Chez les damans du Cap, les mâles chantent en rythme
Selon une nouvelle étude, cette faculté leur permettrait d’avoir davantage de prétendantes. Les meilleurs chanteurs engendreraient aussi une progéniture présentant de meilleures chances de survie.
Un daman du Cap mâle bâille dans le parc national du Serengeti, en Tanzanie. L’espèce est endémique de certaines régions d’Afrique et du Moyen-Orient.
Le soleil se lève au-dessus de la mer Morte, en Israël. Sortant de leur terrier plongé dans la pénombre, des damans du Cap mâles commencent à chanter.
À l’oreille humaine, les notes évoquent à la fois le rire d’une hyène et le crissement d’une craie sur un tableau noir. Mais pour les damans du Cap femelles, chaque refrain s’apparente à une ballade puissante résonnant à travers la gorge. Plus les mâles gardent le rythme, plus les femelles sont séduites.
Combinant l’analyse par spectrogramme des chants nuptiaux du daman du Cap avec les résultats de plusieurs saisons de reproduction successives, les scientifiques ont démontré pour la première fois que les mâles chantant plus fréquemment et gardant le mieux le rythme engendrent également une progéniture présentant de meilleures chances de survie. Leurs conclusions ont été publiées dans une étude parue le 12 septembre dernier dans la revue Journal of Animal Ecology.
Pour identifier les animaux à distance et faire correspondre leur chant aux résultats des tests de paternité, les scientifiques ont posé des boucles d’oreilles et des colliers de couleur sur les damans du Cap étudiés. (Écoutez le chant des mâles ici.)
« L’explication la plus simple, c’est que garder le rythme les rend séduisants, ou bien reflète d’une certaine manière leur potentiel sur le plan reproductif », explique Vlad Demartsev, responsable de la recherche et éthologue à l’Institut Max Planck d’éthologie au moment de la réalisation de l’étude.
À l’instar de nos chansons, les compositions des damans du Cap tendent à gagner en complexité avec la durée, atteignant un paroxysme qui semble être destiné à tenir en haleine les femelles.
« Ce n’est pas juste le fait qu’ils produisent le signal [qui séduit les femelles, NDLR] ni même qu’ils le fassent autant de fois que possible, confie l’éthologue, c’est le fait qu’ils livrent une bonne performance ».
LE CHANT POUR ÉVITER LES COMBATS
Les scientifiques ont étudié pendant 20 ans, dans la réserve naturelle d'Ein Gedi située en Israël, les damans du Cap, mammifères de la taille d’un lapin pourtant proches de l’éléphant.
Un mâle qui gagne le droit de vivre au sein d’un groupe composé jusqu’à 30 femelles juvéniles et bébés peut conserver cette position très convoitée jusqu’à la fin de ses jours, c’est-à-dire environ 9 ans.
Il arrive parfois, bien que ce soit rare, qu’il soit chassé par un mâle célibataire extérieur au groupe, lequel prend alors sa place. C’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles les damans du Cap mâles chantent toute l’année et pas uniquement lors de la saison des amours, qui atteint son pic sur quelques semaines en juillet et en août.
Selon Vlad Demartsev, le fait de démontrer sa valeur par le chant permettrait d’éviter tout affrontement entre les mâles.
« C’est une sorte de rituel qui peut minimiser le besoin de se battre, et les combats peuvent s’avérer risqués pour les deux côtés », indique-t-il.
CHEFS DE CLAN VS. CÉLIBATAIRES
Les scientifiques ont fait une autre découverte tout aussi fascinante : les mâles ne chantent pas tous de la même manière.
Ainsi, le chant des mâles perd en complexité une fois que leur interprète a pris la tête d’un groupe. Ce dernier produit alors des vocalises fréquentes à un rythme régulier.
« Toutes les femelles vous connaissent et savent déjà ce que vous valez. Elles vivent avec vous dans les mêmes terriers. Vous n’avez donc peut-être plus à fournir autant d’efforts pour en arriver au même point », souligne l’éthologue.
La plupart des mâles sont toutefois célibataires, et leur chant devient de plus en plus complexe avec l’âge.
Cela pourrait être dû au fait que les célibataires essaient régulièrement de courtiser les plus jeunes femelles en périphérie du groupe. Celles-ci tendent également à être des mères moins expérimentées, ce qui pourrait expliquer pourquoi la progéniture des mâles à la tête d’un groupe affiche de meilleures chances de survie au cours de leur première année de leur vie.
Vlad Demartsev ignore cependant les raisons pour lesquelles les femelles sont attirées par les mâles qui ont le sens du rythme. Placer le plus grand nombre de notes en une seule respiration pourrait-il être un indicateur de la bonne condition physique de l’interprète ? Ou bien, les arranger avec un rythme reproductible serait-il la façon la plus efficace de chanter ?
LES ORIGINES ANCIENNES DU RYTHME
Il y a encore quelques décennies, de nombreux scientifiques supposaient que les animaux communiquaient selon des schémas plus ou moins fixes, explique Chiara De Gregorio, primatologue à l’université de Turin en Italie et autrice d’une étude parue en 2021 sur les lémuriens chanteurs, qui a inspiré l’étude sur le chant des damans du Cap.
« Nous découvrons que ce type de schéma peut changer en fonction de la situation et qu’il dépend même d’autres aspects, comme les qualités du mâle », explique-t-elle.
Non seulement ce type d’étude est d’une grande importance pour la compréhension des damans du Cap ou les lémuriens, mais il renvoie, à chaque fois que les scientifiques découvrent qu’une autre espèce communique en utilisant des principes comme le rythme, aux origines vraisemblablement anciennes des composants qui ont fini par influencer la manière dont les humains créent de la musique et l’apprécient.
« En fin de compte, je pense que ces schémas sont bien plus courants [dans le règne animal] que nous le pensions précédemment », conclut Chiara De Gregorio.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.