Beverly et Dereck Joubert, amoureux fous de la nature et de ses habitants

Documentaristes mondialement connus, Dereck et Beverly Joubert s'efforcent depuis plus de trente ans de filmer la vie sauvage. Leur filmographie est rediffusée tous les mercredis soirs sur National Geographic Wild.

De Romy Roynard
Publication 8 juin 2022, 15:21 CEST
Les Films des Joubert - Du mercredi 1er juin au mercredi 15 juin à 21.00

Les Films des Joubert - Du mercredi 1er juin au mercredi 15 juin à 21.00

PHOTOGRAPHIE DE National geographic wild

Documentaristes mondialement connus, Dereck et Beverly Joubert s'efforcent depuis plus de trente ans de filmer la vie sauvage et ses habitats naturels, pour galvaniser notre fascination pour les grands prédateurs et nous encourager à agir pour les sauver de l'extinction à laquelle ils sont promis.

Leur passion, communicatrice, s'est mue en engagement au fil des décennies, pour prendre la forme de la Big Cat Initiative. Depuis 2009, avec National Geographic, ils sont engagés sur le terrain autour d'une idée centrale : les grands félins ont besoin de grandes actions. Une campagne pluri-annuelle qui implique non seulement de protéger, de sensibiliser, mais aussi de financer des projets de recherches visant à préserver les espèces de grands félins, dont l’avenir dépend plus que jamais de nous.

Les grands félins fascinent, ils ont cette présence singulière, cette nonchalance feinte, cet instinct qui distingue les redoutables chasseurs. Ils sont aussi beaux que menacés, aussi forts que redoutés.

Et bientôt, ils ne seront plus qu'un lointain souvenir, une empreinte laissée dans l'histoire de notre planète. Selon l'Union internationale pour la conservation de la nature, 26 espèces de grands félins sont aujourd'hui menacées d'extinction. Nos enfants et petits-enfants pourraient ne jamais connaître de guépards asiatiques, de léopards des neiges, de lynx ibériques, de tigres de Sumatra, de léopards d'Afrique du Sud, ou même de lions d'Afrique.

C'est contre ce fatalisme qui ne leur sied guère que Beverly et Dereck Joubert se dressent et continuent de signer de grands films documentaires. Nous les avons rencontrés en 2021, à l'occasion de la diffusion de leur dernier film, Le léopard aux yeux de jade, rediffusé ce mois-ci sur National Geographic Wild, dans le cadre d'une collection dédiée à ce couple de documentaristes, « Les films des Joubert », du mercredi 1er juin au mercredi 15 juin à 21h.

 

Pourquoi avez-vous choisi de consacrer votre carrière et votre vie aux animaux, et en particulier aux grands félins ? Les trouvez-vous particulièrement fascinants ou est-ce la vie qui vous a guidé vers eux ?

Dereck Joubert : Nous sommes partis dans la brousse pour essayer de nous comprendre et de comprendre ce continent sur lequel nous sommes nés (l'Afrique, ndlr). Et un peu maladroitement, nous avons réalisé que pour comprendre tout cela, nous devions vraiment nous concentrer sur les grands prédateurs emblématiques et nous sommes tombés amoureux, évidemment. Nous sommes tombés amoureux l'un de l'autre, et nous sommes tombés amoureux des grands félins. Et puis nous avons réalisé que peu de créatures égalaient les grands félins. 

Beverly Joubert : Pour compléter, je pense que nous pourrions presque considérer les quarante dernières années comme une étude de référence ; chaque décennie les choses ont changé. 'abord, comme l'a dit Dereck, nous étions si excités et si passionnés par ce que nous filmions. Mais très vite, nous avons découvert que les atrocités dont cette région et bien sûr les prédateurs étaient victimes. Nous savions que nous devions nous exprimer. Et c'est pourquoi nous avons lancé la Big Cat Initiative avec National Geographic. Parce que le temps de la production d'un film, soit deux à trois ans, près de 10 000 léopards étaient légalement tués par des chasseurs de trophées. Et on ne parle là que du nombre d'individus tués légalement... Nous avons vite compris que cela ne serait pas durable et que bientôt, il n'y aurait plus de léopards sur cette planète. Donc la Big Cat Initiative nous a donné une voix pour parler des grands félins. 

Dereck Joubert : Beverly a raison au sujet des quatre phases, la première décennie [de notre travail] a été marquée par l'amour et la célébration de ces grands félins, la deuxième par l'indignation face à ce qui leur arrivait. La troisième décennie a été consacrée à notre engagement et la dernière à l'action pour sauver ces félins.

 

Partout dans le monde, les animaux sont aujourd'hui menacés par les activités anthropiques : la perte d'habitats, le braconnage, la chasse aux trophées sont autant de menaces directes... Comment trouvez-vous, en tant que cinéastes, le juste équilibre entre le besoin d'informer, le besoin d'alerter le public et le besoin de le divertir ?

Dereck Joubert : Je pense que nous sommes des conteurs. Raconter des histoires est assez naturel pour nous. Je pense que même si vous avez quelque chose d'important à dire, vous devez bien le dire. Cela peut être divertissant et être porteur d'un message. S'il n'y a pas de message, ce n'est pas vraiment intéressant. Ce sont juste des lions qui sautent sur n'importe quelle proie. Pour nous, il faut vraiment qu'il y ait un sens et je pense que le public répond à cette manière de raconter des histoires. 

Beverly Joubert : Absolument. La conservation est au cœur de nos films, mais comme nous nous sommes toujours donné deux à trois ans pour être sur le terrain et les tourner, cela nous a permis de nous pencher sur la personnalité de nos personnages. Ce que vous voyez à l'écran, ce n'est pas un lion, un léopard ou un guépard lambda. Nous faisons le choix de vous faire entrer dans une famille de guépards. Et en vivant à leur côté, en partageant leurs angoisses pour ainsi dire, on réalise quels défis immenses ils ont à relever au quotidien. Ils doivent survivre à leur environnement changeant, ils doivent échapper aux autres prédateurs... C'est comme ça que nous parvenons à intéresser un public très large. 

Dereck Joubert : Et vous savez, rien de ce que nous filmons n'est inventé ou mis en scène. Dans Le léopard aux yeux de jade, vous pouvez voir que ce léopard a une personnalité.

Beverly Joubert : Elle était vraiment unique à nos yeux. Nous vivions au milieu des léopards et ils avaient tous des yeux couleur ambre et tout à coup nous avons vu les yeux de ce léopard, oscillant entre le turquoise et la jade. Ça nous a coupé le souffle. Nous étions captivés, ce qui est important pour pouvoir raconter une histoire. Chacun des 50 000 léopards d'Afrique a une personnalité unique. C'est pourquoi nous devons vraiment tous les protéger, aujourd'hui plus que jamais.

Les films des Joubert - Bande Annonce

En tant que créateurs de contenu, êtes-vous préoccupés par la façon dont les animaux sauvages sont devenus l'objet de mises en scène sur les réseaux sociaux ? Je pense aux influenceurs qui posent avec des animaux sauvages, mais aussi aux fausses vidéos de sauvetage postées sur YouTube, etc....

Dereck Joubert : Nous y sommes profondément opposés et cela nous inquiète. Nous avons passé notre vie à nous rendre invisibles pour le monde animal, en prenant du recul, en utilisant de longues focales. Nous ne cherchons jamais à toucher un animal. Parce qu'en faisant cela, vous cherchez à retirer à l'animal son caractère sauvage, qui est son seul gage de survie. Voir des Instagramers prendre des selfies avec des guépards me préoccupe beaucoup. C'est tout simplement irrespectueux. C'est comme si je venais chez vous pour vous obliger à poser pour une photo avec moi... c'est juste irrespectueux. 

 

Ce qui est vraiment fascinant quand on parle de film documentaire animalier ou de photographie animalière, c'est le paradoxe du temps. Il faut faire preuve d'une patience extrême, en attendant que quelque chose se produise sans le provoquer, et pourtant il y a toujours cette sorte de précipitation, il faut déjà préparer la session suivante dès que votre journée de tournage est terminée... Vous devez être tout le temps en train de courir !

Beverly Joubert : (rires) Vous avez vraiment mis le doigt sur le problème ! Le temps est si important pour nous. Plus nous pouvons passer de temps sur le terrain, plus nous nous donnons de chances de produire un grand film. La pandémie nous a appris combien nous aimions le temps que nous passions dans la nature. Pendant la pandémie, nous avons dû choisir de nous installer dans un endroit où nous aurions une communication permanente pour pouvoir faire notre travail de conservation. Nous avons donc dû nous éloigner du terrain... Pour nous, il n'est pas  possible de produire un bon film en moins de deux ans : c'est le temps dont nous avons besoin pour capter une certaine forme d'intimité, pour comprendre les sujets que nous filmons et le changement des saisons.

Dereck Joubert : C'est une question très intéressante. Nous sommes à la fois des marathoniens et des sprinters. Vous pouvez rester assis pendant des heures et des heures et que rien ne se passe. Et si quelque chose se passe, il faut le saisir très vite. C'est une dichotomie propre à ce que nous faisons car nous avons toujours l'impression de manquer de temps. Les animaux non plus n'ont plus le temps. Nous devons donc raconter leurs histoires au plus vite, mais il nous faut deux à trois ans pour faire un bon film. Vous savez, quand Beverly et moi sommes nés, il y avait 700 000 léopards en Afrique et maintenant on en compte à peine 50 000. 

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    De plus en plus d'études suggèrent que les animaux ont des processus de pensée, des émotions et des liens sociaux qui sont aussi importants pour eux que pour nous. Les scientifiques ont observé ces émotions chez les animaux domestiques et sauvages, et c'est aussi ce que nous pouvons voir dans vos films. Le fait d'en être témoins doit vous rendre encore plus sensibles à leur déclin.

    Dereck Joubert : Oui, c'est vrai. Dans le film Le léopard aux yeux de jade, il y a un moment où un léopard et sa mère ont fini de jouer et se blotissent l'un contre l'autre, et leurs queues se touchent doucement. Et notre frustration c'est, comme vous l'avez dit à juste titre, « Pourquoi personne d'autre ne voit cela ? » Ce sont des animaux profondément empathiques et pourtant ils sont tués pour satisfaire les chasseurs de trophées. J'ai vraiment du mal à comprendre que vous puissiez dire « Quel bel animal ! Laissez-moi l'abattre. » Il y a une sorte de déconnexion dans le cerveau humain, nous en arrivons à détruire ce que nous aimons le plus. 

    Beverly Joubert : C'est la raison pour laquelle nous avons travaillé si dur pour produire des films afin d'apporter cette empathie pour la vie sauvage, pour que nous puissions la protéger. Les chaînes National Geographic et d'autres médias ont été nos plateformes pour encourager le plus grand nombre de personnes possible à les protéger. 

     

    Vous avez fondé la Big Cats Initiative en 2009 avec la National Geographic Society dans le but d'enrayer le déclin des grands félins à l'état sauvage. Au cours des treize dernières années, la Big Cats Initiative a financé des travaux de recherches de terrain et des projets de conservation innovants. De nombreux scientifiques sont pessimistes quant à l'avenir des grands félins. À quoi ressemble l'avenir des grands félins selon vous ?

    Dereck Joubert : Nous sommes optimistes. Car il y a une grande différence entre ne rien faire et faire quelque chose. Plus nous nous engageons, plus nous avons de chances de faire la différence, et c'est ce que l'on observe aujourd'hui. Je vais vous donner un exemple : il y a quelques années, le lion Cecil a été abattu au Zimbabwe et, immédiatement, des millions et des millions de personnes dans le monde entier ont connu son nom, ont été indignées par cette affaire et ont voulu faire quelque chose. Cette indignation, grâce aux médias sociaux et à des relais d'informations vérifiées, peut maintenant être mise en bouteille. Et cette énergie est le moteur d'un avenir très positif. Le changement est mené par les jeunes, et nous devons nous adresser à eux. 

    Beverly Joubert : En cinquante ans, nous avons perdu 95 % des prédateurs, y compris les léopards. Le changement doit se produire maintenant. Nous espérons que la pandémie aura au moins permis à de nombreuses personnes de comprendre que nous devons arrêter d'abuser de notre planète. 

     

    Chaque fois que nous achetons un reportage pour National Geographic, nous devons nous assurer que ni les animaux ni leur habitat n'ont été perturbés par la présence du photographe. Diriez-vous que travailler pour National Geographic et la National Geographic Society est une expérience singulière ? Et si oui, pourquoi ?

    Beverly Joubert : Dereck et moi avons créé notre propre code, qui était le suivant : respecter la vie sauvage, ne jamais interférer ni avec la nature ni avec les animaux. La société National Geographic a ce même respect pour le monde naturel. L'authenticité est la clé, la recherche et la véracité sont les plus importantes dans les documentaires sur la vie sauvage. 

    Dereck Joubert : La marque National Geographic est synonyme de vérité et d'authenticité. C'est une étoile polaire, une organisation scientifique douée pour la narration. Cet équilibre imparfait entre la science et le storytelling ne peut être assuré que par l'authenticité. 

     

    J'ai montré quelques minutes du Léopard aux yeux de jade à mon fils qui aime beaucoup les léopards et il était fasciné ! Merci pour votre travail et votre engagement... en espérant qu'un jour il pourra voir un léopard dans son habitat naturel. 

    Dereck Joubert : Espérons-le. Ce que vous faites et ce que nous faisons va y contribuer.

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