Proctoporus titans, la nouvelle espèce de lézard découverte au Pérou
Une nouvelle espèce de lézard a été découverte par une équipe de chercheurs américains, au cœur d'une zone jusqu'ici inexplorée. L'étude s'est réalisée dans des conditions périlleuses, au milieu de la cordillère des Andes.
Photographie d'un Proctoporus titans adulte mâle. Les mâles se distinguent des femelles par la couleur de leur ventre : si les femelles présentent des écailles d'un gris clair sur leur ventre, celui des mâles est gris foncé. Ces lézards représentent également l'espèce la plus longue de leur genre.
À l’origine, l’expédition d’Edgar Lehr devait durer trois semaines. L’objectif était d’étudier une région du parc naturel d’Otishi encore inexplorée par les biologistes. La zone, située au-dessus d’une forêt très dense et sur un relief particulièrement escarpé, n’est en effet accessible que par hélicoptère.
Cette décision n’a pas tardé à porter ses fruits, le lézard Proctoporus titans ayant été découvert deux jours seulement après l’arrivée des chercheurs.
« Nous avons sélectionné une région dans laquelle personne n’avait jamais mis les pieds », explique Lehr, professeur de biologie à l’Université de Wesleyan, dans l’Illinois. « Nous nous attendions à découvrir de nouvelles espèces de reptiles et d’amphibiens. »
La région n’ayant jamais été explorée par le passé, elle présente en effet un potentiel exceptionnel pour les biologistes, qui ont ainsi pu étudier des écosystèmes allant des marais à de véritables forêts primaires.
Pourtant, au bout de dix jours de travail riches en découvertes, les chercheurs ont dû se rendre à l’évidence : rester plus longtemps risquait d’être trop dangereux.
Malgré son statut de parc national, la réserve d’Otishi est en effet une zone d’activité des cartels de drogue péruviens : un malencontreux point commun avec les biologistes de terrain. Leur présence est particulièrement problématique à la fois pour la sécurité des chercheurs, mais aussi pour celle de la biodiversité sur place.
Située à plus de 3 000 mètres d'altitude, la Puna est une zone montagneuse froide et accessible uniquement en hélicoptère.
Photographie de l'équipe de recherche, devant l'une des rivières proches du camp. De gauche à droite : Ricardo Vera, Maura Fernandez, Edgar Lehr et Juan Carlos Cusi.
LE PLUS GRAND DES PETITS LÉZARDS
Malgré son nom, Proctoporus titans n’est pas bien grand. Long d’une dizaine de centimètres, les yeux oranges et les écailles brunes, il passerait presque inaperçu aux yeux d’un profane de l’étude des reptiles.
Selon l’étude, il est pourtant le plus grand représentant de son genre, dont les autres espèces vont de trois à huit centimètres de long. En comparaison à ses tout petits cousins, Proctoporus titans est donc bien un géant.
« C’est la première espèce que nous avons découverte, le deuxième jour de l’expédition », se rappelle Edgar Lehr avec enthousiasme. « D’abord, nous avons trouvé des œufs, puis plus loin, nous avons trouvé des adultes. »
Si l’espèce en elle-même est inédite pour les chercheurs, le genre Proctoporus est quant à lui bien connu, avec vingt espèces documentées en Amérique du Nord et du Sud, dont dix-huit présentes au Pérou.
Forts de leurs connaissances, les membres de l’équipe ont choisi le parc de Otishi spécifiquement pour retrouver ces reptiles, ainsi que plusieurs autres espèces présentes en zone humide, telles que les amphibiens ou les serpents.
L’expédition s’est centrée sur un type particulier d’écosystème encore inexploré, situé au sud du parc : la Puna. Cette zone, située à 3 241 mètres d’altitude, est caractérisée par une végétation éparse et un climat froid, surplombant une forêt de nuages particulièrement dense.
En plus de Proctoporus titans, dix-sept autres espèces du même genre ont également été observées dans la Puna. Afin de vérifier que Proctoporus titans était bien une nouvelle espèce les chercheurs ont pu s'appuyer sur une comparaison avec des specimens de ces dernières, déjà collectés par le muséum d'histoire naturelle, aussi bien sur le plan morphologique que génétique.
Bien que sa coloration soit bien moins vive que d’autres lézards tropicaux, Proctoporus titans présente également une grande variation de couleurs en fonction de l’âge et du sexe des individus.
Les mâles possèdent un ventre gris sombre à noir, tandis que les femelles ont le ventre gris clair et un dos brun rouge à olive avec de petits motifs appelés des ocelles. Les juvéniles, quant à eux, possèdent un ventre de couleur vive, qui peut varier du jaune à l’orange.
Cette coloration modeste peut s’expliquer par leur écosystème aride et par la présence de prédateurs. En effet, toujours selon l’étude, Proctoporus titans est dépourvu de venin et pourrait être au menu d’une espèce locale de serpents.
Autre site naturel nommé par l'équipe, le sommet de Shirampari matsiri, ou « l'homme endormi ».
Au cours de leur expédition, l'équipe de chercheurs a également eu la chance d'explorer une zone encore inconnue et a pu nommer plusieurs sites naturels inédits. Ici, la cascade de Kitamarao, ou « la main blanche » en indien Ashaninka.
JUSQU’AU BOUT DU MONDE
La seule recherche comparable à celle de l’équipe d’Edgar Lehr a été réalisée à plusieurs kilomètres de là, en 1964. À l’époque, les chercheurs avaient dû être parachutés avec leur matériel dans la jungle, comme le relatait l’article du magazine National Geographic de l’époque.
« Bien sûr, j’ai lu cet article avant de partir. Ils étaient proches de là où nous étions, mais en dehors de notre zone », présente le chef de l’expédition. « Ils ont marché pendant trois mois dans les basses plaines et ont eu beaucoup de mal à progresser parce que c’était un marécage. »
L’équipe américaine a également rencontré ce problème. Dès leur atterrissage, matériel et chercheurs ont commencé à s’enfoncer de plusieurs centimètres dans le sol. Après avoir exploré les alentours, le groupe est parvenu à trouver une zone un peu plus ferme pour établir son camp sans risque de perdre le matériel.
« Contrairement à d’autres zones dans lesquelles le sol est rocheux avec de l’herbe, ici, c’est un marais. Il n’y a quasiment aucune roche. C’est comme un évier dans lequel l’eau s’accumule », illustre Edgar Lehr. « Il était très difficile de progresser, il fallait faire attention à ne pas s’enfoncer ou tomber dans un trou […], mais la nature primaire est d’une beauté incomparable ! »
Tout comme le marais, les forêts alentour étaient encore inexplorées et vierges de toute influence humaine. Malheureusement, à cause des activités des narcotrafiquants, aucune autre étude ne pourra être menée dans la zone, et ce pendant plusieurs années.
Malgré leur départ précipité de la zone, une semaine avant la date prévue, les chercheurs ont eu l’occasion d’explorer le lieu en plus de découvrir de nouvelles espèces. L’expédition, planifiée depuis des années, a donc permis de cartographier avec précision plusieurs sites naturels jusque là inaccessibles.
« Nous avons sélectionné la zone par satellite pour trouver une zone d’atterrissage viable, et c’est comme ça que nous avons découvert une chute d’eau. Elle s’appelle maintenant Kitamarapó, ce qui signifie "la main blanche" en langue ashaninka », explique le biologiste. « Nous avons aussi nommé un sommet montagneux visible de notre camp. À force de le regarder, nous avons trouvé qu’il ressemblait à un homme endormi, donc nous l’avons nommé Shirampari Matsiri. Le marais où nous campions s’appelle désormais Pantano La Esperanza, "le marais de l’espoir". »
C’est également au cours de ces recherches que l’équipe du chercheur a découvert le camp abandonné de transporteurs de drogue. La région est proche de ce que les Péruviens appellent « La Vallée de la drogue », où opère la majorité des cartels. D’autres signes de leur présence proche ont ensuite poussé les chercheurs à partir plus tôt que prévu, afin d’éviter tout problème.
« Nous nous rendons dans des endroits inaccessibles pour explorer une nature magnifique et encore intacte, et eux y vont pour être tranquilles », conclut Edgar Lehr, qui décrit l’expérience comme l’une des plus terrifiantes de sa vie. « Ils rasent et polluent des zones entières sans se soucier de l’impact sur la faune, la flore et les populations locales. À cause d’eux, cette zone ne pourra sûrement plus être explorée pendant plusieurs années. »