Anomalocaris, monstre des mers du Cambrien

Cette ancienne créature marine d'un peu moins d'1 mètre de long, appelée Anomalocaris, parcourait les mers il y a plus de 500 millions d'années. Dans sa bouche, des plaques osseuses tranchantes auraient eu la capacité de broyer ses proies.

De Riley Black
Publication 13 avr. 2022, 16:51 CEST
Une sculpture de Peytoia, montrant la bouche en forme d'anneau. Modèle créé par Espen Horn.

Une sculpture de Peytoia, montrant la bouche en forme d'anneau. Modèle créé par Espen Horn.

PHOTOGRAPHIE DE Wikipedia

J'ai un faible pour Anomalocaris. De tous les animaux bizarres du Cambrien, cet invertébré segmenté était l'un des plus singuliers. Cette créature préhistorique avait des yeux en forme de tiges, des pattes natatoires, des appendices de préhension hérissés de pointes et une bouche plaquée. Anomalocaris était si étrange, en fait, que les paléontologues n'ont que récemment dressé un portrait fidèle et complet de cet animal. Pendant des années, les différentes parties de son corps ont été attribuées à diverses créatures. L'élément qui a suscité le plus d'interrogations est sans aucun doute la bouche de ce néo-prédateur.

La bouche d'Anomalocaris a d'abord été assimilée à une méduse. Il y a plus d'un siècle, alors qu'il cataloguait des fossiles vieux de 505 millions d'années provenant du site exceptionnel des schistes de Burgess, le paléontologue Charles Doolittle Walcott s'est interrogé sur ce qui semblait être un anneau aplati. Walcott a appelé l'animal Peytoia, et a suggéré qu'il s'agissait d'une forme étrange de méduse archaïque.

L'interprétation de Walcott est restée en vigueur pendant des décennies. Lorsque les paléontologues Harry Whittington et Simon Conway Morris ont écrit un article sur la vie cambrienne pour Scientific American en 1979, et ont inclus cette étrange méduse dans un habitat reconstitué des schistes de Burgess. Comme Stephen Jay Gould l'a commenté plus tard dans son livre Wonderful Life, le Peytoia imaginé par Walcott ressemblait à « une sorte de soucoupe volante surmontée d'une tranche d'ananas. »

En 1985, ces disques spongieux ont été réinterprêtés pour ce qu'ils sont : des éléments buccaux broyeurs de trilobites. En nettoyant et en étudiant divers fossiles datant du Cambrien, Whittington, Conway Morris et un autre collaborateur, Derek Briggs, ont découvert que Peytoia, telle que Walcott l'avait imaginée, n'était finalement pas une créature distincte. De rares roches préservaient les anneaux de certains spécimens Anomalocaris et d'une créature similaire, étroitement apparentée, que l'on croyait auparavant être une éponge. Ces spécimens plus complets ont permis d'assembler les pièces de cet étrange puzzle et de documenter une seule et même créature préhistorique, très différente de tout ce que les paléontologues avaient étudié auparavant.

La bouche d'Anomalocaris ressemblait à un obturateur d'appareil photo. J'aime beaucoup cette image. Anomalocaris a sûrement attrapé des trilobites sans défense avec ses bras flexibles pour les mettre directement dans sa bouche. De rares excréments fossiles confirment même l'idée que certains Anomalocaris dévoraient des proies à carapace dure.

Mais l'idée que les Anomalocaris étaient des chasseurs de trilobites spécialisés est probablement trop simple et a souvent été remise en question. En 2010, une présentation d'Anomalocaris a suscité l'attention des médias lorsque le paléontologue James Whitey Hagadorn a suggéré que ce prédateur cambrien était physiquement incapable de manger des proies à coquille dure. Peut-être qu'Anomalocaris se nourrissait de trilobites mous qui venaient de muer, mais il était probablement plus une menace pour les vers. 

Aussi effrayants que puissent paraître les éléments bucaux d'Anomalocaris, je vais peut-être devoir mettre de côté l'idée que cette créature dévorait les trilobites avec rapacité. Comme l'expliquent les paléontologues Allison Daley et Jan Bergström dans un article paru dans Naturwissenschaften, la bouche d'Anomalocaris était peut-être mieux adaptée pour aspirer ses proies que pour les broyer.

Les bouches de Peytoia (A), Hurdia (B), et Anomalocaris canadensis (C). La bouche d'Anomalocaris a une ...

Les bouches de Peytoia (A), Hurdia (B), et Anomalocaris canadensis (C). La bouche d'Anomalocaris a une organisation triradiale, plutôt que tétraradiale.

PHOTOGRAPHIE DE Daley et Bergström, 2012.

Pour autant que nous le sachions, il y avait trois anomalocaridés différents dans la faune des schistes de Burgess : Anomalocaris, Peytoia (communément appelé Laggania - Daley et Bergström soulignent que le nom propre de l'animal Laggania est en fait Peytoia. Même si l'animal n'est pas la méduse imaginée par Walcott, le nom qu'il a inventé en 1911 est le nom correct), et une forme encore plus étrange avec une carapace tectiforme appelée Hurdia. Ces trois espèces étaient censées avoir des bouches très similaires. Selon les paléontologues, ces bouches étaient des sortes de « cônes oraux » composés de trente-deux plaques, dont quatre étaient situées à 90° les unes des autres. 

Mais lorsque Daley et Bergström ont réexaminé la bouche d'Anomalocaris canadensis provenant des schistes de Burgess, ils ont découvert une disposition différente. Ce célèbre animal ne possédait que trois grandes plaques - disposées en triangle - avec un nombre variable de plaques plus petites entre elles. « Cela met en évidence une grave méconnaissance de l'un des anomalocaridés les plus célèbres », écrivent Daley et Bergström, et ce nouveau regard sur le cône oral de la créature montre qu'Anomalocaris n'était probablement pas une terreur broyant les trilobites. « L'ouverture centrale des cônes oraux d'Anomalocaris a une forme irrégulière et une petite taille », expliquent Daley et Bergström, « ce qui rend sa morsure peu puissante. » La bouche rigide, petite et circulaire d'Anomalocaris semble mieux adaptée pour aspirer de petites proies - peut-être l'animal a-t-il tamisé la boue cambrienne à la recherche de vers et d'autres friandises.

Cependant, tous les anomalocaridés n'avaient pas des bouches similaires. Peytoia et Hurdia présentaient une bouche en quatre parties, et Hurdia, en particulier, possédait une série supplémentaire de petites épines au milieu de la bouche. Il est clair que ces animaux se nourrissaient de proies disparates et qu'ils le faisaient de différentes manières - une conclusion étayée par les variations des appendices frontaux épineux que les anomalocaridés utilisaient pour saisir leurs proies.

Nous commençons tout juste à comprendre l'écologie et la biologie de ces animaux absolument fascinants. L'étude de ces étranges bouches laisse entendre qu'une intense course entre les prédateurs du Cambrien et les trilobites dont ils raffolaient n'était pas aussi intense ou dramatique que nous le pensions.

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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