Les ours en hibernation pourraient aider la recherche contre le diabète

Des scientifiques ont identifié huit protéines qui aideraient les grizzlis à réguler leur niveau d'insuline pour survivre au processus d'hibernation : une découverte qui, à terme, pourrait aider à prévenir et traiter le diabète chez l'être humain.

De Melissa Hobson
Publication 28 sept. 2022, 18:57 CEST
03 Grizzly bear

Les grizzlys (ici, un ours captif du WSU Bear Center) peuvent peser jusqu'à 360 kilogrammes.

PHOTOGRAPHIE DE Robert Hubner, Université d'État de Washington

Si un être humain mangeait des dizaines de milliers de calories par jour, prenait une quantité non négligeable de poids, puis ne bougeait pratiquement plus pendant des mois, les conséquences sur sa santé seraient catastrophiques. La communauté scientifique se demande depuis longtemps pourquoi ce même comportement n’entraîne pas de problèmes liés au diabète chez les grizzlis… du moins jusqu’à présent.

En donnant de l’eau avec du miel aux ours en hibernation, des chercheurs de l’université d’État de Washington ont découvert des indices génétiques sur la méthode qu’utilisent ces ours bruns pour contrôler leur niveau d’insuline. Leurs résultats, publiés dans iScience, pourraient bien déboucher sur de meilleurs traitements du diabète chez l’être humain.

L’insuline est une hormone présente chez la plupart des mammifères. Son rôle est de réguler la glycémie de l’organisme, en demandant par exemple au foie, aux muscles et aux cellules adipeuses d’absorber le sucre présent dans le sang, qui est une source d’énergie. Cependant, si une quantité importante de ce glucose entre dans la circulation sanguine, avec le temps, les cellules cessent de réagir et développent une résistance à l’insuline. C’est l’une des principales causes du diabète de type 2, une maladie qui peut entraîner des crises cardiaques, des accidents vasculaires cérébraux, ou encore la cécité. Les ours, contrairement aux humains, sont dotés de la mystérieuse capacité à contrôler leur résistance à l’insuline, en l’activant ou en la désactivant comme un interrupteur.

Pour découvrir les raisons de ce phénomène, des chercheurs ont prélevé du sérum sanguin chez six grizzlis âgés de 5 à 13 ans, en captivité au WSU Bear Center, un centre de recherche situé à Pullman, dans l’État de Washington. Ils ont également prélevé des échantillons de tissus adipeux qu’ils ont utilisés pour développer des cultures cellulaires en laboratoire. « Cela nous permet de tester des choses que nous ne pourrions pas réaliser sur un ours adulte », explique Blair Perry, coauteur de l’étude et chercheur postdoctoral à l’Université d’État de Washington.

Cette expérience a permis à l’équipe d’identifier les caractéristiques qui permettent aux ours de contrôler leur insuline : huit protéines clés semblent jouer un rôle unique dans la biologie de ces animaux, travaillant soit indépendamment les unes des autres, soit ensemble pour réguler l’insuline lors de l’hibernation.

L’être humain partageant la plupart de ses gènes avec l’ours, la compréhension du rôle de ces huit protéines pourrait, selon le chercheur, permettre aux scientifiques d’en apprendre davantage sur la résistance à l’insuline chez l’Homme.

 

LA SAISON DES OURS

Les grizzlis, que l’on trouve dans certaines régions de l’ouest des États-Unis, du Canada et de l’Alaska, passent par trois phases au cours de l’année : l’activité, l’hyperphagie et l’hibernation. Au printemps et en été, ces mammifères imposants passent leur temps à chercher de la nourriture, à s’accoupler et à s’occuper de leurs petits. Ensuite, à l’automne, les animaux passent à l’hyperphagie, lorsque « toute leur énergie est consacrée à manger le plus possible », raconte Perry.

02 Grizzly bear

Des grizzlis cherchent de la nourriture au WSU Bear Center situé à Pullman, dans l'État de Washington. Il s'agit du seul établissement de recherche de ce type aux États-Unis.

PHOTOGRAPHIE DE Robert Hubner, Université d'État de Washington

Pendant cette période, afin de se préparer à l’hiver, les ours consomment jusqu’à 20 000 calories et prennent jusqu’à 3 kilogrammes par jour.

Lorsqu’ils commencent leur hibernation au début de l’hiver, ils comptent sur leurs stocks de graisse pour les nourrir pendant les mois de froid. L’hibernation est « plus qu’un simple sommeil profond », précise Perry. « De nombreux changements physiologiques permettent aux ours de survivre à ces longs hivers sans nourriture. » Leur taux métabolique, leur rythme cardiaque et leur température corporelle diminuent, et ils deviennent résistants à l’insuline.

Les ours en hibernation connaissent des périodes d’éveil pendant lesquelles ils se déplacent, mais ne mangent pas. Lorsque les ours étudiés se réveillaient, l’équipe les nourrissait d’eau au miel (leur friandise préférée) pendant deux semaines, puis prélevait leur sang. Des prélèvements sanguins avaient déjà été effectués sur les mêmes ours au printemps et en été.

Ensuite, en laboratoire, les chercheurs ont combiné divers sérums sanguins avec des cultures cellulaires de différents types ; ils ont par exemple mélangé une culture cellulaire de tissus adipeux prélevés sur des ours en hibernation avec du sérum sanguin prélevé sur des ours actifs. Cela leur a permis d’observer quels changements génétiques se produisaient dans les cellules.

De toutes les combinaisons étudiées, c’est le sérum des ours en hibernation nourris au miel qui a le plus aidé à identifier les huit protéines clés impliquées dans la régulation de la sensibilité et de la résistance à l’insuline.

Pour Mike Sawaya, biologiste spécialiste des ours pour Sinopah Wildlife Research Associates, qui n’a pas participé à l’étude, la principale conclusion de cette « étude fascinante » est tout ce que l’hibernation des ours peut impliquer pour la santé humaine.

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    « Déterminer quelles sont ces huit protéines est une étape importante », affirme-t-il, tout comme le fait de déterminer quels éléments « sont activés et désactivés » lorsque les ours modifient leur résistance à l’insuline.

     

    PRÉVENIR LE DIABÈTE GRÂCE AUX GRIZZLIS ?

    Si la communauté scientifique comprend bien la résistance à l’insuline et ses conséquences, il reste encore beaucoup à apprendre sur ses origines génétiques. Étudier de quelle manière un ours parvient à activer et à désactiver sa résistance à l’insuline chaque année pourrait offrir aux scientifiques une « occasion unique » de mieux comprendre ce phénomène, ajoute Perry.

    Par exemple, si l’on parvenait à manipuler ces huit protéines chez l’être humain, on pourrait potentiellement « inverser [sa] résistance à l’insuline », espère Perry. Même si nous sommes encore loin de tels médicaments ou interventions, « nous nous en rapprochons », ajoute le chercheur.

    Sawaya convient qu’il s’agit « d’une pièce supplémentaire du puzzle », et espère qu’élucider les mystères de la physiologie de l’ours pourrait conduire à la prévention du diabète chez l’humain.

    Dans de futures études, l’équipe espère examiner la manière exacte dont ces protéines spécifiques désactivent la résistance à l’insuline chez les ours.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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