Les poules heureuses pondent-elles de meilleurs œufs ?
Les éleveurs sont nombreux à penser que les consommateurs seraient prêts à payer leurs œufs plus chers s’ils savaient que les poules qui les produisent sont en bonne santé et bien traitées. Reste à savoir d'où viennent ces œufs...
Les ancêtres des poules modernes étaient souvent victimes de prédateurs vivant dans le ciel. Aujourd'hui encore, elles craignent souvent les espaces ouverts. Les agriculteurs peuvent rendre les pâturages plus adaptés aux poules en y installant des arbres et des broussailles.
Les poules pondeuses élevées en pâturage semblent avoir la belle vie car elles ont accès à l'air frais de l'extérieur.
Pourtant, en fin de compte, cette expression signifie simplement que la porte du poulailler est ouverte, explique Kestrel Burcham, directeur des politiques à l'Institut Cornucopia, un groupe de surveillance des consommateurs à but non lucratif. « Cela ne signifie pas nécessairement qu'elles en profitent réellement. »
De nombreuses poules craignent les espaces ouverts, qui les rendent vulnérables aux prédateurs volants. À moins que ces espaces ouverts ne soient bien conçus, avec des arbres, des broussailles ou même des panneaux solaires, les poules « élevées en pâturages » ne connaissent parfois jamais lesdits pâturages. Pourtant, en matière de bien-être des poules, l'élevage en extérieur est la norme la plus élevée et ce label indique que les poules peuvent passer la majeure partie de leur journée à l'extérieur si elles le souhaitent.
Grâce au couvert végétal, les poules de cette ferme de l'ouest du Kentucky peuvent s'éloigner du poulailler.
En France, pour obtenir le label « élevées en plein air », les poules doivent disposer d'un espace de 4 mètres carrés minimum chacune en journée. Néanmoins, comme pour l'expression « élevées en pâturage », cet espace extérieur doit répondre a peu d'exigences quant à son aspect. Il peut s'agir de béton plutôt que d'herbe, par exemple. Quant à l'expression « en liberté », elle signifie simplement que les poules ne sont pas en cage, mais qu'elles peuvent être maintenues en intérieur vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Si une boîte d'œufs ne porte aucune de ces mentions, il est probable que les poules dont ils sont issus vivaient dans des cages en batterie, généralement des enclos collectifs entièrement grillagés dans lesquels chaque oiseau dispose d'une surface de 450 à 550 centimètres carrés. À titre de référence, une feuille de papier A4 a une surface de 625 centimètres carrés.
« Les boîtes d'œufs sont les produits d'élevage les moins clairs », explique Burcham.
Le photographe Michael George a passé plus de deux ans à photographier des agriculteurs américains qui tentent d'élever des poules en pâturage afin qu’elles soient plus heureuses. Cette expérience lui a ouvert les yeux. « J'ai appris que les réglementations fondées sur de bonnes intentions peuvent souvent dépasser la science », explique-t-il. Cependant, il est encourageant de constater que les éleveurs « consacrent beaucoup de temps et d'argent à améliorer constamment le système pour trouver ce qui est vraiment le plus sain pour les oiseaux », ajoute-t-il. « Les éleveurs portent également à leurs troupeaux une profonde attention. »
QUE SIGNIFIE « ÉLEVÉES EN PÂTURAGE » ?
L'USDA, qui, en accord avec la Food and Drug Administration, réglemente la production d'œufs, exige que les animaux « élevés au pâturage » aient eu un accès libre au plein air constamment pendant une grande partie de leur vie. L'USDA n'inspecte pas les installations pour s'assurer de leur conformité, mais les exploitations sont tenues de présenter des documents prouvant qu'elles assurent l'accès aux pâturages.
« Des sanctions sont prévues en cas de fausses déclarations sur l'étiquette », précise Burcham. Les consommateurs peuvent porter plainte contre les exploitations dont les déclarations sur l'accès aux pâturages sont fausses. Ces dernières peuvent faire l'objet de poursuites judiciaires. En 2021, l’association de défense des animaux PETA a intenté un recours collectif au nom de consommateurs de tout le pays contre la société d'œufs Vital Farms, alléguant que le marketing de la société les avait amenés à croire que les pratiques de la société étaient plus humaines qu'elles ne l'étaient. Vital Farms affirme qu'elle a toujours été transparente quant à ses pratiques et qu'elle a fait l'objet d'audits indépendants. Le procès est encore en cours.
L'agriculteur Glenn Zimmerman et ses deux filles se promènent dans leur ferme du nord de l'État de New York.
Contrairement à de nombreux œufs achetés dans le commerce, ceux qui proviennent de poules élevées en pâturage ont généralement un jaune plus ferme et une couleur plus orangée. « Si vous ne leur offrez pas un bon environnement, elles ne produiront pas comme elles le font naturellement », explique l'agriculteur Vernon Martin.
Selon Vernon Martin, les consommateurs sont prêts à payer plus cher pour des œufs plus frais qui proviennent de poules plus saines et plus heureuses.
Indépendamment du label « élevé au pâturage » de l'USDA, les producteurs d'œufs peuvent choisir d'obtenir le label « élevé au pâturage » du programme volontaire de certification du bien-être animal Certified Humane, géré par l'organisation à but non lucratif Humane Farm Animal Care, qui se charge d’audits indépendants des exploitations afin de s'assurer qu'elles respectent des normes spécifiques en matière de bien-être. Le label « élevé au pâturage » délivré par Certified Humane exige que les exploitations disposent d’un hectare pour mille oiseaux et que les poules soient généralement en plein air toute l'année.
À partir de 2025, l'USDA exigera également des produits d'élevage étiquetés « biologiques » qu’ils respectent de nouvelles normes, notamment des critères d'espace extérieur minimum, l'obligation que celui-ci soit composé d'au moins 75 % de terre et des soins de santé préventifs tels qu'une alimentation suffisante et des programmes de prévention des parasites. Les normes actuelles exigent que l’alimentation soit biologique, l'absence d'antibiotiques « inutiles » et des conditions de vie tenant compte des comportements naturels de l'animal.
« DES OISEAUX FUTÉS »
Les poules et poulets domestiques modernes descendraient des coqs dorés d'Asie du Sud-Est, qui étaient la proie de prédateurs aériens comme les rapaces. Ces ancêtres sauvages craignaient donc les espaces ouverts et ont évolué en cherchant des habitats abrités, notamment des arbustes et de la végétation, des forêts et des mangroves.
Des études suggèrent que les poulets domestiques d'aujourd'hui ont les mêmes préférences. Selon l’une d’entre elles, dans les environnements denses en sorgho ou en oliviers, les oiseaux sont plus enclins à explorer et à utiliser les pâturages mis à leur disposition. Il en va de même pour les poulets vivant dans des habitats couverts par l’humain, notamment les filets et les huttes de paille. Même à l'intérieur, des études ont montré que les poules préféraient rester sous des panneaux de plexiglas peints dans leurs enclos, où elles étaient plus susceptibles de se prélasser et de se reposer.
Selon Lewis Bollard, directeur du programme de protection des animaux de ferme d'Open Philanthropy, un bon pâturage comprend de l'espace, de l'herbe et de la végétation et, à l'intérieur du poulailler, des nichoirs plutôt que des cages en batterie pour que les poules puissent y pondre leurs œufs.
En fin de compte, l'« accès aux pâturages » indique simplement que la porte du poulailler est ouverte, explique Kestrel Burcham, directeur des politiques à l'Institut Cornucopia, un groupe de surveillance des consommateurs à but non lucratif. « Cela ne signifie pas nécessairement qu'elles en profitent réellement. »
Allie Haggarty et Aubrey Thompson supervisent des troupeaux de poules pour Handsome Brook Farms, un réseau de petites exploitations biologiques. Chaque semaine, elles se rendent dans des fermes pour s'assurer que les poules sont en bonne santé et que les agriculteurs reçoivent le soutien nécessaire.
Dans la ferme de Vernon Martin, à New York, un technicien en agroforesterie examine un jeune robinier faux-acacia, planté l'automne précédent. Depuis qu'il a planté plus de 400 arbres autour de son poulailler, Vernon Martin a remarqué que les poules s'aventuraient plus souvent à l'extérieur.
Vernon Martin, propriétaire de la ferme Crystal Spring à New York, vend des œufs par l'intermédiaire de Handsome Brook. Au départ, l’endroit où il a construit son poulailler était à environ trente mètres d’écart des arbres les plus proches. Pour encourager ses poules à sortir, il en a planté environ 350 et, un an plus tard, a replanté des arbres de trois mètres de haut. Au fur et à mesure que les arbres ont poussé, il a remarqué que les poules s'aventuraient de plus en plus à l'extérieur. Ce sont des oiseaux « très futés », dit-il.
À Red Hen Roost, une exploitation de maïs de trente hectares à New York qui vend également ses produits par l'intermédiaire de Handsome Brook, le propriétaire, Luke Nolt, raconte que certaines poules attendent à la porte dès le matin. Dans son pâturage, elles peuvent se promener à l'ombre des pins, des saules, des poiriers en fleurs et des pommiers. Lorsqu'il effectue ses contrôles quotidiens, des milliers de poules le suivent, dit-il, et une poule blanche se montre particulièrement amicale, sautant parfois sur son épaule.
CE QUI EST BON POUR LES POULES EST-IL BON POUR LES AFFAIRES ?
Les normes strictes en matière de bien-être ne profitent pas seulement aux poules, mais peuvent également être bénéfiques pour les propriétaires d'exploitations agricoles. Dans une étude réalisée en 2008, le fait de protéger des poules avec des panneaux de couverture a permis d'augmenter la production d'œufs de 2 % et de générer un revenu estimé à 3 millions de dollars pour l'entreprise avicole participante.
À New York, Martin contrôle ses 15 000 volailles deux fois par jour pour s’assurer que les poulaillers sont bien ventilés et que la température est supportable, entre 18 et 21°C.
Lorsque l'un de ses troupeaux est tombé malade, il a remarqué que les jaunes d'œuf étaient pâles et jaunes au lieu de leur couleur orange habituelle. « Si vous ne leur permettez pas de vivre dans un bon environnement, elles ne produiront pas comme elles le feraient naturellement », explique-t-il.
Selon lui, les consommateurs sont prêts à payer plus cher pour des œufs plus frais provenant de poules plus saines et plus heureuses.
Bollard est d’accord sur ce point, mais un problème se pose : « de nombreux consommateurs n'ont aucune idée de l'origine de leurs œufs ».
Généralement, « les consommateurs s’imaginent que les œufs ordinaires que l'on trouve dans les rayons proviennent de poules élevées en plein air », explique-t-il. En outre, comme les œufs de pâturage ont tendance à coûter plus cher, ils tendent à les éviter. Le problème vient en partie du fait que les supermarchés ont tendance à majorer les prix des œufs de poules élevées en plein air ou au pâturage par rapport aux œufs conventionnels, explique Bollard.
Dans leur ferme de l'ouest du Kentucky, Rhoda et Dave Zimmerman placent les œufs qu'ils ont ramassés sur des palettes. Au fur et à mesure que ces œufs descendent sur le tapis roulant, ils enlèvent les plumes, vérifient que les coquilles ne sont pas abîmées et effectuent un contrôle de qualité.
Jeremy Schlabach, agriculteur du Kentucky, tient l'une de ses poules élevées en pâturage.
En France, plusieurs enseignes se sont engagées à éliminer progressivement les œufs de poules élevées en batterie d'ici à 2025. Monoprix avait pris cette initiative en 2013, suivi par Colruyt en 2014, Lidl, et plus récemment Système U. En France, plus de 47 % des poules sont cependant encore élevées en cage.
L'Animal Welfare Act, loi fédérale qui réglemente le traitement des animaux dans la recherche, l'exposition et le transport, ne couvre pas le bétail, ce qui signifie qu'il revient souvent aux agriculteurs et aux consommateurs d'exiger un meilleur bien-être, explique Burcham.
« Étrangement, nous avons également une perception des oiseaux selon laquelle ils ne seraient pas aussi complexes ou sensibles que les mammifères, ce qui n'est pas vrai », explique Burcham. « Il s'agit d'une espèce très dynamique et j'aimerais que les gens accordent davantage d'attention à ce qui fait leur spécificité. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.