Une cigale que l'on pensait éteinte depuis 100 ans vient d'être observée

Alors que des milliards de cigales vont bientôt déferler sur l’est des États-Unis, leurs cousines de l’Ouest sont bien moins connues. Une espèce est même décrite comme le « saint graal des redécouvertes de cigales de l’Ouest ».

De Anton Sorokin
Publication 7 mars 2024, 16:07 CET
La cigale rouge de l’Ouest (Okanagana arctostaphylae) était considérée comme éteinte depuis 100 ans jusqu’à ce qu’un ...

La cigale rouge de l’Ouest (Okanagana arctostaphylae) était considérée comme éteinte depuis 100 ans jusqu’à ce qu’un scientifique citoyen en photographie un spécimen.

PHOTOGRAPHIE DE Anton Sorokin

La dernière fois que la cigale rouge vif connue sous le nom scientifique Okanagana arctostaphylae a été observée en 1915, la Première Guerre mondiale entrait dans sa seconde année et la Chambre des représentants des États-Unis venait de refuser un projet de loi visant à accorder le droit de vote aux femmes.

Plus d’un siècle s’est écoulé avant que Lucinda Collings Parker ne tombe, en 2020, sur un autre spécimen de l’espèce dans son jardin situé dans les contreforts de la Sierra Nevada, en Californie. Ne reconnaissant pas l’insecte, elle a pris une photo qu’elle a publié ensuite sur le forum de sciences participatives en ligne iNaturalist.

En quelques heures, l’image avait déjà été consultée par Will Chatfield-Taylor, entomologiste ayant étudié à l’université du Kansas, qui l’avait transféré à un petit groupe de spécialistes des cigales, composé de Jeff Cole, chercheur adjoint au Musée d’histoire naturelle du comté de Los Angeles, et d’Elliott Smeds, chercheur adjoint à l’Académie des sciences de Californie. De l’avis des trois hommes, l’insecte photographié par Lucinda appartenait à l’espèce Okanagana arctostaphylae, considérée comme le saint graal des redécouvertes de cigales de l’Ouest.

Dans quelques semaines, au printemps, des milliards de cigales joueront les trouble-fêtes lors des matchs de baseball et des mariages, déferlant dans un vacarme assourdissant sur une zone s’étalant de l’Oklahoma à la Virginie. Mais certains chercheurs ont les yeux rivés sur l’ouest du pays, lieu d’un mystère entomologique.

Alors que les espèces de cigales sont bien plus nombreuses à l’ouest qu’à l’est des Rocheuses, ces premières sont encore mal connues. Certaines d’entre elles sont observées pour la première fois depuis des générations et l’emblème de ces redécouvertes est Okanagana arctostaphylae.

 

À LA RECHERCHE D’UNE ESPÈCE DISPARUE

Quelques jours après l’observation de Lucinda Collings Parker, Elliott Smeds se rendit au pied de la Sierra Nevada, conduisant pendant des heures à travers son versant occidental, vitres baissées, pour entendre le chant des cigales. S’appuyant sur ses connaissances d’espèces apparentées, il avait une vague idée de ce à quoi ce dernier pouvait ressembler.

Une stratégie qui s’avéra payante, puisque le chercheur parvient à suivre le « zzzzzzzzZZZZzzzztttt » des cigales jusqu’à une falaise inaccessible, perchée à environ six mètres de hauteur. Le lendemain, Elliott Smeds entendit les insectes derrière une barrière verrouillée. La chance lui souriant, il tomba sur le propriétaire qui, quoique légèrement stupéfait, l’autorisa à chasser les cigales sur sa propriété.

Il ne tarda pas à trouver les insectes rouges longs d’environ quatre centimètres, dont l’apparition et la couleur sont spectaculaires. Ceux-ci étaient particulièrement visibles lorsqu’ils n’étaient pas perchés sur les tiges rouges de leurs plantes hôtes, des arbustes de Manzanita. Quelques semaines après leur réapparition, les cigales disparurent à nouveau. Mais les scientifiques savaient désormais où et quand les chercher : ils les ont ainsi retrouvées en 2023.

Des recherches minutieuses et plusieurs observations répertoriées sur iNaturalist ont révélé que ces cigales étaient présentes dans une portion bien plus vaste qu’ils ne le pensaient des contreforts californiens de la Sierra Nevada. Près de 210 kilomètres séparent les observations les plus septentrionales et méridionales de l’espèce, soit la distance à vol d’oiseau entre Lille et Paris. Les insectes sont parvenus à passer inaperçus  pendant un siècle parce qu’ils passent de nombreuses années sous terre, avant que les adultes n’émergent dans une végétation dense et une chaleur étouffante.

« Pour faire simple, les cigales sont d’immenses pucerons », plaisante Jeff Cole.

Comme les pucerons et les autres « vrais insectes », les cigales possèdent une trompe dont elles servent pour extraire la sève des plantes. Une stratégie qui porte ses fruits, puisqu’il existe plus de 3 000 espèces de cigales dans le monde.

Ces insectes se démarquent aussi par leur cycle de vie en deux parties. Les cigales passent la majeure partie de leur vie sous terre, à l’état de nymphe, où elles se nourrissent de la sève des racines. Après une à dix-sept années enfouies dans le sol, selon l’espèce, elles émergent et muent. D’une créature souterraine marron semblable à un haricot sec, elles se transforment en un adulte ailé et l’insecte le plus bruyant sur Terre.

Contrairement à leurs cousines de l’Est, dont l’émergence peut être prévue des décennies à l’avance, le cycle de vie des cigales de l’Ouest demeure assez mystérieux. Les scientifiques ignorent leur aire de répartition, la période à laquelle elles émergeront et pour combien de temps. Bon nombre d’espèces ont des cycles de vie « protopériodiques », c’est-à-dire que quelques individus émergent chaque année, mais qu’ils sortent de terre en grands groupes d’autres années. Un phénomène dont l’ampleur n’est cependant pas comparable à l’émergence des cigales périodiques de l’Est.

Pour l’heure, les chercheurs ignorent encore ce qui déclenche l’émergence des cigales protopériodiques de l’Ouest, mais il semblerait que la pluie joue un rôle majeur. Chez les cigales étudiées, d’importantes émergences ont eu lieu après qu’un certain niveau de précipitations est tombé sur plusieurs années.

 

L’IMPORTANCE DES SCIENCES PARTICIPATIVES

Alors qu’environ 80 espèces de cigales identifiées vivent en Californie, seule une poignée d’entomologistes s’intéressent aux cigales de l’Ouest. Leur long cycle de vie et leurs émergences sporadiques rendent leur étude difficile. Et en plus de ne pas pouvoir être partout à la fois, les scientifiques ont rarement le luxe d’attendre des années que leurs sujets sortent de terre.

Ce qui rend les scientifiques citoyens de iNaturalist essentiels. Les utilisateurs de la plateforme prennent en photo une plante ou un animal, dont l’identification est ensuite confirmée ou corrigée par une communauté de naturalistes et de spécialistes.

« Je suppose que cette situation, qu’une personne observe cet incroyable insecte rouge en se baladant dans les contreforts de la Sierra Nevada, s’est produite des centaines de fois au cours du siècle dernier. Mais grâce à iNaturalist, c’est la première fois que d’autres personnes en entendent parler », remarque Elliott Smeds.

Les utilisateurs d’iNaturalist publient des dizaines de milliers d’observations par jour. Jamais les scientifiques spécialistes des espèces rares n’avaient eu autant de paires d’yeux sur le terrain scannant les crevasses et les fourrés, et publiant leurs découvertes en temps réel en ligne. Mais revenons-en à nos cigales : en février 2024, elles avaient fait l’objet de près de 17 000 publications par plus de 8 500 utilisateurs dans l’ouest des États-Unis. Voilà que subitement, la poignée de scientifiques spécialistes des cigales a des yeux partout.

Cela a changé la donne pour ce qui est de l’étude de ces insectes. « Avant iNaturalist, il était impossible de savoir où et quand elles sortiraient de terre. Il fallait avoir le réservoir de la voiture bien plein et beaucoup de chance », se souvient Jeff Cole.

Will Chatfield-Taylor écrit parfois aux utilisateurs ayant observé des cigales rares afin de leur demander de prélever un spécimen et de lui envoyer pour déterminer à quel point il est apparenté aux autres espèces locales et estimer sa population en dehors de l’ouest.

Mais en dépit de toutes ces nouvelles observations, certains insectes demeurent introuvables.

C’est notamment le cas d’une cigale vivant dans la vallée de Yakima, dans l’État de Washington, qui n’a pas été observée depuis sa description dans les années 1930 et que Will Chatfield-Taylor évoque avec nostalgie.

« L’espèce est peut-être éteinte », suppose-t-il. Ou peut-être apparaîtra-t-elle sur iNaturalist cette année.

Grâce aux informations et aux spécimens recueillis grâce à la plateforme, les scientifiques spécialistes des cigales ont mis la main sur un grand nombre d’espèces plus rapidement qu’ils ne l’auraient pensé possible.

Cela n’aide pas seulement à la redécouverte d’espèces. Grâce à iNaturalist et aux spécimens qu’ils sont parvenus à obtenir, Jeff Cole, Will Chatfield-Taylor et Elliott Smeds ont pu déterminer que plusieurs espèces de cigales de l’Ouest n’étaient en réalité que des variants géographiques d’autres espèces plus répandues.

« Concernant les cigales de l’Ouest, gardez les yeux ouverts bien ouverts ; peut-être que vous trouverez quelque chose de surprenant », conseille Will Chatfield-Taylor aux scientifiques citoyens. Leurs découvertes pourraient elles aussi étonner les entomologistes.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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