Chez les albatros, les mâles timides risquent le divorce

La vie amoureuse de ces grands oiseaux n’est pas un long fleuve tranquille. Surtout pour les plus timides. Face à des concurrents, ces derniers préfèrent fuir plutôt que de se battre pour leur couple.

De Manon Meyer-Hilfiger, National Geographic
Publication 3 nov. 2022, 10:08 CET
Un couple d'albatros hurleurs avec un juvénile prêt à voler.

Un couple d'albatros hurleurs avec un juvénile prêt à voler.

 

PHOTOGRAPHIE DE Henri Weimerskirch

Chez les grands albatros hurlants, il ne fait pas bon être timide. Les mâles peu téméraires, face à des concurrents plus hardis, préfèrent fuir leur couple plutôt que de risquer la confrontation. C’est en tout cas vrai pour ces oiseaux séjournant sur l’île de la Possession, confetti de terre perdu dans les eaux glacées du sud de l’océan Indien. Une étude parue dans les Biology Letters de la Royal Society britannique en septembre 2022 rend compte de ce phénomène chez les 2000 habitants de cette colonie.

Cet oiseau monogame a beau avoir la réputation d’être « le plus romantique du monde », il n’est pas à l’abri des remous de la vie conjugale. La raison ? Une population qui compte plus de mâles que de femelles. « Les femelles partent pêcher pendant des mois dans les eaux de l’Océan Indien austral, dans une zone plus proche de l’île et plus fréquentée par les chalutiers que celle des mâles. Elles peuvent alors tenter d’attraper les leurres et finir par se noyer » explique Stéphanie Jenouvrier, l’une des autrices de l’étude, et chercheuse à l’Institut océanographique Woods Hole, aux États-Unis. Résultat, les femelles sont moins nombreuses et les mâles se retrouvent en compétition pour trouver (ou retrouver) une partenaire. C’est là que leur personnalité va jouer un rôle clé.

« Nous établissons pour la première fois un lien entre le caractère d’un animal sauvage et le divorce » souligne Ruijiao Sun, autrice principale de cette étude, et doctorante dans ce même institut. Les veufs n’entendent pas rester célibataires bien longtemps, et certains n’hésitent pas à confronter un albatros pour lui « voler » sa partenaire. Si face à ces provocations, le mâle en couple se montre timoré, alors c’est la fin d’une relation.

 

Un couple d'albatros hurleurs assis l'un à côté de l'autre.

 

PHOTOGRAPHIE DE Samantha Patrick

Le point de départ de l’étude ? « Le constat que les oiseaux déjà divorcés étaient plus à risque d’une nouvelle séparation. Ces ruptures semblaient donc provenir d’un trait de comportement qui persistait au cours de la vie de l’individu » explique Stéphanie Jenouvrier.

Pour arriver aux résultats de l’étude, les scientifiques ont croisé plusieurs données. D’une part, celles qui mesuraient l’audace des albatros de cette île. La quasi totalité des individus ont été testés sur une période de dix ans, de 2008 à 2018. On présentait un humain ou bien un jouet de couleur vive à un albatros en pleine période de nidification. Certains criaient ou se dressaient sur leurs pattes : les voilà donc classés comme « téméraires ». Les albatros timides se taisaient et ne montraient aucune réaction.

En plus de ces informations, les scientifiques connaissaient aussi l’intégralité des couples de l’île, grâce à une étude lancée en 1959 et menée pendant cinquante-quatre ans par des chercheurs du CNRS, Henri Weimerkisrch et Christophe Barbraud.

 

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    Un albatros hurleur s'exhibe devant des partenaires potentiels.

    PHOTOGRAPHIE DE Samantha Patrick

    « Grâce à ces données à long terme, nous avons été capables de publier cette étude. C’est une chance : la plupart du temps nous avons seulement soit les informations démographiques, soit celles de comportements. Jamais les deux en même temps » précise Stéphanie Jenouvrier.

    Les auteurs ont donc été en mesure de reconstruire toute l’histoire amoureuse de ces oiseaux qui peuvent vivre jusqu’à cinquante ans, et qui, d’ordinaire, restent ensemble jusqu’à leurs morts. Tout était donc réuni pour comprendre au mieux les mécaniques d’une séparation sur l’île de la Possession. Il faut d’ailleurs en préciser les contours : la timidité n’est pas le seul facteur de divorce. Les albatros ensemble depuis longtemps sont moins susceptibles de se séparer que les jeunes couples, plus instables.

    Plus largement, les albatros n’en finissent pas de devoir affronter des obstacles dans leur vie amoureuse. Le changement climatique peut aussi, chez une autre espèce d’albatros (ceux à sourcils noirs), briser des relations. L’une des hypothèses avancées pour expliquer ces divorces : le réchauffement de l’eau qui diminue les stocks de poissons. Les albatros, mal nourris, constatent une chute de leur fertilité. C’est là un motif de rupture. Dans ces conditions, difficile d’assurer la pérennité des espèces. Selon l’IUCN, les albatros font partie des oiseaux de mer les plus affectés par les activités humaines.

     

    Un albatros hurleur qui plane avec grâce.

    PHOTOGRAPHIE DE Samantha Patrick

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