100 guépards sud-africains vont être réintroduits en Inde
Alors que la population mondiale de guépards asiatiques arrive à ses derniers représentants, l'Inde va bénéficier de l'envoi de 100 guépards d'Afrique du Sud afin de ressusciter sa propre population du félin, éteinte depuis les années 1940.
Une guéparde et son petit, photographiés en Afrique du Sud.
Le guépard (Acinonyx jubatus) est l’un des animaux les plus emblématiques d’Afrique. Pourtant, ces félins, connus pour leur vitesse et leur allure noble, comptent également parmi les espèces les plus menacées de leur famille.
Les guépards sont répartis en plusieurs populations isolées, que l’on retrouve dans différents pays du continent africain. La sous-espèce des guépards asiatiques (Acinonyx jubatus venaticus), présente à l’origine jusqu’au Moyen-Orient et en Asie, est aujourd’hui limitée au centre de l’Iran, avec une dizaine d’individus seulement.
« [La population de guépards asiatiques] en tant que sous-espèce est sûrement condamnée. Il faudrait complètement contrôler leur reproduction pour garantir une sauvegarde, ce dont nous sommes incapables », explique Adrian Tordiffe, vétérinaire sud-africain responsable du projet de réintroduction et membre de la fondation de conservation Africat.
Des efforts de réintroduction sont néanmoins en cours pour tenter d’étendre le territoire du guépard sur le continent asiatique. À défaut de pouvoir prélever des individus de la population iranienne, bien trop fragile, ce sont des guépards originaires d’Afrique du Sud qui seront ainsi envoyés en Inde, à raison de douze par an, jusqu’à atteindre un total de 100 individus.
Autorisé par la Cour suprême d’Inde en 2020, le programme de réintroduction a dans un premier temps été retardé par la pandémie de COVID-19, puis par les négociations entre les gouvernements.
« L’intérêt du gouvernement indien pour la réintroduction des guépards a commencé dès 2009 », se souvient Tordiffe. « Ils ont fait beaucoup de recherches sur leur origine et sur [les meilleurs endroits] où les réintroduire […]. Ils ont aussi beaucoup d’expérience avec les grands félins, comme les léopards et les tigres. »
Déjà sur place, un groupe de huit guépards issus de la population namibienne sera ainsi rejoint par douze nouveaux félins dès le mois prochain.
Après avoir été tranquillisés, les guépards sont déplacés dans des caisses individuelles et gardés sous haute surveillance par les vétérinaires.
UN JEU DE CHAISES MUSICALES GÉNÉTIQUE
Si les guépards sont aujourd’hui absents du territoire indien, cela n’a pas toujours été le cas. Un siècle plus tôt, le territoire global de l’animal terrestre le plus rapide du monde s’étendait jusqu’en Inde, avant de doucement reculer face à l’augmentation de la population humaine.
Symboles de pouvoir, selon Adrian Tordiffe, ils étaient parfois domestiqués par les castes nobles afin d’être utilisés à la chasse, comme des lévriers. La colonisation anglaise a par la suite engendré la chasse des grands prédateurs pour la réalisation de trophées, ou pour protéger les troupeaux.
Après avoir reculé face au développement des villes et la réduction du nombre de leurs proies, chassées pour leur fourrure, les guépards ont été déclarés officiellement éteints en Inde en 1952. Aujourd’hui, soixante-dix ans après leur disparition locale, l’espèce fait désormais son retour d’abord dans le parc de Kuno, au sud de New Delhi, puis prochainement au Rajasthan et près du barrage de Gandhi Sagar.
Si les premiers guépards envoyés en Inde au mois de septembre sont originaires de Namibie, les prochains fauves à rejoindre le sol indien seront tous originaires d’Afrique du Sud. Selon le vétérinaire, c’est en effet dans cette région du continent africain que se trouve le seul groupe dont la population connaît actuellement une augmentation.
« La population se porte très bien, elle est passée de 200 individus à plus de 500 en 10 ans […]. Nous déplaçons des individus d’une poche à l’autre en permanence afin d’assurer la circulation des gènes », présente le vétérinaire. « Comme elle augmente régulièrement chaque année, nous avons un certain nombre d’individus à transférer [en dehors du pays]. »
Plusieurs individus ont ainsi été envoyés au Malawi, en Zambie et au Mozambique. Grâce à ces nouveaux animaux, les populations des autres pays bénéficient d’apports génétiques frais, évitant les risques de consanguinité.
Le guépard étant aujourd’hui réduit à seulement 12 000 individus, les risques de reproduction entre animaux apparentés sont en effet très élevés. Le manque de diversité génétique pourrait alors engendrer de nombreux risques relatifs à la santé des félins, ainsi qu’une diminution du taux de survie des portées.
Plus petits que les autres superprédateurs, les guépards ont également le désavantage de devoir récupérer très longtemps après avoir capturé une proie. On les aperçoit donc souvent, épuisés par leurs pointes de vitesse à 110 km/h, en train de haleter aux côtés de leurs proies fraîchement attrapées.
Pendant leur période de repos, les guépards deviennent des cibles faciles pour les lions, hyènes et léopards, qui viennent les tuer ou dérober leur capture.
« Les principaux dangers qui menacent les guépards sont les altercations avec les autres prédateurs. Environ 30 % de la mortalité dans les réserves peut être attribuée aux lions », ajoute le vétérinaire.
En raison de cette vulnérabilité et de ces problèmes de santé, il est souvent très difficile pour les populations de guépards de reprendre des forces, et ce malgré les efforts des conservationnistes. Afin de garantir la solidité de la future population et limiter au maximum les risques, les individus sélectionnés pour le transfert en Inde sont aussi génétiquement divers que possible.
« Nous prélevons des animaux à travers tout le pays […], les douze animaux qui vont bientôt être envoyés viennent tous d’endroits différents. »
Afin de limiter au maximum les risques sanitaires, les guépards font l'objet d'une quarantaine d'un mois avant et après leur envoi en Inde. Ils subissent également de nombreux examens médicaux destinés à garantir leur bonne santé, ainsi que la robustesse de la population à venir.
UN GUÉPARD DANS L'AVION
En plus de garantir la diversité génétique des animaux importés, de nombreuses conditions sanitaires devaient être remplies afin d’éviter l’importation de maladies infectieuses lors de l’acheminement des félins jusqu’en Inde.
Issus d’écosystèmes différents, les guépards pourraient en effet devenir les vecteurs de maladies étrangères à la biodiversité indienne. Afin d’éviter cela, les félins font l’objet de nombreuses analyses aussi bien à leur départ qu’à leur arrivée, ainsi que de deux périodes de quarantaine.
« Les animaux sont tranquillisés depuis un hélicoptère, puis emmenés dans l’un de nos deux centres de quarantaine. Ils y sont surveillés individuellement […] pendant un mois », explique Adrian Tordiffe. « Comme les négociations entre les deux gouvernements ont pris un peu de temps, ils y sont restés plus longtemps, mais nous prenons extrêmement soin d’eux. »
Pour assurer la nutrition de ces grands carnivores et éviter tout risque de maladie, les guépards sont nourris avec des carcasses fraîches de leurs proies naturelles, abattues pour eux le jour même.
Pas d’inquiétude : ce traitement ne semble pas impacter leur capacité naturelle à chasser. Déjà libérés dans les plaines du parc de Kano, les huit guépards namibiens ont déjà été observés en train de capturer leurs premières proies.
« Nous choisissons des individus très sauvages, parce que nous voulons qu’ils évitent les humains […] et évitent de chasser du bétail », ajoute Tordiffe. « L’Inde a déjà un très bon système de dédommagement du bétail à cause des léopards et des tigres, mais le but est d’éviter ce genre de rencontre. »
Après leur premier mois de quarantaine, les animaux seront à nouveau tranquillisés et transportés par avion. Le transport, effectué de nuit par un avion puis un hélicoptère militaire indien, les emmènera jusque dans un nouveau centre de quarantaine où ils passeront à nouveau un mois.
Après toutes ces précautions sanitaires, les guépards seront relâchés d’abord dans un enclos de 5 km² au sein du parc national de Kano, et surveillés par des colliers GPS.
« Ils seront ensuite libérés progressivement, après une période d’adaptation, et ils pourront alors aller où ils veulent, parce que le parc n’est pas clôturé. Nous espérons tout de même réussir à les ancrer dans la zone. Ils seront de toute façon traqués quotidiennement grâce aux colliers afin de surveiller leur état. »
Les opérations de réintroduction devraient ensuite se poursuivre sur différentes zones pendant cinq à dix ans, jusqu’à atteindre la centaine d’individus.
La population indienne étant déjà habituée à la présence de prédateurs, et ces derniers possédant un certain statut dans la religion hindoue, les risques d’altercation ont également été évalués comme inférieurs à ceux rencontrés en Afrique.
« Un autre avantage est que le parc national de Kuno n’a aucun tigre pouvant menacer les guépards. Mais il y a de nombreux léopards [...] qui pourront poser problème pour les guépardeaux », soulève Tordiffe. « Cependant, nous avons remarqué que les guépards se débrouillent très bien dans les régions à forte végétation, parce qu’ils peuvent cacher leurs petits facilement. »
Habituellement associés aux grandes étendues herbeuses, les guépards ne seraient toutefois pas si adaptés à ces environnements, selon les chercheurs. Cette image serait en effet véhiculée par de nombreux documentaires, les plaines permettant d’observer facilement la course des guépards, mais serait bien loin de la réalité.
« Dans plusieurs réserves sud-africaines, nous avons observé que les populations se développaient bien mieux dans des zones de végétation dense […] et même jusqu’en bord de mer », conclut Adrian Tordiffe. « L’avantage du parc de Kano, c’est qu’il présente cette diversité. Nous sommes optimistes quant à l’avenir des guépards là-bas. »