8 espèces du Grand Nord menacées par le changement climatique
En matière de réchauffement climatique en Arctique, c’est souvent le sort de l'ours blanc qui retient l'attention du grand public. Mais, derrière cet emblème, c’est tout l’écosystème qui est menacé. Découvrez huit espèces du Grand Nord à protéger.
L’augmentation des températures est deux fois plus intense dans les régions arctiques que sur le reste du globe. Adaptées aux climats froids, la faune et la flore du pôle Nord sont donc les premières concernées par la modification soudaine de leur habitat.
En premier lieu, la fonte de la banquise, dont la superficie pourrait atteindre moins de 520 000 km2 d’ici à 2050, contre 7,5 millions de kilomètres carrés dans les années 1980 (lire notre article). Ensuite, le verdissement de l’Arctique. Arbres et buissons sont en train de coloniser la toundra, cette étendue de végétation rase où vivent les rennes et un petit rongeur dont se nourrissent beaucoup d'espèces, le lemming. De plus, les animaux du sud se déplacent vers le nord, entrant en concurrence avec les espèces endémiques déjà fragilisées par les pollutions plastiques, les métaux lourds et les perturbateurs endocriniens.
David Grémillet est le représentant français du groupe CAFF (« Conservation of Arctic Flora and Fauna »), un organisme chargé de la conservation des espèces par le conseil de l’Arctique (un forum intergouvernemental en charge de ce territoire). Sur sa liste rouge, il y a bien sûr l’emblématique ours blanc (classé « vulnérable » par l'UICN), mais aussi des animaux plus discrets (parfois non classés comme menacés), comme les morues arctiques ou les petites créatures qui constituent le zooplancton, dont la disparition bouleverserait l’équilibre alimentaire des baleines, des phoques, des oiseaux marins.
L’écologue présente à National Geographic huit espèces de l’Arctique à surveiller dans les années à venir :
LA MOUETTE IVOIRE
David Grémillet : « Elle a connu un déclin de 80 % au Canada. C’est peut-être la première espèce qui disparaîtra en Arctique. Il reste aujourd’hui entre 58 000 et 78 000 individus sur l’ensemble du bassin polaire. Ce bel oiseau blanc est fortement affecté par les niveaux de polluants et par les destructions, liées aux activités minières, de ses zones de nidification. Son destin est intimement lié à celui de l’ours blanc puisque l’animal se nourrit souvent des restes de repas du mammifère carnivore. Ils figurent d’ailleurs tous les deux sur la liste des espèces « vulnérables » de l’UICN.
LE NARVAL
David Grémillet : Avec le béluga, ce mammifère marin est emblématique de l’océan Arctique. Il vit à proximité de la banquise au Canada, au Groenland et en Russie. Il ne figure pas dans le classement UICN des espèces menacées, mais les scientifiques peinent à en dénombrer la population. Narval et béluga sont affectés par des conditions d’englacement des mers arctiques devenues très imprévisibles, qui bouleversent leurs voies migratoires et l’accès à leurs zones d’alimentation ancestrales. Ils sont également sensibles à l’augmentation des taux de polluants dans l’océan, au trafic maritime, aux activités de prospection pétrolière et à la pression exercée par les chasseurs autochtones du Canada et du Groenland.
LES COPÉPODES
David Grémillet : Ils ne sont pas menacés. Au contraire, les copépodes sont probablement les organismes les plus abondants de la planète ! Ces crevettes de quelques millimètres, qui forment la majeure partie du zooplancton, sont néanmoins fortement affectées par le changement climatique. En Arctique, les copépodes vivent normalement dans des eaux très froides, proches de la banquise. Résultat de cet environnement particulier : ils sont de très grande taille et très gras, constituant un aliment riche pour les baleines, poissons et oiseaux marins. Mais avec le réchauffement des eaux de surface, ces espèces sont d’ores et déjà remplacées par des copépodes plus petits et moins gras. Ainsi, leurs prédateurs devront en chasser davantage pour obtenir un apport nutritionnel équivalent : c’est toute la chaîne alimentaire qui s’en verra transformée.
LA MORUE POLAIRE
David Grémillet : C’est le plus arctique de tous les poissons ! Il vit à très haute latitude et a une forte tolérance aux eaux glacées, grâce à ses protéines antigel. Les juvéniles vivent sous la banquise, où ils mangent des petits crustacés qui se nourrissent d’algues des glaces. La morue polaire, comme d’autres poissons, le flétan notamment, voit son aire de répartition reculer vers le nord, au rythme de plusieurs dizaines de kilomètres par décennie. Cette « boréalisation » de l’Arctique est accompagnée par l’arrivée d’espèces venues de latitudes plus basses, comme la morue de l’Atlantique et l’aiglefin. Une bonne nouvelle pour les pêcheurs du Grand Nord !Par ailleurs, dans le bassin de l’Arctique, une zone de la taille de la Méditerranée est en train de se libérer de ses glaces, ménageant un nouvel espace de pêche. Il paraît donc urgent de mieux réglementer la pêcherie, notamment dans les eaux internationales.
L'HARFANG DES NEIGES
David Grémillet : C'est une espèce emblématique du Grand Nord, qui figure dans de nombreux mythes, légendes et représentations des peuples de l'Arctique. Sa population décline en Amérique du Nord et probablement aussi en Scandinavie et en Russie sans qu’on puisse la chiffrer. L’UICN la classe en conséquence comme « vulnérable ». Sa survie dépend aujourd'hui des ressources en lemmings, qui vivent dans la toundra. Problème : cette végétation est perturbée par le phénomène de verdissement de l'Arctique, se transformant en taïga (forêt du Nord). Les connaissances sur cette chouette populaire sont encore lacunaires, preuve que l’exploration scientifique de l’Arctique est loin d’être achevée.
LE BŒUF MUSQUÉ
David Grémillet : Ce bœuf sauvage, un peu plus grand qu’un mouton, était historiquement présent du Groenland jusqu’aux Territoires du Nord-Ouest canadien. Il a été réintroduit dans de nombreuses zones suite à une chasse abusive. Résultat : les troupeaux sont aujourd’hui fractionnés et éparpillés autour de l’Arctique. Les bœufs musqués, à l’instar des rennes, sont sensibles aux évènements climatiques extrêmes. En effet, durant l'hiver, ils doivent gratter la couverture neigeuse pour brouter la végétation. Mais, actuellement, les périodes de redoux sont plus fréquentes durant la saison froide, ce qui augmente les précipitations. Lors des périodes de regel, l'eau accumulée créé une couche dure comme du béton. Ce phénomène, d'ores et déjà problématique, augmentera dans les années à venir. S'ajoute à cela que la fonte du pergélisol libére des agents pathogènes, néfastes aux herbivores de l’Arctique, qui peuvent affecter les troupeaux de rennes.
LE MERGULE NAIN
David Grémillet : L’oiseau figure sur la liste des espèces sensibles au réchauffement climatique. Les mergules ne pèsent que 150 g, mais sont les oiseaux marins les plus abondants de l’Arctique. Il occupe une place centrale au sein des écosystèmes marins côtiers. Les mergules nains nichent dans des pierriers le long des côtes mais s'alimentent au large, près de la banquise, en plongeant à 50 m de fond pour attraper du zooplancton. Problème : les copépodes qu'ils consomment sont aujourd’hui plus petits et plus maigres. Ainsi, le mergule devra en manger plus, nager plus longtemps, sur de plus longues distances et donc dépenser plus d'énergie pour survivre. Ces oiseaux sont également très exposés aux particules de plastique qu'ils confondent avec leur nourriture.
LE RENARD D'ARCTIQUE
David Grémillet : C'est une espèce endémique de l'Arctique. Ce renard est magnifiquement adapté à la vie dans les hautes latitudes : trapu, oreilles courtes, petit museau, coussinets recouverts de poils et pelage très dense. Sa couleur varie en fonction des saisons, devenant blanc l'hiver pour ne pas être trop visible sur la couverture neigeuse. Sa population est encore importante aujourd'hui, mais pourrait décliner dans les années à venir. En cause : l'arrivée du renard roux, plus corpulent, qui a le même régime alimentaire que le renard arctique (rongeurs, oiseaux, poissons, baies, restes de poubelles, etc.) et risque de lui transmettre des agents pathogènes.