Après 140 ans d'absence, un oiseau disparu réapparaît en Papouasie-Nouvelle-Guinée

Bien qu'il n'ait jamais été déclaré disparu, le pigeon-faisan à nuque noire n'avait pas été observé par les scientifiques depuis 1882 : un manquement rattrapé très récemment par une équipe d'ornithologues guinéens et américains.

De Lou Chabani
Publication 30 nov. 2022, 19:00 CET
Toute première photographie du pigeon-faisan à nuque noire, prise par un piège photographique sur l'île de ...

Toute première photographie du pigeon-faisan à nuque noire, prise par un piège photographique sur l'île de Fergusson, au large de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, proche du village de Duda Ununa. Cette photographie est la première image de l'oiseau vivant depuis 140 ans.

PHOTOGRAPHIE DE Doka Nason

Pour un ornithologue, il est difficile d’imaginer un meilleur accomplissement.

Dans une vidéo qui a maintenant fait le tour du monde, Doka Nason, collaborateur du laboratoire Karubian de l’Université de Tulane à La Nouvelle-Orléans, et Jordan Boersma, ornithologue du laboratoire Cornell, peinent à contenir leur joie.

Sur l’écran de leur piège photographique apparaît la toute première image du pigeon-faisan à nuque noire (Otidiphaps nobilis insularis), une espèce d’oiseaux terrestres qui n’avait pas été observée par les scientifiques depuis 140 ans.

Le cliché a été pris le dernier jour de l’expédition du projet Search for Lost Birds, sur l’île de Fergusson, en Papouasie-Nouvelle-Guinée. En travaillant en étroite collaboration avec les populations locales, l’équipe a pu remonter la piste de l’un des oiseaux les plus discrets du monde.

« Nous avions besoin des connaissances locales de l’espèce pour la retrouver », explique Serena Ketaloya, conservationniste de Milne Bay, en Papouasie-Nouvelle-Guinée. « Nous leur avons demandé de nombreuses d’informations sur son habitat, et sur les endroits où nous pouvions la trouver. »

En plus de la photographie, une vidéo de l’oiseau a également été enregistrée dans une autre région de l’île, confirmant l’existence d’au moins deux zones de répartition de l’espèce.

 

LES PIRATES, LA JUNGLE ET L'OISEAU INVISIBLE

Pour les habitants de l’île de Fergusson, l’oiseau s’appelle « Auwo » et, dans quelques villages, certaines personnes peuvent encore reconnaître son chant.

Si ces informations ne payent pas de mine au premier abord, elles représentaient de précieux indices concernant la survie de l’espèce pour les chercheurs. Pourtant, lors de leur premier passage sur l’île de Fergusson en 2019, l’équipe n’était même pas venue pour cet oiseau.

« Jordan, Doka et moi étions sur l’île en 2019 et nous recensions les oiseaux. Nos guides étaient des chasseurs locaux et, quand nous leur avons montré nos livres, ils ont reconnu l’espèce », raconte Jason Gregg, co-organisateur de l’expédition. « C’est à partir de ce moment que nous nous sommes dit que l’oiseau pouvait bien y être. »

« Deux de nos guides semblaient bien connaître le pigeon-faisan, mais ce n’est qu’à notre retour aux États-Unis que nous avons réalisé qu’il n’avait pas été observé depuis très longtemps », se rappelle Jordan Boersma. « Il n’avait pas été déclaré comme éteint, mais plus personne ne l’avait vu. »

La lutte pour rassembler les fonds nécessaires à la création d’une expédition a alors été engagée. Pour cela, les chercheurs ont pu compter sur la participation de John C. Mittermeier, directeur de programme de l’association American Bird Conservacy.

Allié à d’autres associations et laboratoires d’ornithologie, le groupe américain est impliqué dans le projet Search for Lost Birds. Lancé en 2021, ce dernier rassemble plusieurs experts et amateurs du monde entier à la recherche d’espèces d’oiseaux peu observées.

Grâce à une aide financière de la part de ce programme, une première expédition à la recherche du pigeon-faisan a pu être organisée. Malgré ce soutien, l’entreprise s’annonçait toutefois difficile, et ce pour de nombreuses raisons.

 « Nous nourrissons tout le monde dans notre équipe ainsi que les collaborateurs de la région, donc nous devons apporter des centaines de kilos de ravitaillement », explique Boersma. « L’île de Fergusson est un terrain difficile […] et, en plus, il y a de sérieux risques de piraterie pour s’y rendre. »

« Les premières interactions avec les habitants de l’île ont été difficiles en termes de communication », ajoute Serena Ketaloya. « [Cependant], nous avions quelqu’un en charge de la traduction et, avec le temps, ils ont compris ce que nous cherchions à accomplir. »

En effet, les terres de l’île de Fergusson appartenant aux communautés locales, toute opération doit nécessairement se faire avec leur collaboration. Cette condition s’applique également à toutes les futures expéditions de recherche sur le pigeon-faisan.

« Il nous faut en apprendre plus sur l’espèce », affirme Jason Gregg. « Nous espérons que cela pourra bénéficier aux communautés qui vivent sur Fergusson. »

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    Gravure historique du pigeon-faisan à nuque noire, John Gerrard Keulemans. Catalogue of the Birds in the British Museum. Volume 21, 1863.

    PHOTOGRAPHIE DE John Gerrard Keulemans

     

    LE LONG D'UN SENTIER EN BORD DE FALAISE

    Comment observer un oiseau qu'aucun scientifique n’a vu depuis plus d’un siècle ? À leur retour sur l’île de Fergusson, c’est à cette problématique que les ornithologues ont dû répondre.

    « Ils sont très élusifs. […] On ne peut pas les trouver en marchant simplement dans la jungle », explique le co-organisateur de l’expédition. « Des scientifiques viennent régulièrement sur [l’île de] Fergusson, et pourtant, personne ne l’avait observé ou entendu depuis 140 ans. »

    Une grande partie du travail sur place n’a été possible que grâce à la participation du Musée national de Papouasie-Nouvelle-Guinée et de nombreux collaborateurs locaux, qui connaissent bien mieux le terrain, mais aussi de chasseurs locaux, dont les compétences se sont révélées indispensables.

    « Leur savoir est vraiment impressionnant », selon Jordan Boersma. « Ils peuvent identifier de très petits oiseaux perchés à plusieurs mètres dans la canopée, sans l’aide de jumelles. Même pour un ornithologue entrainé, c’est très difficile. »

    « Nous pensions que les chasseurs pourraient nous renseigner, car l’espèce est assez imposante et aurait pu représenter une source de nourriture », ajoute Jason Gregg. « Mais en réalité c’est plutôt l’inverse ; les communautés locales et les chasseurs surveillent et protègent la forêt de menaces plus graves, telles que le bûcheronnage. »

    Néanmoins, malgré la compétence des chasseurs locaux, trouver des guides ayant observé le pigeon-faisan à nuque noire s’est avéré difficile. Pour trouver les bons interlocuteurs, l’équipe a dû interroger plusieurs personnes qui connaissaient le terrain, en testant leurs connaissances des oiseaux de l’île et de leurs chants.

    Si les résultats rassemblés étaient particulièrement précis, peu de personnes semblaient capables de reconnaître le pigeon-faisan. Selon Boersma, les seuls témoignages rassemblés concernant l’auwo provenaient des générations précédentes, qui l’avaient croisé ou entendu dans les années 1980 ou 1990 dans une zone bien précise de l’île.

    « Nous nous sommes rendus dans cinq ou six villages, et les personnes qui reconnaissaient l’oiseau nous désignaient toutes la même région sur la carte », se rappelle Boersma. « Nous y sommes donc allés, et c’est de cette manière que nous avons eu la chance de trouver […] le chasseur avec qui nous avons travaillé, Augustin [Gregory], qui nous disait avoir vu l’oiseau la semaine précédente. »

    Originaire du village de Duda Ununa, près de l’endroit où l’oiseau a finalement été photographié, le chasseur s’est distingué par sa capacité à reconnaître le chant, l’apparence, mais aussi les traces de l’animal. Cette capacité était indispensable pour placer le piège photographique au bon endroit.

    Déclenché à chaque mouvement passant devant son capteur, le dispositif doit être placé de manière à capturer le passage de l’animal, mais aussi à pouvoir l’identifier. Un piège placé trop haut ou trop bas pourrait manquer sa cible ou ne pas permettre de la reconnaître formellement.

    « Nous savions grâce à la description de 1882 que l’oiseau avait été retrouvé à 600 mètres d’altitude ; c’était un premier indice pour déterminer où placer la caméra », raconte Jason Gregg. « [Augustin] nous a dirigés dans la forêt et nous a aidés à placer le premier piège photo. »

    « Nous le suivions dans des zones très escarpées, et […] il a désigné le bord d’une crête en nous expliquant qu’il y voyait des traces de l’oiseau », raconte Jordan Boersma. « Je serais incapable de vous dire comment il pouvait les voir, mais nous lui avons fait confiance et nous avons posé le piège. »

    C’est ensuite Doka Nason qui a choisi l’angle et l’emplacement précis de l’appareil au milieu des fourrés. Il a alors suffi de 24 heures pour que l’auwo pointe le bout de son bec. Les chercheurs sont repassés quelques heures plus tard, juste avant de quitter l’île, et ont découvert le cliché dans la fameuse vidéo.

    « C’est un timing digne d’un film », s’amuse Gregg.

     

    AU CHEVET DE L'AUWO

    À l’heure actuelle, il est difficile de déterminer dans quel état se trouve la population du pigeon-faisan à nuque noire. Depuis sa découverte en 1882, très peu d’informations ont été rassemblées sur l’oiseau, et la majorité des caractéristiques de l’espèce provienne des autres pigeons-faisans présents sur les autres îles de Papouasie-Nouvelle-Guinée.

    « Ils sont principalement terrestres, mais peuvent voler sur de courtes distances », explique Jason Gregg. « Ils pondent un seul œuf dans un nid creusé sur le sol. Ils ont également un chant commun, qui s’entend de très loin en période de reproduction. »

    « Nous essayons désormais de rassembler les fonds et financements nécessaires pour revenir et en apprendre plus sur l’auwo », poursuit Boersma. « Les populations locales ont une certaine connaissance de son écologie, mais rien d’officiellement publié. »

    Une autre préoccupation des écologistes : prévenir les menaces pesant potentiellement sur l’espèce. Même si sa population réelle est inconnue, elle est endémique de l’île et Fergusson, et donc très sensible.

    Parmi les risques recensés, on retrouve notamment plusieurs espèces invasives apportées au fil des années, telles que les rats et les chats, eux aussi enregistrés par les pièges photographiques. La potentielle consanguinité des populations, mais surtout l’exploitation forestière de la jungle, représentent également des problèmes importants.

    « Plusieurs compagnies d’exploitation forestière sont présentes à Fergusson, et l’une d’entre elles devait arriver sur la zone [où la photo a été prise] peu de temps après », se désole Boersma. « Il est important de recenser rapidement la population restante pour mettre en place des programmes de conservation. »

    « Lorsque nous avons montré les photos de l’oiseau dans les villages, certaines personnes ont fait la remarque qu’ils avaient sûrement été chassés par les bûcherons », raconte Serena. « À présent, il est important de localiser toutes les régions dans lesquelles l’auwo est présent et de garantir leur protection. Nous nous mobilisons également auprès des habitants afin de les impliquer dans la protection du pigeon-faisan. »

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