Ces araignées parviennent à tromper les lucioles... pour mieux les tuer
Selon une nouvelle étude, les araignées de l’espèce Araneus Ventricosus agiraient sur les signaux lumineux des lucioles mâles prises dans leur toile afin de les faire passer pour des femelles… et attirer d’autres mâles.
Cette luciole mâle s’est empêtrée dans la toile d’une araignée de l’espèce Araneus ventricosus. Selon les chercheurs, ces araignées manipuleraient les signaux bioluminescents envoyés par les lucioles pour attirer un partenaire sexuel.
Les araignées ont développé un impressionnant arsenal de techniques de chasse. Certaines, par exemple, piègent leurs proies avec de la salive, quand d'autres construisent des toiles suffisamment solides pour capturer des serpents. Récemment, des chercheurs ont découvert une tactique particulièrement ingénieuse, qui serait utilisée par certaines Araneidae pour attirer les lucioles dans leurs toiles.
Selon une nouvelle étude publiée dans la revue Current Biology, certaines araignées semblent pouvoir modifier les signaux lumineux de lucioles mâles prises au piège dans leur toile afin de les faire passer pour des femelles. Cette parade nuptiale a pour conséquence d'attirer d’autres lucioles mâles dans leurs filets, de la même manière que le chant des sirènes mène les marins à leur perte.
L’idée que des araignées puissent sauter un repas et utiliser leurs proies comme appâts est en soi intrigante, raconte Dinesh Rao, chercheur à l’université Veracruzana, qui a révisé l’article, mais n’a pas participé à l'étude. « Les araignées ont toujours faim. Or là, c’est comme si les araignées se disaient : “Je ne vais pas manger cette luciole tout de suite, j’attendrai la prochaine”. C’est fascinant. »
Bien que Rao et d'autres spécialistes s'accordent sur le fait qu'un facteur semble en effet affecter les schémas lumineux des mâles captifs, ils soulignent la nécessité de mener davantage de recherches pour vérifier si les araignées sont effectivement à l'origine du phénonème et pour comprendre leur mode d'action.
UNE PARADE NUPTIALE FATALE
En 2004, alors qu’il observait des toiles d’araignées dans la nature dans le cadre de ses recherches de doctorat, Xinhua Fu, chercheur spécialisé dans les lucioles à l’université agricole de Huazhong, en Chine, et auteur principal de l’étude, a remarqué quelque chose d’étrange : seules les lucioles mâles se retrouvaient prises au piège dans les toiles. Plus étrange encore, certains de ces mâles émettaient des signaux lumineux semblables à ceux des femelles.
Les araignées y étaient-elles pour quelque chose ?
Pour approfondir la question, Fu et son équipe se sont rendus dans un village près de Wuhan, en Chine, dans une zone de terres agricoles comptant de nombreux étangs et rizières. Ils ont choisi d’étudier Araneus ventricosus, une espèce commune d’araignée de la famille des Araneidae qui tisse une nouvelle toile chaque soir, lors de la période d'activité des lucioles.
Les chercheurs ont capturé des lucioles mâles à l’aide de filets et les ont placées sur des toiles d’araignées à l’aide de petites pinces, puis ont ensuite observé avec leurs caméras ce qu'il se passait dans différents scénarios.
Conclusion, lorsqu’une luciole mâle est prise au piège, l’araignée commence par l’emmailloter puis la mord au thorax pour lui injecter une petite quantité de venin, a expliqué Fu à National Geographic dans un courriel. Par la suite, l’araignée laisse la luciole mâle en évidence au milieu de sa toile et part se cacher à ses extrémités.
Peu après, la luciole captive commence à produire des signaux lumineux semblables à ceux émis par les femelles (des séquences d’un seul flash), ce qui a pour effet d’attirer d’autres lucioles mâles à la recherche d’une partenaire. Lorsque la luciole cesse d’émettre son clignotement, l’araignée répète l’opération. Fu explique que l’ensemble du processus dure généralement deux heures, après quoi l’araignée commence à dévorer ses proies.
Les chercheurs ont trouvé la scène surprenante étant donné que ces araignées disposent d'une mauvaise vue. Malgré tout, elles semblent être « capables de détecter différents types de clignotement et différentes intensités lumineuses ».
DES PREUVES POUR L'INSTANT INSUFFISANTES
Mais comment expliquer ce changement de comportement ? Fu et son équipe ont émis l’hypothèse que les araignées agissaient d’une manière ou d’une autre sur les signaux lumineux des lucioles peut-être, avancent-ils, par l’intermédiaire de leur venin.
Mais des preuves supplémentaires sont nécessaires pour étayer cette hypothèse.
« Dans l’ensemble, l’article est très intéressant », soutient Rao. « Le seul point sur lequel j’émets une réserve concerne le rôle de l’araignée : est-ce vraiment elle qui modifie le signal lumineux des lucioles mâles ? » Selon lui, il faudrait mener une étude neurobiologique pour déterminer « la cause exacte de ce changement ».
Kathryn M. Nagel, doctorante spécialisée dans le comportement des araignées à l’université de Californie à Berkeley, est de son avis. « Quelque chose semble modifier les signaux, mais les preuves fournies dans cette étude ne permettent pas d'identifier la cause exacte de ces changements », écrit-elle dans un courriel. « Il faudra mener des recherches supplémentaires pour déterminer si les actions de l’araignée […] influent directement sur les signaux lumineux des lucioles », ajoute-t-elle.
Fu et son équipe aimeraient par la suite étudier la manière dont le venin de l’araignée affecte le contrôle des signaux lumineux chez les lucioles.
De nombreuses araignées ont recours au mimétisme et à la tromperie pour capturer leurs proies. Par exemple, certaines espèces d’araignées cannibales font vibrer « les toiles des araignées qu'elles ont prises pour cible afin de les attirer vers elles en leur faisant croire qu'une proie s'y est empêtrée », explique Nagel.
« Les arthropodes sont souvent considérés à tort comme des organismes “simples” incapables d’adopter des comportements sophistiqués », souligne Nagel. « Cette étude et d’autres du même type montrent que des organismes jugés auparavant inintéressants peuvent adopter des comportements complexes et que nous avons encore beaucoup à apprendre en matière d'éthologie sur les araignées ».
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.