ces animaux, accompagnée d’un contrôle adapté, tel que l’euthanasie du tigre en question, peuvent contribuer à réduire les attaques. Il ajoute que déplacer les félins qui ont déjà attaqué des personnes n’est pas une bonne solution, car ces animaux seraient susceptibles de faire d’autres victimes, même ailleurs.

La plupart des personnes qui vivent autour des parcs nationaux dépendent toujours de la forêt pour leurs besoins quotidiens, comme pour le bois de chauffage par exemple, explique Kanchan Thapa, responsable des programmes de protection de la faune sauvage pour le WWF Népal. Le gouvernement et les autres partenaires de la conservation doivent donc s’efforcer de leur fournir d’autres moyens de subsistance.

À l’occasion de la publication des nouveaux chiffres, l’UICN a exhorté les pays à poursuivre l’extension et la liaison des zones protégées, et a appelé à une collaboration accrue avec les communautés vivant au sein et autour des habitats du tigre.

« Le problème majeur est l’interaction entre l’humain et le tigre », soutient Paudel, ajoutant que les gouvernements doivent « réfléchir au coût social de la préservation, ainsi qu’à la manière dont nous pouvons vraiment partager [ce coût] ».

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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