Ces loirs aveugles "voient" avec leurs oreilles
Les loirs pygmées font partie des rares animaux capables d’utiliser les sons pour se repérer dans leur environnement.
Un loir pygmée de Chine (Typhlomys cinereus) au parc zoologique de Moscou. Ces animaux utilisent l’écholocalisation. Ils poussent des couinements extrêmement aigus et écoutent leur écho afin de se repérer dans leur environnement.
Dans les forêts sombres des régions montagneuses de l’Asie orientale, les loirs pygmées de Chine (Typhlomys cinereus) descendent des arbres pour parcourir les branches et le sol en quête de baies, de graines et d’insectes. Ce qui rend ces animaux aussi remarquables, c’est qu’ils sont presque aveugles.
Alors comment font-ils pour se déplacer ? Une nouvelle étude publié en juin 2021 dans la revue Science a démontré qu’ils utilisaient l’écholocalisation. Les loirs cartographient leur environnement et se déplacent en poussant des couinements très aigus puis en écoutant les échos qui se réverbèrent sur les masses aux alentours.
Des recherches antérieures avaient suggéré que d’autres cousins grimpeurs du même genre, les loirs pygmées du Vietnam, étaient capables de s’écholocaliser. Toutefois, il s’agit de la première étude à combiner plusieurs sources de données différentes et à prouver sans l’ombre d’un doute que cette caractéristique est commune aux quatre espèces du genre Typhlomys.
« [La capacité à s’écholocaliser] pour toutes les espèces du genre nous a surpris », assure Peng Shi, auteure principale de l’étude et chercheuse au Kunming Institute of Zoology de l’Académie chinoise des sciences.
À ce jour, l’écholocalisation n’a été bien étudiée que chez deux groupes de mammifères : les chauves-souris et les cétacés, qui comprennent les baleines, les dauphins et les marsouins. Certains indices laissent penser que les musaraignes et les tenrecs, un groupe de petits mammifères endémiques de Madagascar, sont également capables de s’écholocaliser. Mme Shi explique que cette capacité a probablement évolué indépendamment pour cinq lignées de mammifères.
Plusieurs espèces d’oiseaux, notamment les guacharos des cavernes (Steatornis caripensis) et les salanganes, utilisent une forme d’écholocalisation plus rudimentaire.
DES INDICES D’ÉCHOLOCALISATION DÉJÀ CONNUS
En 2016, Aleksandra Panyutina, biologiste à l’Institut d’écologie et d’évolution Severtsov à Moscou, a prouvé que le loir pygmée du Vietnam pouvait éviter des obstacles en laboratoire dans le noir complet. Elle a enregistré certains de leurs cris, dont la fréquence et la cadence sont similaires à ceux des chauves-souris qui utilisent l’écholocalisation. Ils sont très aigus et répétés. Ils atteignent parfois une fréquence de douze cris par seconde.
Néanmoins, cet enregistrement n’a pas été mince affaire. « Nous ne disposions pas de l’équipement nécessaire pour enregistrer ces signaux d’écholocalisation car mon détecteur de chauves-souris n’était pas assez sensible pour la voix douce de ces rongeurs. »
Elle a fait équipe avec Ilya Volodin, biologiste à l’université d’État Lomonossov de Moscou, et d’autres collègues. Ensemble, ils ont cherché à en apprendre davantage sur les vocalisations de ces loirs et ont étudié leurs yeux. Ils sont « non seulement très petits mais n’ont aussi que très peu de cellules photoréceptrices », précise M. Volodin.
RASSEMBLER LES MORCEAUX
Dans le cadre de l’étude actuelle, Mme Shi et ses collègues ont capturé quatre espèces de loirs pygmées dans les montagnes de Chine. Chacun d’entre eux ne mesure que quelques centimètres et est revêtu d’une fourrure brun-grisâtre. Ils ont réalisé diverses expériences en laboratoire dans le noir complet afin de mettre la capacité d’écholocalisation de leur sujet à l’épreuve.
En premier lieu, les chercheurs ont comparé le comportement des loirs pygmées dans un environnement en désordre avec celui des mêmes animaux mais dans un environnement dégagé. Ils ont découvert que le nombre et la fréquence des cris ultrasoniques augmentaient drastiquement chez les animaux de la première situation par rapport à ceux présents dans la deuxième. Par la suite, ils ont démontré que les animaux pouvaient se frayer un chemin au travers de petits trous percés dans une planche en bois seulement après avoir émis une série de couinements.
Les scientifiques ont également présenté un disque en hauteur aux loirs et les ont laissés l’explorer. En dessous de cette plateforme, ils ont placé une rampe étroite qui menait vers une récompense sous forme de nourriture. Tous les loirs ont poussé davantage de cris et ont été capables de descendre la rampe dans l’obscurité la plus complète. En outre, les chercheurs ont placé des bouchons d’oreilles aux loirs et ont répété l’expérience. Cette fois-ci, ils n’ont pas été capables de trouver la rampe et ont émis moins de vocalisations ultrasoniques.
Les scientifiques ont comparé les structures osseuses des loirs avec celles des chauves-souris qui utilisent l’écholocalisation. Ils ont découvert des similitudes surprenantes au niveau de la région pharyngienne, derrière les cavités orales et nasales, là où les cris sont produits. En outre, ils ont remarqué que leur os stylohyal était soudé avec l’os tympanal, situé près des oreilles. Le seul autre mammifère à présenter une telle structure osseuse est la chauve-souris.
Ces ressemblances anatomiques suggèrent une homoplasie, un type d’évolution convergente dans laquelle des caractéristiques similaires se développent chez des espèces distinctes et non apparentées, explique Rebecca Whiley, chercheuse et étudiante en master au Sensory Biophysics Lab de l’université York, qui n'a pas pris part à l'étude.
Les auteurs de l’étude pensent que cette anatomie offre aux animaux « une meilleure représentation neuronale des signaux sortants pour les comparer aux échos qui sont renvoyés ». En d’autres termes, ils disposent d’une meilleure représentation mentale de leur environnement.
Par la suite, les chercheurs ont séquencé le génome des loirs pygmées de Chine et l’ont comparé à celui des dauphins et de deux espèces de chauves-souris. Ils ont constaté un grand nombre de similarités dans les gènes responsables de l’ouïe que le hasard ne permettrait pas d’expliquer. Aussi, ils ont remarqué que le principal gène associé à la vue était déficient chez les trois espèces de loirs. Il s’agit du gène qui aide les cellules de la rétine à fonctionner, une nouvelle preuve qui atteste de la malvoyance de ces animaux.
Mme Shi et ses collègues poursuivent les études sur ces rongeurs et peut-être plus tard sur leurs cousins. Ces loirs restent peu décrits et il existe sûrement davantage d’espèces qui forment ce genre. Peng Shi soupçonne également que d’autres animaux, qui n’appartiennent pas à ce genre, ont la faculté de se déplacer dans le noir.
« Notre étude laisse croire qu’il existe une plus grande biodiversité de caractères adaptatifs que nous ne l’aurions jamais imaginé. Nous sommes presque certains que nous pouvons découvrir encore de nombreux animaux qui utilisent l’écholocalisation. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.