La saisie de 25 singes braconnés met en lumière le trafic d'espèces sauvages africain
Les autorités du Zimbabwe ont intercepté 25 primates vivants capturés en République démocratique du Congo et faisant route vers l'Afrique du Sud pour répondre à la forte demande du marché des zoos, des animaux domestiques et de la viande de brousse.
Douze mangabeys à ventre doré et 13 autres singes ont été saisis par les autorités de protection de la faune du Zimbabwe en septembre. Ils attendent à présent leur transfert vers un sanctuaire de leur pays d'origine, la République démocratique du Congo, et pourraient être remis en liberté.
Début septembre, lors d'un contrôle de routine aux frontières, les autorités du Zimbabwe ont saisi vingt-cinq singes juvéniles découverts dans des cages à l'arrière d'un camion en transit pour rejoindre l'Afrique du Sud depuis la Zambie.
Il n'a pas fallu longtemps aux agents du Chirundu Anti-Poaching Project, une initiative née de la collaboration entre l'Autorité de gestion de la faune et des parcs du Zimbabwe (ZimParks) et la Hemmersbach Rhino Force, pour s'apercevoir qu'il y avait anguille sous roche, car les animaux n'étaient pas natifs du pays. Ils ont immédiatement procédé à l'arrestation des quatre hommes présents dans le camion.
« Ils tentaient de passer les singes en contrebande, » déclare le porte-parole de ZimParks, Tinashe Farawo. « Ils ont même essayé de soudoyer les agents du poste-frontière. »
À ce jour, cette opération est l'une des plus grandes saisies de primates victimes du trafic en Afrique, d'après l'Alliance panafricaine des sanctuaires de primates (PASA), une organisation basée aux États-Unis qui rassemble vingt-trois refuges fauniques et sanctuaires à travers le continent. L'affaire met en lumière un itinéraire bien connu du trafic routier de primates vivants qui démarre en République démocratique du Congo, traverse la Zambie et le Zimbabwe pour se terminer en Afrique du Sud, explique Jean Fleming, responsable de la communication de PASA.
Il est fort probable que plusieurs milliers d'animaux, dont des centaines de primates, soient transportés illégalement chaque année le long de cet itinéraire, indique Adams Cassinga, explorateur émergent National Geographic et fondateur de Conserv Congo, une organisation dédiée à la lutte contre la criminalité liée aux espèces sauvages. Il décrit la RDC comme étant le point zéro du trafic d'espèces sauvages avec une vulnérabilité accrue des primates en raison de la forte demande du marché des zoos, des animaux domestiques et de la viande de brousse visant à la fois les grands singes et les espèces plus petites.
Les singes saisis sont tous natifs de la République démocratique du Congo : douze mangabeys à ventre doré, deux cercopithèques de l'Hœst, deux lesulas, deux mangabeys à joues blanches, cinq cercopithèques hocheurs et deux cercopithèques de Allen. La plupart de ces animaux sont classés parmi les espèces vulnérables ou en danger par l'Union internationale pour la conservation de la nature, l'autorité mondiale en matière de statut de conservation de la faune et de la flore.
Les hommes, des citoyens de la RDC, de la Zambie et du Malawi, ont été condamnés pour trafic d'espèces sauvages et purgent actuellement une peine de six mois d'emprisonnement au pénitencier de Karoi, dans le nord du Zimbabwe. Les trafiquants ont révélé aux agents de ZimParks qu'ils transportaient les animaux en Afrique du Sud. En attendant leur transfert dans un sanctuaire, les singes sont entre les bonnes mains du Chirundu Anti-Poaching Project dans un lieu tenu secret à la frontière entre le Zimbabwe et la Zambie.
Les 25 singes saisis (dont le mangabey à ventre doré ci-dessus) ont été placés temporairement dans des enclos à Chirundu, non loin de la frontière entre le Zimbabwe et la Zambie.
Les vingt-cinq singes étaient probablement destinés à alimenter le marché des zoos chinois, indique Greg Tully, directeur de la PASA. Le développement de la classe moyenne chinoise a donné lieu à une augmentation du nombre de zoos privés à travers le pays, dont la clientèle raffole de primates africains.
Près d'une centaine de zoos auraient ouvert au cours des cinq dernières années d'après les estimations communiquées par Dave Neale, directeur du bien-être animal pour Animals Asia, un organisme de protection des animaux basé à Hong Kong.
Le ministère chinois du Logement et du Développement urbain et rural impose un code de bien-être aux zoos du pays, mais de nombreux établissements « opèrent en contravention avec ces exigences nationales, » selon un rapport publié en 2018 par le groupe Ape Alliance qui lutte contre le trafic de grands singes.
Le ministère chinois du Logement et du Développement urbain et rural n'a pas donné suite à nos demandes de commentaires.
UN « TOURNANT DÉCISIF »
« Vingt-cinq animaux, c'est beaucoup, ce n'est pas un coup d'essai, » déclare Fleming. « Il faut une certaine organisation pour faire passer les frontières à un camion avec autant d'animaux. » Avec les quatre condamnations, ajoute-t-elle, cette affaire est un « tournant décisif ».
En plus d'être un point de départ pour le trafic d'espèces sauvages, Cassinga indique que la RDC est également une zone de transit majeure pour les animaux africains ciblés par ce trafic. Sur les neuf frontières que partage le pays, la plupart sont poreuses et dépourvues de surveillance.
« Nous avons de très longues frontières et l'une des agences de sécurité les plus faibles au monde, » déclare Cassinga. Si une personne essaie d'échapper aux forces de l'ordre en RDC, « elle peut facilement disparaître. »
Le groupe de primates saisis par les autorités au mois de septembre alors qu'il faisait route vers l'Afrique du Sud depuis la République démocratique du Congo comptait plusieurs mangabeys à joues blanches, comme celui-ci photographié en pleine nature au Rwanda.
Des cercopithèques de l'Hœst, comme ce jeune singe en captivité aux Pays-Bas, faisaient également partie du groupe. Le cercopithèque de l'Hœst et le mangabey à joues blanches sont deux espèces classées vulnérables par l'UICN.
Après les pangolins et les éléphants, les grands singes seraient les animaux les plus prisés par les braconniers d'après Cassinga. La RDC en abrite trois espèces parmi les plus précieuses : les chimpanzés, les gorilles et les bonobos. Selon un rapport de l'Organisation des Nations unies, plus de 3 000 grands singes ont disparu en moyenne chaque année des forêts de l'Afrique et de l'Asie entre 2005 et 2011. Les primates plus petits, comme la majorité des singes saisis au Zimbabwe, font également l'objet d'une très forte demande ; la taille de ces animaux facilite leur dissimulation et leur transport, explique Cassinga.
La RDC a tellement « d'animaux incroyables, d'espèces endémiques, introuvables ailleurs dans le monde, » déclare Franck Chantereau, président et fondateur du JACK Chimpanzee Sanctuary, un refuge à Lubumbashi pour les chimpanzés et les galagos que le trafic a rendus orphelins. « Le pays perd ses animaux à un rythme alarmant, » ajoute-t-il. Le sanctuaire, membre de la PASA, a accepté d'accueillir les singes saisis qui devraient arriver d'un jour à l'autre.
Compte tenu du jeune âge des vingt-cinq primates, Chantereau suppose qu'ils sont les dommages collatéraux d'un trafic de viande de brousse, tout comme les nombreux chimpanzés orphelins hébergés par son sanctuaire. Les braconniers sont payés pour tuer des animaux adultes afin de revendre leur viande, mais les plus jeunes qui n'offrent pas plus d'un kilo de viande sont capturés pour alimenter le marché des zoos et des animaux domestiques.
Les représentants de l'Institut congolais pour la conservation de la nature, l'organisme responsable de la gestion des parcs et de la protection des espèces protégées, n'ont pas donné suite à nos demandes de commentaires au sujet du trafic de primates en République démocratique du Congo.
UNE PLAQUE TOURNANTE
Bien que les quatre hommes arrêtés en septembre aient indiqué à ZimParks qu'ils se rendaient en Afrique du Sud, le destinataire du convoi reste encore inconnu, observe Smaragda Louw, directrice de Ban Animal Trading (BAT), une organisation sud-africaine de défense des droits des animaux. Louw a également coécrit un rapport paru en 2020 avec l'EMS Foundation, un autre groupe de conversation installé en Afrique du Sud, à propos du trafic d'espèces sauvages entre ce pays et la Chine.
L'Afrique du Sud est une plaque tournante de l'exportation d'animaux sauvages vivants et de parties d'animaux, poursuit Louw, des primates aux perroquets gris du Gabon en passant par les reptiles, les girafes ou encore les os de lions, aucune espèce n'est épargnée. La Chine est bien entendu un marché important, mais d'autres pays asiatiques comme le Bangladesh ou le Pakistan figurent également sur la liste des destinataires.
Le trafic existe depuis des décennies. Au début des années 2000, quatre gorilles des plaines de l'Ouest ont été capturés illégalement au Cameroun avant de transiter en Afrique du Sud pour rejoindre le zoo de Taiping, en Malaisie. Surnommés les Taiping Four, les animaux ont finalement été restitués au Cameroun.
Au mois d'août 2019, un groupe de dix-huit chimpanzés du Hartbeespoort Snake and Animal Park, près de Pretoria, a été vendu au Wildlife Park de Pékin, en Chine, d'après un rapport publié conjointement par BAT et l'EMS Foundation.
Les chimpanzés étaient présentés comme des animaux élevés en captivité sur leurs permis, mais d'après le rapport, l'Afrique du Sud ne possède aucun établissement d'élevage de chimpanzés officiellement déclaré, et « il n'existe aucune preuve attestant que les animaux n'ont pas été capturés dans la nature ou importés illégalement en Afrique du Sud. » Le chimpanzé n'est pas une espèce endémique de l'Afrique du Sud, on le trouve uniquement en Afrique Centrale et de l'Ouest.
Toujours d'après le rapport, au moins 5 035 animaux sauvages auraient été exportés d'Afrique du Sud vers la Chine entre 2016 et 2019. La plupart des destinations chinoises précisées sur les permis à l'exportation relèvent de la « pure fiction ». Soit ces adresses n'existaient pas, soit elles étaient introuvables ou ne correspondaient pas à ce qui était annoncé par les exportateurs. Par exemple, certaines de ces destinations étaient des immeubles de bureaux ou des hôtels.
« UN DÉSORDRE MONUMENTAL »
Pour Louw, la raison derrière l'essor des exportations sud-africaines se résume à un manque d'organisation et une surveillance laxiste.
Pour envoyer à l'étranger la plupart des espèces de primates légalement, les exportateurs doivent obtenir un permis comme le veut la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES).
Chacune des neuf provinces de l'Afrique du Sud émet son propre permis CITES à l'exportation, contrairement à la plupart des autres signataires où cette responsabilité impute au gouvernement national. Par ailleurs, tout est réalisé sur papier. « Nous n'avons pas de registre centralisé des permis ici, en Afrique du Sud, » rapporte Louw. « Tout est sur papier, dans des boîtes, c'est un désordre monumental. »
Ce désordre facilite le commerce illégal, poursuit-elle, car les trafiquants peuvent réutiliser d'anciens permis, modifier des informations telles que l'adresse de l'exportateur ou l'espèce animale. « Il n'existe aucun moyen pour les autorités de vérifier que le permis n'a pas déjà été utilisé, » déplore-t-elle.
Le ministère sud-africain de l'Environnement, des Forêts et des Pêches indique « ne pas avoir connaissance d'un quelconque problème » lié à son système de permis CITES sur papier, d'après un e-mail du directeur de la communication, Albi Modise. Il serait inexact de dire que le système de permis en Afrique du Sud facilite le trafic, car « une fois un permis utilisé, il ne peut pas l'être à nouveau puisqu'il est annulé au point d'entrée. »
Ces cercopithèques de Allen, photographiés au zoo de San Diego en 2006, ont été sauvés du commerce illégal de la viande de brousse en République démocratique du Congo. Deux spécimens de cette espèce faisaient partie du groupe de singes intercepté au mois de septembre.
Même si les trafiquants sont appréhendés, rien ne dit qu'ils ne pourront plus prétendre à un permis d'exportation à l'avenir, rapporte Louw. Par exemple, un marchand de reptiles africains, dénommé Beric Muller, a été reconnu coupable de contrebande de grenouilles vers Taïwan en l'absence du permis à l'exportation approprié, mais après avoir payé une amende il a pu soumettre de nouvelles demandes qui ont été acceptées, nous dit-elle.
Elle ajoute que la législation internationale n'exige pas de la part des pays exportateurs de vérifier la légitimité de l'adresse du destinataire. Cela signifie que des espèces menacées peuvent être envoyées dans des parcs d'attractions, des cirques ou des laboratoires. Cette pratique entre en violation avec la CITES qui interdit la vente de certaines espèces protégées à des fins uniquement commerciales, explique Louw.
C'est au pays importateur de s'assurer de la conformité du destinataire, indique par e-mail Francisco Pérez, porte-parole de la CITES. Les permis à l'importation sont nécessaires pour les espèces qui bénéficient du plus haut niveau de protection accordé par la CITES, notamment les grands singes. Pour les espèces moins protégées, les permis à l'importation ne sont pas exigés, ce qui implique qu'aucun des pays n'est tenu de contrôler la destination.
Lorsque les chercheurs de la collaboration BAT/EMS Foundation ont enquêté sur les destinations mentionnées par les permis à l'exportation de nombreux animaux vivants expédiés depuis l'Afrique du Sud entre 2016 et 2019, ils ont découvert que bon nombre d'entre elles étaient illégitimes.
Par exemple, certains zoos en Chine ont fait l'acquisition d'animaux en danger d'extinction dans le but de les utiliser à des fins essentiellement commerciales. D'autres animaux ont été confiés à des élevages où ils finissaient par disparaître dans un « trou noir, » affirme Louw.
Modise nie ces propos et affirme que le ministère n'a jamais émis de permis violant les règles de la CITES. « Il n'existe aucun instrument juridique permettant à l'Afrique du Sud, en tant que pays exportateur, de contrôler la conformité à la CITES » des pays importateurs, a-t-il déclaré. « Il incombe au pays importateur de s'assurer qu'il dispose du cadre légal approprié. »
« LES CHANCEUX »
Cela m'a vraiment « brisé le cœur » de voir que personne d'autre ne pouvait accueillir les vingt-cinq primates saisis par les autorités, raconte Franck Chantereau du JACK Chimpanzee Sanctuary. Même s'il n'était pas familier avec ces espèces et malgré son manque d'argent et d'espace, il savait qu'il devait intervenir.
Chantereau a levé des fonds afin de construire quatre cages de 6 mètres de hauteur et trois enclos extérieurs avec de l'herbe et des arbres pour inviter les singes à l'exploration.
Ils devraient arriver à Lubumbashi d'un jour à l'autre, mais le sanctuaire JACK ne sera pour eux qu'un foyer temporaire. Lorsque les singes seront suffisamment âgés et indépendants, les autorités de la RDC devraient approuver leur remise en liberté, assure-t-il.
Chantereau surnomme ces singes « les chanceux », mais il repense souvent aux autres victimes, à ceux qui n'ont pas le droit à une seconde chance.
« Qu'en est-il des milliers de singes qui arrivent chaque mois à Kinshasa, la capitale de la RDC, uniquement pour leur viande ? » s'interroge-t-il. « Nous allons finir par vider la forêt pour toujours. »
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Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.