Après avoir été menacé d'extinction en France, le lynx reprend ses marques
Malgré un état des lieux plus que pessimiste de l'état actuel de la biodiversité, dans son dernier rapport, le WWF présente également les victoires des efforts de conservation.
Les yeux dans les yeux avec un lynx boréal. Ce mâle, Guillaume François le suit depuis plus de huit ans sur le terrain.
Dans son rapport Planète Vivante 2022, le WWF partage ses constats sur l’état actuel de la biodiversité. Depuis plus de vingt-quatre ans, l’ONG travaille avec des experts pour documenter les disparitions ou les victoires de conservation, et ce afin d’encourager à sauver le vivant « de toute urgence » par le biais d’objectifs ambitieux à échelle mondiale. Parmi les points positifs du rapport de cette année, l’organisation a constaté le retour progressif du lynx, que l’on croyait presque éteint, en France.
Il est l’un des prédateurs les plus efficaces du règne animal ainsi que l’un des grands félins les plus difficiles à observer. Pourtant, le lynx boréal (Lynx lynx) peut aussi s’apparenter à un très gros chat.
Incapable de rugir, cette capacité étant réservée à ses cousins tigres, panthères et lions, le lynx peut surtout miauler et ronronner.
C’est aussi le seul et unique grand félin du territoire français, et l’un des trois grands prédateurs à avoir parcouru nos forêts. Discret et totalement inoffensif pour l’Homme, le lynx fait depuis plusieurs années un retour timide dans le nord et l’est de la France.
Si ses effectifs semblent aujourd’hui se rapprocher des 150 à 200 individus, principalement dans le Jura, le félin avait pourtant disparu du territoire à la fin des années 1970. Les origines de cette baisse de population étaient les mêmes que celles qui limitent aujourd’hui un retour stable de l’animal dans nos forêts. « Premièrement, il y a le rétrécissement de son habitat […], le lynx a besoin de grands espaces de forêt peu fréquentée où il trouvera du gibier, et ces zones se sont rétrécies », explique Yann Laurans, responsable du pôle diversité terrestre du WWF France. « La deuxième raison est qu’ils sont victimes d’accidents sur la route et, enfin, la troisième raison est qu’ils sont parfois abattus par des personnes en possession de fusils, qui les voient comme un concurrent ou un danger. »
C’est avant tout grâce à la convention de Bernes de 1979, qui demande une protection du lynx par la loi, que l’animal est de retour. Ajoutée à d’autres réglementations nationales et internationales, cette convention a permis de réduire drastiquement le nombre de lynx abattus.
Jeune mâle âgé de 2 mois et demi qui a passé 5 années (plus de 1 000 jours d'affût) à suivre sa mère dans son territoire. Il s'agit de l'une des premières images du lynx boréal à l'état sauvage.
UNE VICTOIRE ANCIENNE ET ENCORE INCOMPLÈTE
À l’exception de dix-sept individus lâchés dans les Vosges en 1983, le lynx est revenu dans les forêts françaises par lui-même. Si on retrouve aujourd’hui la majorité de sa population dans le Jura, des individus ont également été observés dans les Alpes.
« Le lynx n’a pas été réintroduit de manière officielle. Dans le cas de l’ours des Pyrénées, on est allés chercher des ours en Slovénie. Mais le lynx est venu de nos voisins du nord-est, l’Allemagne et la Suisse. »
Le retour du félin s’est donc fait de manière progressive, sur plusieurs années, et a également été rendu possible par une amélioration de la gestion des espaces. Au premier rang des mesures bénéfiques, selon le WWF : l’ouverture des parcs nationaux et régionaux, qui ont permis de créer des espaces favorables au développement des populations.
« Outre la protection de l’espèce, il y a aussi les mesures de protection des espaces et un certain nombre de réglementations », précise Yann Laurans. « Il y a un certain nombre de forêts profondes qui ont été préservées […], et ça a contribué à rendre le retour du lynx possible. »
Néanmoins, malgré ce retour quasi miraculeux, le WWF reste prudent : selon les relevés effectués au fil du temps, en réalité, la population stagne depuis plusieurs années. En effet, si de nouvelles portées sont régulièrement recensées, la disparition d’individus en raison d’accidents de la circulation ou d’abattages illégaux progresse à peu près au même rythme. S’y ajoute également la difficulté de contrôler les populations, et donc de les protéger pleinement.
« La population est difficile à surveiller. Ça se fait principalement avec leurs traces, c’est-à-dire leurs poils et leurs crottes, ainsi qu’avec des pièges photographiques », explique le responsable du WWF. « Ce sont des appareils qui sont placés à des endroits où l’on pense que le lynx va passer, et qui se déclenchent lorsqu’il y a du mouvement. C’est pour ça que les comptages sont toujours assez approximatifs. »
Un autre risque pèse également sur la population : celui de la consanguinité. Commune à toute population animale instable et limitée, celle-ci semble particulièrement préoccupante pour le lynx boréal français.
« La population de lynx est génétiquement fragile pour deux raisons », poursuit le responsable du pôle biodiversité terrestre. « D’une part, ils ne sont pas nombreux, et de l’autre, ils sont séparés par de nombreuses routes et voies de chemin de fer, et ne sont donc pas assez connectés entre eux. »
De ce fait, si de bonnes mesures ne sont pas mises en place, les lynx de France seront toujours en danger de disparition. Cependant, à l’inverse du loup et l’ours, le félin à la chance de ne pas avoir à lutter contre une image négative du public. Quasiment absent des légendes et des contes de notre enfance, et naturellement méfiant des humains, les rencontres se résument souvent à un simple aperçu, à plusieurs mètres de distance.
« Le lynx est un prédateur qui peut s’attaquer aux troupeaux, mais c’est assez rare. Il y a assez peu de conflits économiques le concernant », explique Yann Laurens. « [De plus], le lynx n’est pas un animal à conflit, contrairement au loup et à l’ours. Aucune attaque de lynx sur les humains n’a été enregistrée à travers l’Histoire, ce qui adoucit aussi son image. »
À la fin des années 1990, le lynx ibérique (Lynx pardinus) avait presque atteint les 100 individus. Endémique de l'Andalousie, on en compte aujourd'hui près de 1 100, notamment grâce aux efforts du WWF et du gouvernement espagnol. Les mesures qui ont permis cette conservation pourraient à présent servir d'exemple pour le lynx boréal en France.
AU SECOURS DU LYNX BORÉAL
Le retour du lynx dans l’est du territoire est un excellent signe pour la santé des forêts françaises. L’ensemble de l’écosystème est nécessaire pour soutenir la présence du grand prédateur ; la conservation des écosystèmes forestiers français, et particulièrement de la forêt profonde, est donc primordiale pour permettre la stabilisation de ses effectifs.
« Il faudrait des surfaces de protection […] à la fois plus vastes, mieux protégées, et pratiquant ce que l’on appelle de la protection forte, c’est-à-dire des endroits sans activité économique », explique Yann Laurans. « Plus généralement, il faut conserver les forêts du quart est et nord-est de la France. Le lynx est l’ambassadeur de tout l’écosystème des grandes forêts fraiches de France et, avec lui, tout un cortège d’animaux et de plantes menacées. Il est donc nécessaire de protéger la forêt en la laissant vivre. »
Cette tactique a déjà porté ses fruits pour un autre lynx d’Europe : le très rare lynx ibérique (Lynx pardinus), endémique de l’Andalousie. Considéré comme l’un des félins les plus rares au monde, il ne comptait plus que quatre-vingt-quatorze individus au début du 21e siècle.
Menacé pour les mêmes raisons que le lynx boréal français, telles que le morcellement de son environnement et l’abattage illégal, ce lynx a réussi un retour en force au cours de ces dernières années. Grâce aux efforts du gouvernement espagnol et de plusieurs associations de conservation, sa population est aujourd’hui remontée à plus de 1 000 individus.
Le secret de ce retour est la reconnaissance du lynx ibérique comme un symbole de la santé des écosystèmes espagnols, et la réintroduction de plusieurs individus afin de sauver la population de la consanguinité. Ces solutions, pour lesquelles le gouvernement est encore en train de légiférer, seraient tout aussi applicables pour le lynx de France.
« Pour que [la population de lynx] survive en Europe de l’Ouest, il serait nécessaire de faire ce que l’on appelle des renforcements. Il s’agit d’aller chercher des individus avec un patrimoine génétique différent, et de les amener ou de faire un échange avec un autre groupe afin de mélanger les gènes », suggère le responsable du WWF. « [Pour l’instant], on ne peut pas le faire si l’État ne l’autorise et ne l’organise pas. Aujourd’hui […], le nouveau plan national d’action ne prévoit pas de réintroduction pour les cinq années à venir. »
Le WWF a donc cinq ans pour étudier précisément le sujet et les modalités nécessaires à la préservation du lynx boréal en France. Ces mesures n’auraient pas forcément à être titanesques, très peu d’individus étant nécessaires pour permettre de limiter les risques liés à la consanguinité. Une telle situation avait déjà été observée chez le loup, lorsque l’arrivée d’un seul individu avait permis de sauver la population des loups de l’Isle Royale du lac Supérieur, en Amérique du Nord.