Ce ver plat qui envahit nos jardins représente-t-il une menace pour nos écosystèmes ?

Les vers plats à tête de marteau peuvent dépasser les 30 centimètres de long et sécrètent une toxine qui leur permet de paralyser et de "digérer" leurs proies en dehors de leur corps.

De Terry Ward
Publication 8 août 2023, 16:49 CEST
Bertone_Bipalium_kewense2.

Le ver plat à tête de marteau est une espèce envahissante originaire d'Asie qui se propage aux États-Unis et en Europe, en se cachant probablement dans la terre humide des plantes en pot expédiées à l'international.

PHOTOGRAPHIE DE Matt Bertone

Un ver à l’allure étrange envahit de nombreux jardins à travers l’Europe et les États-Unis. Cette créature est capable de se reproduire en se divisant en deux et de sécréter la même toxine que celle qu’utilisent les poissons-globes pour se défendre.

« Les vers plats à tête de marteau sont particulièrement abondants et répandus aux États-Unis, mais leur apparence paraît si étrangère que les personnes qui les trouvent ont de fortes réactions », explique l’entomologiste Matt Bertone, directeur de la Clinique des maladies des insectes et des plantes à l’Université d’État de Caroline du Nord.

Les vers plats à tête de marteau se sont propagés dans une trentaine d’États américains, principalement à l’est du fleuve Mississippi, mais aussi sur la côte ouest, de la Californie au nord-ouest du Pacifique, et même jusqu’à Hawaï, ajoute Michael Raupp, professeur émérite d’entomologie à l’Université du Maryland. Plusieurs espèces ont également été observées dans les jardins de plusieurs régions françaises.

Ces vers plats, qui peuvent dépasser les 30 centimètres de long, capturent et se nourrissent d’autres animaux au sol tels que des vers ronds, en excrétant une toxine paralysante.

« Leur digestion se fait à l’extérieur de leur corps », révèle Raupp. « Ils aspirent ensuite les tissus et les ramènent dans leur tube digestif. »

Cette toxine n’est normalement pas dangereuse pour les humains. « La toxine elle-même ne traverse pas la peau, mais elle peut être nocive si elle est ingérée ou si elle pénètre d’une manière ou d’une autre dans la circulation sanguine », reprend Bertone. « D’après mes calculs, il faudrait manger plusieurs vers pour être empoisonné. »

Bertone considère que « la peur des vers plats à tête de marteau est disproportionnée par rapport au faible danger qu'ils représentent ».

 

UNE ESPÈCE ÉTRANGE

Blake Saengerhausen a l’habitude de rencontrer des insectes rampants tels que des scorpions, des tarentules et des mille-pattes. Toutefois, lors d'une visite de routine en juin, l’homme, qui est le copropriétaire de l’entreprise d’extermination des nuisibles Deep Six Pest Control à Seguin, au Texas, a rencontré des créatures qu’il n’avait jamais vues au cours de ses treize années d’activité.

Il a trouvé des vers marteaux du genre Bipalium, et en bon nombre. Ces derniers sont reconnaissables grâce à leur tête en forme de pelle et leur corps rayé d’un brun jaunâtre.

« Nous avons commencé à sortir tout ce qui se trouvait dans la serre, et il y en avait partout. Nous les avons aspergés de sel et ramassés à la cuillère, mais je suis presque sûr que nous ne les avons pas tous trouvés. »

Bien que ces vers soient relativement nouveaux sur le sol américain, ils sont tout de même présents depuis le début du 20e siècle et ne constituent qu’un groupe parmi les nombreux vers plats qui vivent dans les jardins du pays.

« Les vers plats à tête de marteau sont originaires des tropiques de l’Ancien Monde, notamment de l’Afrique et de l’Asie », explique Bertone. « Ils ont besoin d’humidité pour survivre… On les trouve souvent sous les rochers et les troncs d’arbre, où l’humidité est relativement élevée. Si l’habitat est trop sec, ils meurent. »

Les vers plats à tête de marteau peuvent pondre des œufs, mais ont aussi la capacité de se reproduire grâce à un processus connu sous le nom de scissiparité, décrit Raupp. « Ils peuvent se séparer en deux. Les deux parties se régénèrent alors pour créer de nouveaux corps complets » : les couper en deux n’aurait donc pour résultat que de les multiplier.

En outre, la méthode utilisée pour attaquer leurs proies (généralement des vers de terre, des escargots et des limaces) est assez effroyable. « Une fois qu’ils ont capturé leur proie, ils l’immobilisent à l’aide d’un mucus ou d’une bave très collante. » Ils utilisent de la tétrodotoxine, une puissante neurotoxine, qui a pour but de paralyser leurs proies.

Selon le professeur émérite, c’est la première fois que l’on observe des invertébrés terrestres produire et sécréter cette neurotoxine.

Ce long ver plat (Bipalium kewense) a été découvert à Raleigh, en Caroline du Nord, en ...

Ce long ver plat (Bipalium kewense) a été découvert à Raleigh, en Caroline du Nord, en 2013. Cette espèce est présente dans l'État depuis au moins 1951.

PHOTOGRAPHIE DE Matt Bertone

 

CAUSES ET CONSÉQUENCES

Bien que les spécialistes ne sachent pas avec certitude comment ces vers parviennent à se déplacer vers de nouveaux territoires, Bertone révèle que ces petits animaux sont régulièrement découverts cachés dans le terreau humide des plantes en pot expédiées à travers le monde.

« Lorsque nous transportons des produits dans le monde entier, nous déplaçons également des créatures, des plantes, des animaux et des microbes [qui s’y cachent] vers de nouvelles régions », explique Raupp. « Cette vérité est indéniable et malheureuse […]. Ce type de déplacement d’espèces non natives vers de nouveaux endroits fait de gros dégâts dans les écosystèmes de notre planète. »

Il y a également une forme « d’échange biologique », ajoute le chercheur. Les espèces invasives trouvées aux États-Unis, telles que le ver plat à tête de marteau, le fulgore tacheté, le frelon géant et la punaise diabolique, sont toutes originaires d’Asie. De la même façon, des espèces américaines font des ravages à l’étranger, comme l’écaille fileuse, qui dévaste chaque année des milliers d’hectares de forêt en Chine, ou le tigre du platane en Europe, soupçonné de se nourrir des élégants platanes qui bordent les Champs-Élysées, à Paris.

Les conséquences de la présence du ver plat à tête de marteau sur nos écosystèmes, quant à elles, demeurent un mystère pour les scientifiques.

 « À chaque fois que l’on perturbe l’équilibre naturel des écosystèmes – comme lorsque des créatures [viennent manger] des vers de terre, dont le rôle est d’aérer le sol et d’y ajouter des nutriments, mais aussi des limaces et des escargots, qui retournent la végétation – nous ne savons pas quel impact cela aura sur les populations qui vivent dans le sol », admet Raupp.

De son côté, Bertone est moins inquiet quant à l’impact à long terme de la présence de ces vers plats géants.

« Ils ne ravagent pas les plantes, et ils ne représentent pas une menace pour les humains », affirme-t-il. « Ils ne sont devenus célèbres que parce que leur apparence peut faire peur. Ils sont là depuis très longtemps, ils ont donc probablement déjà causé tous les dégâts qu’ils pouvaient causer. »

Alors que le gouvernement américain alloue volontiers des ressources pour lutter contre les nuisibles qui s’attaquent à ses cultures et forêts (dont le fulgore tacheté, l’agrile du frêne et le longicorne asiatique), selon Bertone, il ne prête pas la même attention aux vers plats invasifs.

D’après un porte-parole du département américain de l’Agriculture (USDA), « les vers plats à tête de marteau ne se nourrissent pas de plantes et ne sont donc pas considérés comme "nuisibles aux plantes". Par conséquent, l’USDA ne cherche pas à les réguler. »

« Les vers plats ne représentent pas une menace directe pour les humains », rappelle Bertone. Cela dit, le spécialiste ajoute que leurs populations devraient tout de même être surveillées afin de s’assurer qu’elles ne deviennent pas incontrôlables dans certaines régions où la faune locale est particulièrement vulnérable, comme les îles.

 

DEVONS-NOUS LUTTER CONTRE CES VERS ?

Il va sans dire que ces vers ne doivent en aucun cas être mangés, ni par vous, ni par vos animaux domestiques. Les effets secondaires peuvent notamment prendre la forme de nausées, précise Raupp.

Ne ramassez pas un ver marteau à mains nues. Leur bave peut se coller à vous et les rendre difficiles à ramasser, et ils peuvent s'éloigner et se diviser pour se reproduire, ajoute-t-il.

Vous pouvez verser du sel de table sur les vers, et vous en débarrasser en les ramassant à l’aide de gants ou d’une pelle. Vous pouvez également les laisser tremper dans un récipient contenant un mélange d’eau et d’eau de Javel en quantités équivalentes. Ensuite, jetez-les avec les ordures ménagères ; ne les mettez pas dans votre compost, où leurs œufs pourraient survivre.

Pour éviter d’introduire des vers plats à tête de marteau et d’autres espèces invasives dans de nouvelles régions, l’USDA recommande de nettoyer vos affaires d’extérieur, comme vos chaussures et vos pneus, avant de partir en voyage. Évitez également de déplacer vos plantes en pot ainsi que le terreau de votre jardin vers d’autres régions.

Bertone propose de son côté une approche plus clémente. « Souvent, notre première réaction, c’est de vouloir les tuer. Personnellement, je préfère les laisser tranquilles… Ce sont des créatures intéressantes qui ne constituent pas une menace imminente. »

les plus populaires

    voir plus

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

    les plus populaires

      voir plus
      loading

      Découvrez National Geographic

      • Animaux
      • Environnement
      • Histoire
      • Sciences
      • Voyage® & Adventure
      • Photographie
      • Espace

      À propos de National Geographic

      S'Abonner

      • Magazines
      • Livres
      • Disney+

      Nous suivre

      Copyright © 1996-2015 National Geographic Society. Copyright © 2015-2024 National Geographic Partners, LLC. Tous droits réservés.