Ce poème a réconforté bien des propriétaires d'animaux endeuillés, mais qui en est l'auteur ?

En décrivant un au-delà dans lequel nous pouvons retrouver nos animaux de compagnie partis trop tôt, le poème "Rainbow Bridge" a aidé des millions de personnes à surmonter leur chagrin. L'identité de son autrice est cependant longtemps restée un mystère.

De Rachel Nuwer
Publication 23 févr. 2023, 14:07 CET
RainbowBridgeViolano

Cette peinture à l'huile, réalisée en 2009 par l'artiste Stella Violano, représente le Pont Arc-en-ciel. « Dans ma vision, le Pont Arc-en-ciel mène à un endroit vaste et magnifique, grand ouvert, où nous vivons tous ensemble et heureux pour toujours », explique Mme Violano. « Mme Clyne-Rekhy a créé un tel message d'espoir. »

Peinture de Stella Violano

Rainbow Bridge est un poème simple, mais poignant sur la vie après la mort de nos animaux de compagnie, et sur la promesse de nos retrouvailles dans l’au-delà. Depuis des décennies, il apporte un grand réconfort aux personnes, adultes comme enfants, qui ont dû dire au revoir à leurs amis à fourrure.

L’histoire de Rainbow Bridge, le Pont Arc-en-ciel, a touché des millions de personnes à travers le monde. Pourtant, l’identité de la personne qui a écrit ces mots est longtemps restée inconnue. Il s’agit d’Edna Clyne-Rekhy, une artiste écossaise de 82 ans, amoureuse des animaux. Jusqu’à récemment, elle ne savait pas que le poème qu’elle avait écrit il y a plus de soixante ans en hommage à son chien, Major, avait apporté du réconfort à tant d’autres personnes.

« Je suis absolument stupéfaite. Je suis encore en état de choc », confie-t-elle.

L’identité de l’autrice serait probablement restée secrète sans le travail acharné de Paul Koudounaris, historien de l’art, écrivain et propriétaire de chats à Tucson, en Arizona. Depuis une dizaine d’années, Koudounaris travaille à l’écriture d’un livre sur les cimetières pour animaux et, au fil de ses recherches, il a rencontré de nombreuses références au fameux poème.

Photographie d'Edna Clyne-Rekhy avec son premier chien, Major. C'est après le décès de Major en 1959 qu'elle a écrit « Rainbow Bridge ».

PHOTOGRAPHIE DE Edna Clyne-Rekhy

« Très tôt, j’ai commencé à me demander qui avait écrit ce poème », se souvient l’écrivain, qui n’appréciait pas qu’un « texte d’une importance aussi monumentale pour le parcours de deuil des animaux » ne soit pas crédité.

Il a découvert que la popularité de Rainbow Bridge avait commencé en février 1994, lorsqu’un lecteur originaire du Michigan a envoyé à une chronique intitulée Dear Abby un exemplaire du poème qu’il avait reçu de la part de l'organisation de protection des animaux de sa région. « Si vous imprimez ce poème, vous feriez mieux d’avertir vos lecteurs de sortir leurs mouchoirs », avait-il écrit.

Abby a imprimé le poème, mais a fait remarquer à ses 100 millions de lecteurs et lectrices que le nom de l’auteur était malheureusement inconnu. « Si l’un de mes lecteurs peut confirmer l'identité de la personne qui a écrit de poème, merci de me le faire savoir. »

Personne ne s’est manifesté, mais Rainbow Bridge n’a pas tardé à toucher de plus en plus de personnes. Selon Koudounaris, quinze demandes distinctes ont été déposées auprès du United States Copyright Office pour revendiquer les droits du poème. L’historien a dressé une liste d’environ vingt-cinq noms ayant un lien quelconque avec le poème et a fini par trouver, par élimination, l’identité de sa véritable autrice : Edna Clyne-Rekhy.

Koudounaris avait trouvé son nom dans un groupe de discussion en ligne, dans lequel quelqu’un faisait référence à une Edna « Clyde » d’Écosse, qui aurait écrit le poème à la mort du chien de son fils. Quelques recherches l’ont ensuite conduit à Mme Clyne-Rekhy, qui était également l’autrice d’un livre sur son défunt mari et leur chien. Elle est alors devenue la seule femme, et la seule personne non américaine, à rejoindre la liste des auteurs potentiels du poème.

« Celle qui, au départ, aurait semblé être la candidate la plus improbable, s’est finalement avérée être la candidate la plus intrigante et, bien sûr, la véritable autrice », soulève Koudounaris.

Lorsque l’historien est parvenu à contacter Mme Clyne-Rekhy en janvier, et lui a demandé si elle avait écrit Rainbow Bridge, sa première réponse a été « Comment diable m’avez-vous trouvée ? » se souvient-elle.

L’histoire de Mme Clyne-Rekhy, partagée ce mois-ci par celui qui est parvenu à la retrouver, commence en 1959. Elle avait 19 ans et pleurait la perte de Major, son labrador. « Il est mort dans mes bras », se rappelait-elle lors d’un appel avec la rédaction de National Geographic. « Je l’aimais tendrement. »

Le lendemain de la mort de Major, elle pleurait « encore et encore ». Pour faire face à cette peine, et sur les conseils de sa mère, la jeune femme a décidé d’écrire ce qu’elle ressentait.

Assise dans le salon familial, dans leur maison près d’Inverness, Edna a écrit une première ligne sur une feuille de papier blanc. À partir de là, le reste s’est écrit tout seul.

Le poème était le suivant :

Dans un petit coin du paradis, il y a un endroit que l’on appelle le Pont Arc-en-ciel. Lorsqu’un animal qui a été particulièrement proche de quelqu’un meurt, il rejoint le Pont Arc-en-ciel. C’est un pays de prairies et de collines dans lequel tous nos compagnons, si chers à nos cœurs, peuvent courir et jouer ensemble. Ils y trouvent beaucoup de nourriture, d’eau et de soleil. Nos amis sont au chaud, et ils se sentent bien. Tous les animaux qui ont connu la vieillesse et la maladie retrouvent leur santé et leur énergie, et ceux qui ont été blessés trouvent la guérison et la force. Ils redeviennent tels que nous nous souvenons d’eux avant leur départ au paradis. Ils sont heureux et satisfaits, mais quelque chose ne va pas : tous ont dû dire au revoir à quelqu’un de très spécial, quelqu’un qui leur manque. Nos amis courent et jouent tous ensemble, mais un jour, l’un d’eux s’arrête soudainement et regarde au loin. Ses grands yeux se mettent à briller, son corps frémit. À toute vitesse, il se met à courir et s’éloigne du groupe. Il se précipite sur l’herbe, ses pattes le portent de plus en plus vite. Et lorsque vous et votre grand ami vous retrouvez enfin, vous vous enlacez joyeusement. À présent, plus rien ne pourra vous séparer. Vous pleurez tous les deux. Vos mains caressent à nouveau la tête de votre cher compagnon, et vous plongez à nouveau votre regard dans ses yeux confiants, disparus depuis si longtemps de la vie, mais jamais disparus de votre cœur. Puis, ensemble, vous traversez le Pont Arc-en-ciel.

« C’est comme si je parlais à mon chien, je parlais à Major », confie-t-elle. « J’ai ressenti tout cela, et je devais l’écrire. »

Mme Clyne-Rekhy possède toujours le brouillon original du poème, écrit à la main. Lorsqu’elle l’a montré à Koudounaris, il a immédiatement su qu’il était vrai. « Le reste de son histoire me l’a confirmé plus tard, mais ces feuilles ont eu un pouvoir que je ne saurais expliquer. »

Bien qu’elle n’ait jamais publié le poème, Mme Clyne-Rekhy a fini par le montrer à quelques-uns de ses amis. « Ils se sont tous mis à pleurer », et lui ont demandé s’ils pouvaient en avoir une copie. Elle a ainsi rédigé des exemplaires à la main, sans jamais y inclure son nom.

Selon Koudounaris, il est probable que le texte ait été transmis de personne en personne jusqu’à perdre tout lien avec son autrice originale. Il a alors fini par avoir sa propre identité. Certaines incohérences sont également présentes dans la langue du poème, et ce sont elles qui ont amené l’historien à se demander s’il n’était pas plus ancien que ce que pensaient alors ses lecteurs.

Tandis que certaines versions parlaient d’animaux « mutilés devenus de nouveau entiers », d’autres mentionnaient des animaux qui « retrouvaient leur vigueur ». Ces petites différences « m’ont permis de comprendre quelque chose d’important : ce texte circulait depuis un certain temps », explique-t-il.

Après avoir passé des années en Inde, Mme Clyne-Rekhy s’est installée dans une ferme en Espagne, ce qui peut expliquer pourquoi elle n’avait jamais eu vent de la popularité croissante de son poème dans le monde, et notamment aux États-Unis et en Grande-Bretagne.

« Tous les vétérinaires de Grande-Bretagne en ont une copie, vous imaginez ? », s’émerveille-t-elle.

Koudounaris attribue la popularité durable et la puissance de Rainbow Bridge au besoin théologique qu’il permet de combler. Les personnes qui ont été élevées dans la foi chrétienne ont souvent entendu, aussi bien par leurs parents que par leurs prêtres, que les animaux n’avaient pas d’âme et ne pouvaient donc pas les rejoindre au paradis.

« L’histoire du Pont Arc-en-ciel permet d’offrir de l’espoir aux personnes qui ont dû vivre en ayant peur que leur animal ne soit pas assez bon pour mériter une vie après la mort », poursuit-il.

Kitty Block, directrice générale et présidente de la Humane Society, une organisation de protection des animaux, estime elle aussi que Rainbow Bridge a offert au monde « une vision qui a réconforté des millions de personnes endeuillées par la perte d’un animal de compagnie ».

« Sa popularité durable montre que, pour tant de personnes de tous horizons, les relations avec les animaux de compagnie ont une profonde importance. L’intimité des liens que nous entretenons avec eux peut nous aider à reconnaître un devoir fondamental, qui est celui de prendre soin des animaux. Ceux qui font partie de nos familles, mais aussi ceux du monde entier. »

De son côté, Mme Clyne-Rekhy confie qu’elle sait déjà qu’elle sera réunie avec Major et les animaux qu’elle a aimés par la suite. Le moment venu, ses cendres seront dispersées dans la mer du Nord avec celles de ses amis partis avant elle.

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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