À peine découverte, cette espèce de baleine est déjà menacée d'extinction

Avec une cinquantaine d'individus seulement, les baleines de Rice comptent parmi les mammifères marins les plus rares du monde. Les scientifiques pourront-ils protéger cette espèce des ravages de l'activité humaine avant qu'il ne soit trop tard ?

De Melanie Haiken
Publication 9 févr. 2023, 20:31 CET
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Une baleine de Rice (Balaenoptera ricei), que l'on appelait auparavant le rorqual de Bryde du golfe du Mexique, nage sous la surface dans le golfe du Mexique.

PHOTOGRAPHIE DE NOAA Fisheries

Il est rare de découvrir une nouvelle espèce de mammifère, d’autant plus si elle atteint les 12 mètres de long, pèse jusqu’à 30 tonnes et fréquente les eaux au large d’une zone fortement peuplée.

C’est pourtant ce qu’il s’est passé en 2021, lorsque des scientifiques ont annoncé la découverte d’une nouvelle espèce : la baleine de Rice (Balaenoptera ricei), que l’on croyait auparavant être une sous-espèce du rorqual de Bryde (Balaenoptera brydei), une autre espèce également méconnue de baleine.

Cette nouvelle était cependant accompagnée d’une annonce bien plus triste : ces baleines du golfe du Mexique sont en danger critique d’extinction. Selon les meilleures estimations des chercheurs, il ne reste que cinquante-et-un individus, ce qui en fait l’un des mammifères marins les plus rares au monde. 

Leur habitat principal se trouvant au beau milieu d’un couloir de navigation très fréquenté, les baleines de Rice doivent faire face à une menace constante de la collision avec les navires, des activités d’entraînement militaire, de l’exploration pétrolière et gazière, et de la contamination environnementale. Une catastrophe pétrolière en 2010 a engendré une marée noire qui a pollué près de la moitié de l’habitat des baleines, tué environ 17 % de la population restante, rendu malade 18 % des survivantes, et provoqué des problèmes de reproduction chez près d’un quart des femelles.

L’horloge tourne. Les scientifiques travaillant avec la National Oceanographic and Atmospheric Administration (NOAA) des États-Unis ont donc lancé une série de projets de recherche pour étudier l’espèce de plus près.

Une étude récente, publiée en janvier, a par exemple utilisé les vocalisations distinctives de ces baleines rares pour suivre leurs déplacements. Elle a révélé que ces mammifères se déplaçaient en dehors de leur aire de répartition principale, en allant parfois aussi loin que la côte du Texas.

« Découvrir qu’elles sont encore présentes dans le nord-ouest du golfe du Mexique était une bonne nouvelle », affirme la responsable de l’étude, Melissa Soldevilla, biologiste spécialiste des pêches pour la NOAA. « Les données historiques suggèrent que leur répartition dans le golfe était autrefois plus étendue, mais aucune baleine n’avait été observée au-delà de l’habitat principal depuis les années 1990. »

Il est nécessaire de cartographier la répartition des baleines pour définir leur habitat critique en vertu du Endangered Species Act, une loi de protection des espèces en voie de disparition mise en place en 1973 aux États-Unis ; le processus est en cours, et permettrait d’établir les bases de la protection des baleines de Rice par la loi.

« Une fois que nous comprendrons où et quand les baleines sont présentes, nous pourrons déterminer dans quelles circonstances elles sont confrontées aux activités humaines qui peuvent les menacer », explique Soldevilla. « Cela nous aidera à identifier et à développer des actions de gestion et de conservation, et ainsi à réduire la menace et améliorer leurs chances de rétablissement. »

 

LA MENACE DE L’ACTIVITÉ HUMAINE

Les baleines de Rice intriguent depuis longtemps les scientifiques, qui ont commencé à étudier leur anatomie il y a près de vingt ans. Des preuves génétiques avaient déjà suggéré que ces baleines constituaient une espèce distincte, mais c’est en 2019, lorsqu’un crâne échoué a été découvert dans le parc national des Everglades en Floride, que l'espèce a été séparée du rorqual de Bryde.

« Avec ce spécimen, il était enfin possible de rassembler toutes les preuves et de rédiger l’article scientifique décrivant la nouvelle espèce », relate Patricia Rosel, une généticienne de recherche de la NOAA qui a dirigé l’étude identifiant les baleines de Rice, nommées ainsi en référence au biologiste marin Dale Rice, qui a été le premier à noter les caractéristiques particulières de ces baleines.

Peu après leur découverte, la NOAA a élaboré un programme de rétablissement de l’espèce, qui prévoit la réduction des collisions avec les navires ainsi que la protection de l’habitat des baleines contre les menaces associées au développement énergétique, telles que le bruit engendré par l’imagerie sismique, ou les marées noires.

L’utilisation de canons à air comprimé dans le cadre de la prospection de gisements lucratifs de pétrole et de gaz supposément enfouis dans le fond marin, qui a été autorisée par la loi américaine en 2018, constitue une nouvelle menace puisqu’elle risque d’interférer avec la communication, la navigation par sonar et l’alimentation des baleines.

« L’ouïe pour les baleines, c’est comme la vue pour nous : elles l’utilisent pour tout », explique Kaitlin Frasier, assistante de recherche marine à l’Institut océanographique Scripps qui étudie les baleines de Rice. « Le son se propage très bien sous l’eau, et ces animaux ont évolué pour en tirer parti. En injectant notre bruit dans leur milieu, nous rendons les actions qu’elles doivent réaliser pour survivre plus difficiles. »

Dans le cadre d’une étude coécrite par Frasier avec Soldevilla en 2022, des dispositifs ont été placés au fond de l’océan, et des balises acoustiques ont été fixées aux baleines de Rice, afin de démontrer que certains des cris uniques qu’elles émettaient pouvaient être interrompus par les bruits provoqués par l’activité humaine. Les recherches ont également révélé que les baleines de Rice dormaient en flottant près de la surface, ce qui les rend vulnérables aux collisions avec les navires (entre autres menaces).

« Le suivi acoustique est l’une des meilleures solutions que nous ayons trouvées pour déterminer où se trouvent les habitats importants, et ainsi faire de notre mieux pour rendre la vie moins stressante dans ces zones », affirme Frasier.

 

AVANT QU’IL NE SOIT TROP TARD

Certains scientifiques et défenseurs de l’environnement font pression pour que les gouvernements prennent des mesures… et sans tarder.

En octobre 2022, un groupe d’une centaine de scientifiques marins internationaux a publié une lettre ouverte demandant au gouvernement de Joe Biden de déployer davantage de moyens pour protéger les baleines de Rice. Plusieurs actions en justice sont également en cours, dont une déposée par le Natural Resources Defense Council, qui demande l’arrêt des tirs de canons à air comprimé.

« Nous voulons vraiment faire tout ce qui en notre pouvoir pour maintenir ces baleines en vie et faire remonter leur population », déclare Frasier. 

« Beaucoup de recherches doivent encore être réalisées, mais d’abord, il est essentiel d’attirer l’attention du public et de s’assurer qu’il réalise qu’il s’agit là d’un vrai problème. Et il faut le faire avant qu’il ne soit trop tard. »

Deux baleines en voie de disparition s'enlacent dans des images rares

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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