Chez certaines espèces animales aussi, on trouve des professeurs (mais ils sont rares)

Les biologistes définissent l’enseignement animal selon des critères qu’un nombre très restreint d’espèces remplit. Parmi les premiers de la classe, on trouve notamment les orques et les suricates, mais les fourmis et les tamarins ne sont pas en reste.

De Brian Handwerk
Publication 1 sept. 2022, 14:44 CEST
Les suricates adultes passent beaucoup de temps à apprendre à leurs petits comment s’y prendre avec ...

Les suricates adultes passent beaucoup de temps à apprendre à leurs petits comment s’y prendre avec les scorpions dangereux, leurs proies favorites.

Les animaux font toutes sortes de choses extraordinaires et la façon dont ils apprennent intrigue les chercheurs depuis longtemps.

Leurs connaissances sont en partie héritées : le monarque (Danaus plexippus) se sert par exemple d’une feuille de route présente dans ses gènes pour migrer du Mexique vers le Canada. D’autres espèces imitent des compétences et des comportements. C’est le cas du loup gris (Canis lupus lupus) lorsqu’il observe sa meute en train de chasser un élan. En revanche, d’autres espèces apprennent à survivre par tâtonnements, comme les corbeaux calédoniens (Corvus moneduloides) qui ont compris qu’ils pouvaient faire monter le niveau d’eau d’une cruche en y lâchant des galets.

Mais au royaume des non-humains, les professeurs dignes de ce nom sont une espèce rare. Seule une poignée d’espèces, certains oiseaux, primates et insectes notamment, obtiennent les honneurs.

Pendant longtemps, « il y a eu une réelle réticence à croire que les animaux étaient capables d’enseigner, car il s’agit vraiment d’une des caractéristiques propres à l’humanité qui nous rend si uniques », rappelle Lisa Rapaport, écoéthologue de l’Université de Clemson.

Les biologistes ont par ailleurs établi une définition restreinte de ce qui constitue un professeur dans le monde animal. Selon Lisa Rapaport, il faut que ledit animal change de comportement face à un élève, qu’il n’y ait pas de bénéfice immédiat pour lui-même, et que l’élève montre qu’il a acquis une connaissance ou un savoir-faire.

Voici les principaux animaux capables d’endosser ce rôle et de faire en sorte que leurs élèves ne se lèvent pas avant la sonnerie.

 

QUAND VOTRE NOURRITURE SE DÉFEND

Les suricates d’Afrique subsaharienne vivent en « bandes » de trente individus au maximum au sein desquelles l’instruction incombe aux parents et à d’autres adultes qui s’occupent ensemble de l’éducation des plus jeunes.

Les suricates se nourrissent bien volontiers de diverses espèces de scorpions mais leur dard mortel exige qu’on les approche avec prudence. C’est la raison pour laquelle, au début, les parents tuent ces arachnides avant de les présenter à leurs nouveau-nés. Plus les petits grandissent, plus les tuteurs compliquent leurs leçons gastronomiques ; ils leur apprennent à retirer le dard d’un scorpion vivant pour le rendre inoffensif puis ils les laissent s’entraîner à les tuer.

Plus les petits acquièrent de savoir-faire et d’assurance dans le traitement de leur proie, plus les scorpions que leur amènent leurs enseignants sont vaillants. 

Bien que certains suricates adultes dédient à l’enseignement un temps qu’ils pourraient passer à faire autre chose, il est dans leur intérêt de le faire. En effet, au sein d’un même groupe, plusieurs suricates appartiennent généralement à la même famille. En faisant en sorte que ses congénères soient en sécurité et qu’ils restent en vie, un individu perpétue donc les gènes de sa famille.

 

LEÇONS DE MUSIQUE

En ce qui concerne certaines espèces, l’apprentissage est parfois si précoce qu’il commence avant la naissance. Chez le mérion superbe (Malurus cyaneus), la mère chante pour ses œufs jusqu’à 30 fois par heure afin d’exposer les embryons à un mot de passe musical propre à chaque femelle. Une fois à l’air libre, les oisillons se serviront de ce pépiement pour demander de la nourriture à maman et à papa, qui aura également pris la peine d’apprendre la mélodie.

Dans une étude, Sonia Kleindorfer, biologiste de l’Université Flinders d’Adelaïde, et ses collègues ont interverti les œufs de nids d’oiseaux sauvages et se sont aperçus que les oisillons reproduisaient le chant de leur mère d’adoption. Le lien génétique ne joue donc pas de rôle dans la compréhension du chant par les petits. (Le cacatoès noir, rockstar du monde animal.)

Ces leçons de chant existent pour une bonne raison : les coucous pondent souvent leurs œufs dans les nids de mérions superbes pour ne pas avoir à les couver et à les élever eux-mêmes, un phénomène nommé « parasitisme de couvée ». Mais les coucous adultes font cela trop tard pour que leurs embryons puissent apprendre ce chant caractéristique. Ainsi, les mérions ne s’occupent que des petits qui le connaissent pour ne pas perdre leur temps et leur nourriture avec des imposteurs.

 

MONTRER LE CHEMIN À UN AMI

Quand la fourmi-roc (Temnothorax albipennis) tombe sur une nouvelle source de nourriture ou sur un endroit propice à la création d’un nid, elle y guide une autre fourmi grâce à la technique de la course en tandem. La fourmi-professeur fait faire le chemin à son élève et s’arrête en cours de route pour que cette dernière puisse mémoriser chaque point de repère. Le professeur attend que son élève lui confirme que la leçon a été apprise par un petit coup d’antenne qui indique qu’il peut poursuivre sa route.

« La fourmi-professeur implique un autre individu dans le processus d’élection d’un nid plus approprié. Cela profitera à toutes les fourmis de la colonie et favorisera une transmission plus abondante de leurs gènes à la génération suivante », explique Nigel Franks, professeur émérite de biologie à l’Université de Bristol et co-auteur d’une étude documentant ce comportement publiée en 2006 ; c’était alors la première fois que l’on prouvait qu’un animal non humain pouvait endosser le rôle de professeur auprès d’un autre.

Nigel Franks expérimente en ce moment des robots-professeurs pour découvrir de quels aspects de son éducation la réussite d’une fourmi dépend le plus.

 

MANŒUVRES MARITIMES RISQUÉES

Selon l’endroit où elles vivent, les orques (Orcinus orca), également appelés épaulards, se nourrissent de proies très différentes. En Norvège, elles œuvrent de concert pour rassembler des bancs de harengs en amas compacts et les assommer avec leur queue avant de s’en repaître.

S'échouer pour chasser : l'incroyable technique des orques

En Antarctique, elles s’allient pour éjecter des phoques de Wedell (Leptonychotes weddellii) de la banquise et les propulser dans des mâchoires qui n’attendent que ça. Les chercheurs pensent que dans certains de ces cas uniques en leur genre, les parents apprennent à leurs enfants à chasser des proies.

Au large de la Patagonie certaines orques chassent par exemple de jeunes lions de mer sur le littoral en s’échouant délibérément. Les adultes montrent aux petits comment effectuer cette manœuvre périlleuse bien avant qu’ils n’aient l’âge ne serait-ce que de chasser et les aident à retourner dans l’eau lorsque cela est nécessaire. (Ce comportement a même été filmé.)

Dans les eaux de l’Alaska, on a vu des orques entraîner leurs petits à capturer des proies en plusieurs étapes. L’adulte commence par assommer un oiseau marin avec sa nageoire caudale afin que le petit comprenne comment s’en occuper et qu’il puisse ensuite travailler sa propre technique de frappe.

Ces leçons ne prouvent pas seulement l’existence d’une forme d’enseignement, mais aussi d’une forme de culture, phénomène qui, selon Brian Skerry, explorateur National Geographic et photographe de la faune, émerge lorsqu’un groupe accumule des connaissances sociales et les transmet à la génération suivante.

« Elles apprennent non seulement à leur progéniture les compétences dont elle aura besoin pour survivre, mais elles lui enseignent leurs traditions ancestrales, les choses qui ont de l’importance pour elles. »

 

L’ART SUBTIL DE LA RECHERCHE DE NOURRITURE

Les tamarins-lions dorés (Leontopithecus rosalia) de la forêt atlantique brésilienne doivent suivre un cours de recherche de nourriture qui aborde, entre autres proies, 150 types de fruits, d’insectes, de rainettes et de lézards différents.

« Si vous êtes un gamin et que vous êtes dans la forêt, où est-ce que vous allez coller vos mains pour être certain de trouver quelque chose sans vous faire mordre ou piquer ? » demande Lisa Rapaport qui a étudié l’enseignement et l’apprentissage chez les tamarins.

À cet effet, les adultes ont donc recours à un cri équivalent à notre « À table ! ». Au début, cela leur sert à faire accourir les petits pour une distribution de nourriture. Mais ensuite, les adultes les familiarisent progressivement avec des situations de recherche de nourriture moins évidentes. Les petits doivent par exemple reconnaître un type de fruit ou bien creuser dans le creux d’un arbre pour y récupérer une proie.

« Pendant la période au cours de laquelle des adultes ont adopté ce comportement, le taux de réussite des enfants en ce qui concerne la recherche de proie a tout simplement grimpé en flèche, on peut donc raisonnablement présumer de son efficacité », explique Lisa Rapaport.

D’après elle, les adultes étaient également davantage enclins à orienter leurs petits vers de nouveaux aliments. « Cela m’indiquait que les adultes faisaient attention à ce que les petits savaient et ne savaient pas. »

Elle a également vu les adultes faire une chose qu’elle croit à peu près unique chez les professeurs non humains : ils canalisaient leur énergie sur ceux qui en avaient le plus besoin.

« Nous n’étions pas dotés de la méthodologie pour affirmer sans équivoque qu’ils réservaient leur enseignement aux petits qui apprenaient moins vite, mais c’était mon impression, se souvient-elle. J’aimerais que quelqu’un s’y intéresse de plus près. »

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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