Sur les traces de l'once : la science au secours de la panthère des neiges
Afin d'assurer le suivi et la protection de l'un des fauves les plus élusifs au monde, les chercheurs se tournent vers les progrès de la génétique.
Cette panthère des neiges a été photographiée en Mongolie grâce à un piège photo, qui s'allume lors de la détection de mouvement devant l'appareil.
C’est probablement le grand félin le plus difficile à observer au monde : niché au cœur des sommets inaccessibles de l’Himalaya, parfaitement camouflé dans son environnement, l’animal est si discret que sa population exacte est longtemps restée incertaine. Malheureusement, à l’instar de ses cousins, la panthère des neiges est également sujette à une grave menace d’extinction.
Représentant une cible de choix pour les braconniers, le fauve est chassé pour sa fourrure, mais également pour diverses parties de son corps telles que ses crocs et ses os, utilisés en médecine chinoise traditionnelle. Il est également visé par les éleveurs locaux qui cherchent à protéger leurs troupeaux. En effet, le grand bharal, aussi appelé mouton bleu, l’une des proies naturelles les plus courantes de l’once, est également victime de braconnage et voit sa population diminuer d’année en année.
Enfin, ses populations sont également menacées par la réduction progressive de leur territoire : retrouvée entre les forêts et les neiges éternelles, l’once vit dans une toundra aride et dépourvue d’arbres, mais qui abrite une biodiversité florissante. Cependant, avec la hausse des températures, l’étage forestier remonte de plus en plus, réduisant la taille de la toundra accessible à ces félins.
Afin de faire face à ces nombreuses problématiques, plusieurs programmes de conservation ont été mis en place dans les différents pays où se trouve l’once, et ce malgré la difficulté du terrain. Pour assurer leur protection, les scientifiques devaient néanmoins connaître l’état et la localisation de ces animaux, ce qui n’a pas toujours été possible d’un point de vue technologique.
« Il y a deux décennies, il n’y avait aucune technique d’analyse disponible, donc nous utilisions les empreintes et les marquages territoriaux pour vérifier leur présence », explique le Dr Muhammed Ali Nawaz, responsable du programme de conservation de la Snow Leopard Trust et maître de conférence de l'Université du Qatar. « Mais ces cinq dernières années ont été révolutionnaires pour la recherche. Maintenant, nous utilisons les pièges photo et la génomique. »
À présent, n’importe quel échantillon récolté par les chercheurs peut permettre d’identifier avec précision l’individu qui l’a laissé : touffes de poils, déjections, ou même carcasses abandonnées constituent de véritables cartes d’identité de leurs auteurs. Grâce à ces informations, les scientifiques ont ainsi pu établir une cartographie plus précise de la localisation de chaque individu dans le labyrinthe de l’Himalaya et suivre, presque en temps réel, les déplacements et l’évolution de la population.
Parfaitement adaptées aux montagnes de l'Himalaya, les panthères des neiges possèdent un camouflage très performant, leur permettant de chasser à l'affut même à découvert.
FÉLICITATIONS, C’EST UNE PANTHÈRE DES NEIGES !
Cette prouesse est avant tout possible grâce à de petites séquences ADN particulières présentes dans le génome de tout être vivant. Appelées séquences satellites ou microsatellites selon leur taille, elles sont constituées de bases azotées répétées dont la combinaison est spécifique à chaque individu. Ce sont elles qui sont notamment utilisées chez l’homme lors des tests de paternité, ou pour prouver le lien de parenté entre deux personnes.
Ces marqueurs très précis permettent de suivre chaque panthère individuellement dans ses déplacements et sa reproduction. Avec ces informations, il est ainsi possible d’estimer l’étendue du territoire de chacun de ces grands félins, ainsi que leurs lieux de rencontre.
Traditionnellement obtenus par le biais de prélèvements sanguins à la fois invasifs et difficilement accessibles dans le cas de cette espèce, l’avancée des technologies de génomique permet à présent d’extraire des échantillons d’ADN à partir de très peu de matériel, et sans avoir à capturer l’animal. « Les biologistes sont chanceux avec les léopards des neiges : ils vivent dans un habitat où les échantillons sont naturellement préservés par le froid », souligne le Dr Nawaz. « Dans un environnement normal, ils ne seraient plus utilisables en deux jours, mais ici, ils peuvent toujours être exploités même s’ils sont collectés trois mois plus tard. »
En plus de permettre un suivi précis des populations de panthères, l’utilisation des satellites et microsatellites offre également de nombreuses autres opportunités en termes de conservation. Il est par exemple possible de suivre, à partir des déjections, le régime alimentaire de chaque félin en excluant leur propre ADN des analyses. Ces données sont particulièrement intéressantes pour confirmer ou infirmer la responsabilité des panthères dans les cas de prédation de bétail, qui représente une problématique récurrente et épineuse pour les populations locales partageant leur vie avec le fantôme des montagnes.
De plus en plus privée de ses proies naturelles, en partie à cause du braconnage, l'once n'a d'autre choix que de s'en prendre au bétail et de se confronter aux Hommes.
VIVRE AUX CÔTÉS D’UN GRAND FAUVE
Comme les autres grands fauves, la panthère des neiges doit partager son territoire avec l’Homme, une cohabitation parfois houleuse. « Pour mettre en place un programme de conservation pour [les panthères des neiges], il faut travailler avec les communautés », souligne Ali Nawaz. « Où que l’on aille sur le territoire des panthères, les gens vivent avec elles depuis très longtemps. » Si l’éducation sur le rôle de la panthère dans son écosystème est une part essentielle de la collaboration avec les populations locales, cette dernière nécessite également des mesures concrètes pour faire face aux problématiques posées par le grand félin.
Bien que très peu intéressée par l’Homme, l’once représente tout de même une menace pour ses voisins. Les deux seules attaques enregistrées ont été commises par un animal enragé et un autre vieillissant et affamé. En effet, pour les populations locales, la présence d’un tel prédateur représente un véritable danger économique pour la pratique de l’élevage traditionnel, la perte d’un seul animal pouvant avoir de graves répercussions.
Afin de protéger leur source de revenus, il n’est donc pas rare que les éleveurs aillent abattre une panthère suite à un acte de prédation, une action également dramatique pour les félins dont la population reste très fragile. Pour lutter contre ce problème, les programmes de conservation ont permis de mettre en place différentes mesures. « Nous avons mis en place des systèmes d’assurance du bétail qui garantissent le remboursement des animaux aux éleveurs et réduit la perte économique », décrit le Dr Nawaz.
Un autre problème, également bien connu par les spécialistes des loups en France, est le phénomène d’abattage en surplus, ou overkill. Lorsque le prédateur se retrouve coincé dans un enclos, confiné avec ses proies, l’animal se met à attaquer tout ce qui l’entoure jusqu’à parfois massacrer un troupeau entier, sans le consommer. Pour faire face à ce problème catastrophique pour les populations locales, les programmes de conservation aident également à la construction de structures conçues spécialement pour empêcher les prédateurs d’entrer. « Dans les pratiques traditionnelles, les enclos sont construits pour retenir le bétail et l’empêcher de s’éparpiller, mais grâce à ces nouveaux enclos, les attaques ont été drastiquement réduites » raconte le Dr Nawaz.
Enfin, la protection des panthères des neiges passe également par la réalisation de campagnes de vaccination massive du bétail. Si le lien peut dans un premier temps sembler difficile à établir, les chiffres lèvent rapidement le doute.
« En moyenne, les éleveurs perdent entre un et deux animaux par an à cause de la prédation et cinq à dix à cause de maladies », explique le Dr Nawaz. « Ce sont des maladies contagieuses et il n’y a pas de vétérinaires dans la région. Il faudrait aller dans les grandes villes, et le coût du transport est plus important que la valeur de l’animal lui-même. » En travaillant avec les différents services sanitaires des pays concernés afin de protéger le bétail des maladies, des campagnes de vaccination semestrielles ont été mises en place, augmentant significativement les chances de survie des animaux et réduisant l’impact économique de la prédation.
En plus de leur éviter la mort, les programmes sanitaires protègent également les panthères contre les maladies issues du bétail. « La source principale de maladies chez les animaux sauvages, ce sont les animaux domestiques », souligne Ali Nawaz. « Ces campagnes nous permettent d’éradiquer des maladies dans les vallées. Elles nous permettent à la fois de créer une tolérance pour les panthères dans les communautés, et de protéger leurs animaux. »
Si tous les pays concernés ne mettent pas encore en place l’ensemble des mesures présentées ici, ces dernières deviennent de plus en plus populaires du fait de leur efficacité. « Elles sont mises en place par différentes communautés et différents pays », conclut le Dr Nawaz. « Nous partageons nos connaissances et apprenons les uns des autres. »