Des satellites ont localisé une nouvelle colonie de manchots empereurs
Inaccessible à l'Homme, la colonie de manchots récemment découverte se situe au sud-ouest de l'Antarctique et n'est visible que depuis le ciel, grâce à des satellites utilisés par les scientifiques pour étudier le continent.
Deux petits manchots empereurs sur la banquise de l'Antarctique. Couvés pendant la nuit polaire par le manchot mâle, les petits n'ont que quelques mois pour apprendre à nager et à se nourrir après leur éclosion.
Selon Peter Fretwell, biologiste à la British Antarctic Survey et responsable de la découverte, il s’agit de la soixante-sixième colonie de manchots empereurs (Aptenodytes forsteri) retrouvée en Antarctique. Cette dernière n’a pu être mise au jour que grâce aux satellites utilisés par l’institut britannique pour surveiller l’évolution de la calotte glaciaire.
« C’est une sorte de sérendipité. Je regardais les changements que la glace avait connus cette année, lorsque j’ai vu une petite trace brune sur le sol », se souvient le biologiste. « Les colonies ne sont pas directement visibles par satellite. Ce que nous voyons, ce sont leurs traces. Ce sont les seuls organismes à vivre sur la mer gelée. »
L’observation a dans un premier temps été réalisée grâce au satellite de la mission scientifique Sentinel-2, puis a été précisée grâce au satellite MAXAR.
L’utilisation des observations spatiales a permis de nombreuses avancées dans l’étude et la surveillance des pôles ; une amélioration d’autant plus importante face au réchauffement climatique.
Un total de trente-trois colonies totalement inaccessibles à l’Homme ont ainsi pu être découvertes. Effectué depuis le ciel, leur suivi est plus régulier et moins dangereux pour les biologistes.
« Nous avons utilisé des images de très haute définition, dont chaque pixel correspond à un carré de 30 centimètres de côté. À ce niveau de précision, nous pouvons distinguer chaque manchot et donc les compter. »
Après avoir été détectée avec le satellite scientifique Sentinel-2, la nouvelle colonie de manchots a été photographiée avec le satellite à haute résolution MAXAR.
Localisation de la colonie de manchots du Verleger Point, sur le continent antarctique.
LES MANCHOTS INVISIBLES
« Il y a environ 400 manchots dans cette colonie, c’est un groupe relativement modeste », explique Fretwell. « On ne peut pas remonter plus de cinq ans en arrière dans les observations, en termes de définition, mais la colonie semble avoir été là au moins depuis tout ce temps. » La colonie a été découverte dans le sud-ouest du continent, dans une zone côtière connue sous le nom de Verleger Point.
Isolés sur la banquise du pôle Sud, les manchots se rassemblent chaque année dans les mêmes zones. Pendant la période hivernale, lorsque la nuit est continue pendant près de six mois, les manchots se reproduisent, pondent leurs œufs et élèvent leurs petits.
Ce continent particulièrement difficile à observer et à étudier est longtemps resté méconnu des chercheurs. En effet, malgré la présence de bases scientifiques, le climat très rude empêche l’organisation d’expéditions durant une grande partie de l’année.
« La découverte [des trente-trois autres] colonies remonte à l’Âge héroïque de l’exploration en Antarctique », relate le scientifique. « Elles ont été trouvées à l’époque où les explorations se faisaient en traineau à chiens, en traversant la banquise à pied ou encore en avion. » Cette période d’exploration s’est déroulée en pointillé, du milieu du 18e siècle jusqu’à la Première Guerre mondiale. Confrontées à des conditions climatiques extrêmes et à des températures pouvant descendre jusqu’à -60 °C, de nombreuses expéditions ont échoué.
Aujourd’hui, plusieurs équipes scientifiques se relaient dans des bases fixes afin d’étudier divers paramètres de l’environnement antarctique. Les recherches se déroulent toujours dans des conditions très difficiles. « Tout dépend d’où nous nous trouvons. Au niveau du cercle polaire antarctique, il n’y a qu’un jour de nuit polaire par an. Mais plus on se rapproche du pôle, plus la durée augmente, jusqu’à s’étirer sur six mois de nuit », ajoute Peter Fretwell. « Il n’y a pas vraiment de jour normal. Lors de l’équinoxe, le soleil fait le tour de l’horizon puis monte dans le ciel pendant six mois. L’équinoxe, c’est un long jour d’aube ou de crépuscule. »
Le cumul de toutes ces difficultés rend bien trop difficile l’étude des manchots empereurs dans leur milieu naturel, c’est pourquoi leur surveillance s’effectue par satellite, bien loin de leur royaume et sans la moindre intervention humaine.
« De nombreuses colonies se situent à des endroits totalement inaccessibles, particulièrement à cette période de l’année », ajoute le scientifique. « Le sol de la quasi-moitié des colonies découvertes n’a jamais été visité par des humains. »
Les glaces marines sont la zone de reproduction et de nidification des manchots empereurs. Malheureusement menacées par le réchauffement climatique, elles sont depuis cinq ans à leur niveau le plus bas de leur histoire.
LE PÔLE SUD VU DU CIEL
Les avancées des technologies d’imageries spatiales ont joué un rôle primordial dans l’étude et la surveillance du pôle Sud. Dans le cas de la nouvelle colonie de manchots, deux satellites ont été mis à contribution.
« Le satellite utilisé dans un premier temps est le Sentinel-2 de l’ESA, qui est un satellite libre d’accès avec une image à résolution moyenne. Chaque pixel au sol est un carré de 10 mètres de côté », décrit Fretwell. « Il capte la lumière sur neuf longueurs d’onde différentes, là où l’œil humain n’en capte que trois, à savoir le bleu, le vert et le rouge. »
Sentinel-2 est ainsi capable de capturer des images aussi bien dans le spectre du visible que dans l’infrarouge. La plus utilisée est celle des infrarouges proches, dont la longueur d’onde est située de 700 à 2 500 nanomètres et permet aux chercheurs de facilement vérifier la présence des colonies, mais également d’avoir accès chaque semaine à une cartographie complète de l’Antarctique.
Le second, MAXAR, est un satellite commercial américain à très haute résolution, qui n’observe que ponctuellement le pôle Sud. Une fois les coordonnées GPS envoyées, il est ensuite pointé sur une zone d’environ 25 kilomètres carrés.
« Il y a plusieurs années, nous avions beaucoup de difficultés à obtenir des informations de n’importe où dans le continent. Notre compréhension de la région était médiocre, parce que nous n’avions aucune donnée. Les images satellites ont réellement changé la donne. Nous pouvons aller partout à n’importe quel moment de l’année, tout en restant assis confortablement dans notre bureau. Désormais, le nouveau défi est d’analyser toutes ces données. »
De nouvelles technologies vont également venir s’ajouter à la panoplie des biologistes, telles que l’utilisation de drones à très grande autonomie.
« Les drones sont surtout utilisés en été, mais nous sommes en train d’investir dans des drones dotés de caméras thermiques qui seraient utilisés même en hiver, et qui seraient totalement automatisés. [...] Nous sommes en train de tester de grands drones avec une envergure de 3 mètres. […] Ils décolleraient des pistes de nos bases, voleraient pendant six à sept heures et reviendraient en complète autonomie. »
Selon les instruments équipés sur ces drones, les chercheurs pourraient alors étudier plusieurs paramètres concernant la présence et l’état des colonies de manchots, mais également de la calotte glaciaire. Cependant, la taille du continent empêche encore les scientifiques d’accéder à tout le territoire.
Ces progrès pourraient permettre aux scientifiques de surveiller plus efficacement la faune du continent, ainsi que les effets du réchauffement climatique dans cette région du monde. Selon Fretwell, la fonte des glaces est en effet la menace principale pesant sur les populations de manchots empereurs, tout particulièrement dans la zone dans laquelle la nouvelle colonie a été découverte.
« L’arrêt des émissions des gaz à effet de serre est une priorité absolue », conclut le biologiste.