Arctique : les bœufs musqués menacés par le changement climatique
Des conditions climatiques extrêmes, conséquences du changement climatique, rendent la survie des bœufs musqués incertaine en Arctique.
Conséquence inattendue du changement climatique, les bœufs musqués, ces mammifères de la toundra recouverts d'une épaisse toison laineuse, naissent de plus en plus petits dans le grand nord, leurs mères peinant à trouver de la nourriture.
L'une des raisons à cela, selon une étude publiée dans Scientific Reports est que les bœufs musqués se nourrissent tout au long de l'année en chassant la neige à grands coups de sabots. Mais les températures augmentant, la neige se fait pluie et ne gèle qu'une fois au sol, emprisonnant l'épilobe, le carex et les diverses herbes dont ce grand herbivore se nourrit.
Parallèlement à cela, à mesure que les caprices météorologiques se multiplient, plus de 50 bœufs musqués sont morts noyés dans la glace, alors que des rafales de vents repoussaient la glace et les eaux gelées vers l'intérieur des terres, au point que des poissons ont été retrouvés à 800 mètres du rivage. La montée du niveau de la mer rend ces épisodes de plus en plus importants et communs.
Après plus de sept ans passés à braver le vent, le froid et l'obscurité des hivers arctiques sur deux continents, une équipe de scientifiques chargée de recenser le nombre de bœufs musqués a mis en évidence la façon surprenante dont le changement climatique met à rude épreuve l'une des espèces fauniques les moins étudiées du grand nord.
« La plupart des gens savent que les ours polaires sont menacés, mais ils ne font pas le lien entre les effets du changement climatique sur les côtes et à l'intérieur des terres, » avance l'auteur principal de l'étude, Joel Berger, professeur à l'université d'État du Colorado et consultant scientifique auprès de la Société de conservation de la faune. « Ces épisodes climatiques extrêmes qui ont pour cause première la hausse des températures ont déjà des effets importants sur les animaux à l'intérieur des terres. » Et ces effets sont visibles dans les lieux les plus improbables.
LA PROCHAINE GÉNÉRATION MISE À MAL
Joel Berger et son équipe ont passé pendant plusieurs années les mois de février et de mars à étudier les bœufs musqués sur les étendues glacées de Sibérie et du nord de l'Alaska car « on en sait moins sur ces espèces que sur la plupart des mammifères terrestres. » Alors que les ours polaires et les caribous sont régulièrement recensés, et ce depuis des années, la plupart des bœufs musqués sont seulement comptabilisés lors de survol de leur habitat naturel.
Pour comprendre comment les épisodes météorologiques extrêmes peuvent mettre à mal ces gigantesques créatures, les scientifiques, comme leurs sujets d'étude, se sont recroquevillés dans l'obscurité, quel que soit le temps, prenant des photos et notant leurs observations. Ils ont pris des notes sur la taille des spécimens, sur les conditions climatiques puis ont mis au point une modélisation par ordinateur.
Ils savaient qu'en 2003, un fort épisode de fonte des neiges causé par des précipitations importantes avait condamné 20 000 boeufs musqués à mourir de faim. Mais ils ont découvert que de plus petits épisodes climatiques pouvaient eux aussi avoir des conséquences dramatiques. Lorsque les femelles en gestation sont exposées à ce type de conditions climatiques, elles peinent à trouver à se nourrir, et leurs petits naissent avec de plus petites têtes, n'ayant pas pu se développer correctement.
« Qu'il s'agisse d'un enfant mal-nourri ou d'un élan, nous savons que pendant la gestation, surtout durant le dernier trimestre, si une future mère ne s'alimente pas, le petit en paie le prix, » explique Joel Berger. Les bœufs musqués naissent plus chétifs qu'auparavant, ce qui, comme pour les autres mammifères, peut raccourcir leur espérance de vie et leur assurer une piètre santé.
Les conséquences à long termes ne peuvent être que pessimistes. Et des températures toujours à la hausse augmentent les précipitations durant les hivers et les printemps arctiques.
« Je vis dans le Colorado, » nous dit Joel Berger. « Hier, il faisait -2°C. Dans l'une des villes dans lesquelles j'ai travaillé, il faisait 27°C hier. Et c'est un vrai problème. »
Si Joel Berger ne connaît pas de recherches similaires conduites sur d'autres animaux arctiques, il s'attend à des résultats similaires sur certaines espèces, mais pas toutes. Les caribous, contrairement aux bœufs musqués, migrent et sont donc plus à même de voyager pour trouver de la nourriture. Les lemmings vivent dans des tunnels sous la neige, donc à moins que le temps soit à ce point mauvais que la glace fasse s'effondrer les tunnels, ils ne connaîtront pas le même destin que les bœufs musqués. En revanche les lièvres d'Amérique seront eux aussi vraisemblablement touchés par la raréfaction de la nourriture.
DES TSUNAMIS GLACÉS
Lors d'un vol en février 2011, un des co-auteurs de Berger se trouvait dans un avion, d'où il a photographié 55 bœufs musqués se tenant près d'un lagon. Quelques semaines plus tard, 52 d'entre eux étaient morts, noyés dans la glace. La gorge d'un des spécimens avait été transpercée par la glace. Le seul animal qui n'avait pas été complètement submergé par la glace semblait avoir essayé de fuir vers l'avant.
En liant différents épisodes climatiques anormaux, Berger et son équipe ont réalisé que le scénario le plus probable était que les animaux avaient été victimes d'un tsunami local, aussi rare qu'étrange. Les vents renforcent les courants, les rendant 16 fois plus forts que la normale, repoussant la glace épaisse et les vagues vers les terres. Des plateaux de glace de plus de 5 mètres de haut et 50 centimètres d'épaisseur ont été trouvés près des bœufs musqués, morts gelés.
« Tous ces animaux se sont retrouvés prisonniers dans la glace. Ils n'ont pas pu s'échapper, » explique Berger.
En travaillant avec des indigènes d'Alaska, les scientifiques ont même appris qu'il existait un terme pour désigner ces vagues de glace mortelles : ivu ou ivuniq. Un autre épisode de ce genre avait pris au piège des bélugas, des narvals et des loutres dans la douzaine de petites réserves d'eau glacées.
« Mais personne n'avait jamais décrit une telle hécatombe d'un groupe de bœufs musqués, » indique Berger. « Peut-être que des événements similaires se sont produits par le passé et que personne ne les a reportés. Nous n'en savons rien. »
Mais avec la montée du niveau de la mer qui menace déjà les villages côtiers, « c'est sûrement le genre de choses que l'on verra de plus en plus. »