Ces baleines parviennent à chanter tout en retenant leur souffle
Quand le larynx des baleines produit des sons, leurs voies respiratoires se ferment pour éviter qu'elles ne se noient. Alors comment font-elles pour chanter en retenant leur souffle ?
Les baleines à bosse sont connues pour leurs chants magiques, qui leur servent probablement à communiquer entre elles et à attirer des partenaires potentiels.
Depuis longtemps, les scientifiques se demandent comment les mysticètes peuvent chanter tout en retenant leur souffle. Quand le larynx de la baleine produit ces sons, ses voies respiratoires se ferment pour éviter qu'elle ne se noie. Essayez de fermer la bouche, de vous pincer le nez et de fredonner. Impossible.
« Si vous ne parvenez pas à laisser l'air circuler, c'est que le système est sous pression. Lorsqu'il est sous pression et que le flux s'arrête, le son s'arrête », explique Joy Reidenberg, professeure à l'école de médecine Icahn de Mount Sinai à New York, qui étudie l'anatomie des baleines.
L'illustration d'une baleine à bosse permet d’observer son larynx rose en forme de « U ».
Les experts savaient déjà que le larynx spécial des baleines était doté d’un sac semblable à une cornemuse qui leur permettait de chanter, mais ils ne savaient pas exactement comment elles produisaient le son.
« Il est impossible de glisser un endoscope dans une mysticète afin d’observer ce qu'il se passe lorsqu'elle chante », explique Reidenberg, qui n'a pas participé à la nouvelle étude, publiée dans la revue Nature. En outre, une fois mortes, les baleines se décomposent généralement trop rapidement pour que l'on puisse prélever des échantillons de tissus viables.
Néanmoins, trois baleines se sont échouées à proximité du laboratoire de Coen Elemans, professeur de bioacoustique à l'université du Danemark du Sud et auteur principal de l’étude, et lui ont permis de prélever des conduits vocaux de baleine à bosse, d’un petit rorqual et d’un rorqual boréal récemment décédés.
Pour la première fois, Elemans a pu utiliser ces trois larynx pour reproduire ce qui se passe lorsque les animaux produisent des sons. Cela a conduit à une découverte surprenante : les cordes vocales des animaux vibrent d'une manière inattendue pour produire du bruit.
UNE DÉCOUVERTE FAITE GRÂCE À DES BALLONS DE BAUDRUCHE
Chacune des trois espèces produit des sons très différents. Les baleines à bosse chantent des mélodies complexes, le bruit des petits rorquals est semblable au coin-coin des canards et les rorquals boréals produisent des boums à basse fréquence. Mais comment ?
Après avoir effectué des tomographies, l'équipe a placé les trois larynx dans l’espace d’air d’un laboratoire et a lentement insufflé de l'air dans le système pour voir s'il était possible de reproduire les gigantesques poumons d'une baleine.
« Nous avons fini par utiliser des ballons de baudruche pour alimenter le système », explique Elemans.
Les chercheurs avaient supposé que les bords intérieurs des cordes vocales des baleines se frottaient les uns aux autres pour produire des sons, mais l'expérience a révélé que les cordes vocales se frottaient plutôt à un coussinet de graisse situé à l'arrière du larynx.
« Aucun autre animal n'émet de vocalisations de cette manière », explique Reidenberg.
Reidenberg se demande si deux cordes vocales peuvent vibrer à différentes fréquences contre le coussin de graisse, ou si elles peuvent aussi vibrer l'une contre l'autre. Cela pourrait expliquer comment une baleine peut émettre plus d'un son à la fois.
Elemans pense que ces adaptations seraient apparues au moment où les ancêtres terrestres des baleines sont retournés dans l'océan, il y a environ cinquante millions d'années. Les mysticètes avaient besoin de communiquer avec leurs congénères tout en utilisant leur larynx pour se nourrir et séparer les voies respiratoires, d'où une évolution vers ce système unique.
« Ces animaux ont physiologiquement évolué afin de produire des sons sous l'eau grâce à cet étrange larynx », explique-t-il.
Reidenberg précise cependant que la taille de l'échantillon de l'étude, réalisée sur seulement trois animaux, est trop peu importante pour en tirer une conclusion générale, et que les scientifiques doivent d'abord examiner un plus grand nombre de spécimens.
Heidi Pearson, professeure de biologie marine à l’université de l’Alaska du Sud-Est, qui n'a pas participé à l'étude, partage cet avis. Selon elle, une autre famille de baleines devrait être examinée à des fins de comparaison, car les trois individus analysés étaient tous des rorquals juvéniles. Elemans souhaite étudier un mâle adulte, connu pour ses chants.
Cependant, les experts reconnaissent les difficultés inhérentes à une telle démarche. « Le simple fait d'obtenir ces échantillons est déjà un triomphe en soi », déclare Pearson.
LE CONTRÔLE DE LA POLLUTION SONORE
Les chercheurs se sont également servis de simulations informatiques en 3D pour reproduire ce qui se passe lorsque les muscles du larynx des baleines s’activent. Ainsi, ils ont découvert que ces structures ne peuvent pas produire de sons à des fréquences supérieures à 300 hertz (Hz), ou à des profondeurs d'environ 100 mètres.
Malheureusement, cette « profondeur et cette gamme de fréquences se superposent presque parfaitement à ce que produisent les humains », explique Elemans, ce qui signifie qu'elles pourraient avoir du mal à surpasser le bruit généré par les navires de transport maritime, qui émettent des sons entre 30 et 300 Hz.
« C'est ce que vous et moi pourrions appeler un effet sonore de groupe, comme dans un cocktail par exemple », dit Reidenberg. Lorsque votre gamme vocale chevauche celle des autres, il devient plus difficile de s'entendre sans élever la voix.
Cela explique pourquoi l'étude souligne l’urgence de réduire la pollution sonore en limitant le trafic maritime, en mettant en place des zones de ralentissement, en protégeant les zones où les baleines émettent beaucoup de son, en rendant les navires plus silencieux et en utilisant des données en temps réel pour mettre au point des plans de conservation, explique Pearson.
Reidenberg a une idée assez avancée de la façon dont il faudrait procéder. En effet, si un parc éolien offshore à New York effectuait une étude sismique en hiver, cela n'interférerait pas avec les vocalisations des baleines, dit-il, parce que « les chanteurs sont tous en vacances de printemps sous les tropique ».
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.