Clans, vengeance, expéditions punitives : chez les animaux, la guerre existe aussi

La guerre n’est pas le propre de l’être humain et fait rage dans de nombreuses sociétés animales.

De Manon Meyer-Hilfiger, National Geographic
Publication 5 sept. 2023, 18:12 CEST
Un chimpanzé crie dans la forêt tropicale, faisant des signes à ses proches.

Un chimpanzé crie dans la forêt tropicale, faisant des signes à ses proches.

PHOTOGRAPHIE DE Sergey Uryadnikov / Alamy Banque D'Images

Oubliez le gentil Flipper, le bondissant Tigrou, le patibulaire Winnie l’Ourson. Voici venir les canards violeurs, les armées professionnelles de termites, les chimpanzés organisés en gangs d’assassins... La guerre n’est pas le propre de l’être humain. Pour défendre leur territoire, pour se reproduire, affaiblir un clan opposé ou pour prendre le pouvoir, les animaux aussi livrent de sanglantes batailles. Le conflit n’est pourtant pas la seule voie : d’autres préfèrent la coopération, comme les chauves-souris qui vont jusqu’à donner leur sang. 

Loïc Bollache, professeur d’écologie à l’université de Bourgogne-Franche-Comté, rattaché au Laboratoire CNRS Chronoenvironnement de Besançon s’est penché sur ces curieux comportements dans son livre Quand les animaux font la guerre paru aux éditions Humen Sciences en 2023. 

Un zèbre affronte un mâle dominant lors d'un violent combat

C’est seulement à partir des années 1970 que l’on se met à concevoir la guerre chez les animaux. Pourquoi ?

Dans les années 1960 et 1970, la société est en plein élan « peace and love ». De plus, les scientifiques n’avaient jusqu’ici que peu de recul sur le suivi d’animaux sur le long terme, à part les insectes.

On connaît la violence chez les animaux, mais on suppose qu’elle est le fruit d’un rapport de prédation. Cette vision change d’un seul coup, lorsqu’en 1974, la primatologue Jane Goodall assiste à un épisode d’une extrême violence entre deux clans de chimpanzés.

Un groupe de six mâles débusque un jeune chimpanzé d’un clan adverse, surnommé Godi.  Pendant que certains chimpanzés empêchent le jeune Godi de bouger en lui tenant les bras et la tête, le plus vieux mâle lui assène de violentes morsures sur le corps jusqu’à la mort de la victime. Les chercheurs assistent, médusés, à ce déchaînement de violence. Ils constatent que les chimpanzés engagés dans cette expédition punitive ont un comportement très différent de celui adopté pendant la chasse. Ils sont particulièrement silencieux et s’assurent d’être plus nombreux que leur victime. Lors des années suivantes, ce groupe de chimpanzés va méthodiquement éliminer tous les membres du clan adverse. Le plus surprenant, c’est qu’ils appartenaient tous au même groupe quelques années auparavant.

 

Pourquoi ces chimpanzés livrent-ils une telle guerre à ce clan adverse ?

C’est une guerre de territoire. L’enjeu est considérable puisque le contrôle d’une aire géographique garantit l’approvisionnement en ressources comme la nourriture, les abris... D’autres espèces font donc la guerre pour ces mêmes raisons. Les suricates, par exemple, sont sans arrêt sur le qui-vive. Les prédateurs, mais aussi les voisins qui lorgnent sur leur territoire, menacent leur existence. Certains individus passent leurs journées en hauteur, debout sur leur pattes arrières, pour guetter l’arrivée d’éventuels ennemis au beau milieu des paysages semi-désertiques du Namid et du Kalahari en Afrique de l’Ouest.

 

Chez certaines espèces, on retrouve même des armées professionnelles...

Oui, notamment chez les insectes. La proportion de forces dévolues aux armées professionnelles chez les insectes et chez les humains apparait d’ailleurs étrangement similaire.  En France, l’armée représente 1 % de la population active. Chez les termites, les soldats professionnels représentent entre 2 et 5 % des effectifs de la colonie. Plusieurs types de soldats existent chez cette espèce. Il y a ceux qui protègent le site. En cas d’alerte, ils sont chargés de boucher les trous dans la termitière, sceller les entrées et les sorties grâce à leur tête cylindrique. D’autres, avec leurs puissantes mandibules, doivent accompagner et encadrer les ouvrières quand elles sortent pour chercher à manger. Parfois, leurs armes physiques sont accompagnées d’armes chimiques grâce à des glandes associées aux mandibules. Chez certaines espèces, la glande occupe une bonne partie de l’abdomen et transforme le termite en véritable bombe vivante. En contractant son abdomen, il se fait exploser comme un kamikaze, aspergeant ses adversaires de produits toxiques.

 

Il existe également des guerres entre espèces chez les animaux, pour l’accès aux ressources. Pouvez-vous nous donner un exemple ?

Oui, il arrive que des mammifères tuent des espèces concurrentes, non pas pour les manger mais pour libérer des ressources alimentaires autrefois consommées par la victime. Ainsi, les lions, les hyènes et les lycaons se battent à armes inégales pour le contrôle d’une zone et la possibilité d’en chasser les proies. Et le bilan est lourd : de 13 à 50 % des lycaons meurent tués par des lions ou des hyènes, 55 % des hyènes périssent sous les crocs d’un lion. Les lions sont les moins touchés par cette guerre : les petits lionceaux seraient 8 % à mourir du fait des hyènes et des léopards. Le tout sans être mangés ensuite !

 

C’est aussi le cas, écrivez-vous, de la guerre de l’humain contre la nature.

Oui, de toutes les espèces animales s’attaquant à une autre espèce sans objectif de se nourrir, l’humain n’a pas d’équivalent. Il n’agit pas comme un simple prédateur, mais travaille avec la volonté de détruire les espèces qu’il estime inutiles, qu’il considère, par ignorance, nuisibles. Un exemple ? La guerre contre le loup ! Dès 813, Charlemagne créa un corps d’armée (le Corps de la Louveterie) spécifique chargé d’éradiquer le loup et tous les nuisibles. S’ensuivront des centaines d’années de guerre contre ce canidé. Le 19e siècle est une tuerie, à cause de l’usage des armes à feu et du poison, largement répandus. Son retour naturel en France au début du 21e siècle est une bonne nouvelle pour la biodiversité, mais les autorisations légales d’abattage de plus de cent bêtes par an montrent que la paix n’est toujours pas signée entre lui et l’humain.

 

Les dauphins, eux, tuent les bébés et violent les femelles, dans une forme de guerre des sexes… Pourquoi ?

Tant que la femelle dauphin allaite, elle ne peut être fécondée. Tuer les juvéniles permet d’arrêter la lactation et donc rend une nouvelle fécondation possible. En plus, les dauphins éliminent ainsi la progéniture de concurrents. Autre « méthode » qui permet de se reproduire rapidement : la contrainte. Environ 76 % des interactions entre mâles et femelles concernent des comportements de coercition sexuelle ou de viol. En clair, les femelles en chaleur sont harcelées incessamment par les mâles. Concrètement, trois ou quatre mâles encadrent une femelle, leur pénis en érection, en essayant de forcer la copulation. Pour éviter cette situation, les femelles, surtout celles accompagnées de juvéniles très jeunes, fréquentent des eaux peu profondes où il est moins facile pour les mâles de les débusquer...

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    Deux adultes de grand dauphin (Tursiops truncatus), comportement social agressif, Moray Firth, Ecosse, Royaume-Uni.

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    PHOTOGRAPHIE DE imageBROKER.com GmbH & Co. KG / Alamy Banque D'Images

    On retrouve cette violence sexuelle chez les canards colverts...

    Oui, et cette fois-ci elle intéresse les philosophes et les sociologues, pour la simple et bonne raison que cette violence n’a sans doute pas d’intérêt reproductif. C’est une « dysharmonie de la nature » selon la formule du biologiste Metchnikov, puisque dans 7 à 10 % des cas, elle aboutit à la mort de la femelle, causant un tort important à la population. Comment cela se passe-t-il ? Une femelle qui s’envole de son nid est poursuivie par d’autres mâles – parfois plus de dix ! Lorsqu’ils sont très nombreux, il leur arrive de rattraper la femelle et de la contraindre de se poser sur l’eau. Un premier mâle force immédiatement la femelle à copuler. Tandis qu’elle se débat, le mâle pèse de tout son corps pour la maîtriser. Dès que le premier a terminé sa besogne, un deuxième prend le relai.

    Comment l’expliquer ? En 1912, certains scientifiques avançaient l’hypothèse de la frustration sexuelle. Mais ce n’est pas suffisant : les violeurs ne sont pas automatiquement des célibataires frustrés. Les mâles en couple aussi participent aux copulations forcées. D’autres hypothèses soulignent que ces comportements violents pourraient être un sous-produit de la sélection naturelle. Les mâles, soumis à une intense compétition, deviendraient agressif et développeraient ainsi une violence incontrôlable. Toutefois, jusqu’ici, personne n’a vraiment compris l’intérêt biologique du viol chez les canards. 

     

    C’est un tableau assez sombre du monde animal que l’on dresse ici. La violence est-elle inéluctable ?

    Non. Dans les années 1980, on a beaucoup utilisé ces violences animales, notamment pour justifier les comportements des hommes à l’égard des femmes. Mais de nombreuses autres espèces ne violent pas ! Plus largement, nous avons interprété le darwinisme comme le règne absolu de la compétition. Alors que Darwin parlait déjà, à son époque, de la coopération dans le monde animal. Compétition et coopération sont les deux facettes de la vie en groupe.  Nous sommes capables de trouver d’autres espèces animales, ou d’autres groupes au sein d’une même espèce, qui ne font pas la guerre, qui ne sont pas forcément dans une dynamique de compétition, qui ne violent pas. 

     

    Quelles sont les espèces chez qui la coopération prévaut ?

    Les bonobos, par exemple. Chez eux, c’est plutôt « faites l’amour pas la guerre », même si la formule est réductrice. Pour obtenir la nourriture d’autres bonobos, ces grands singes préfèrent offrir des contacts sexuels plutôt que de sombrer dans les vols avec violence. De manière générale, le sexe facilite la coexistence pacifique entre les membres. Les copulations sont tout autant à l’initiative des mâles que des femelles. 

    Doux et attentionnés : au paradis des bonobos

    Autre exemple : les grands tétras se regroupent chaque année au même endroit pour chanter. Là, les femelles décident avec qui elles vont se reproduire. C’est une sorte de boîte de nuit pour oiseaux ! On imaginait que les femelles seraient toutes séduites par le mâle le plus fort. Mais en réalité, chacune apprécie des qualités différentes chez ces oiseaux chanteurs. Il n’y a pas de « groupe femelle » homogène. Et c’est finalement une forme de coopération, puisque les mâles, en se regroupant, font assez de bruit pour attirer les femelles.

    Enfin, une espèce de chauve-souris (Desmodus rotundus), connue pour son altruisme, pratique le don du sang ! Ces animaux ont besoin de se nourrir tous les trois jours. Si l’une d’entre elles rentrent bredouille après une nuit de prospection, elle va solliciter un don du sang. Avant d’accepter de faire ce don si coûteux, les deux partenaires vont commencer par se toiletter longuement. Une manière de tester la solidité de leurs liens par de petites attentions avant de procéder à l’ultime partage. La coopération fonctionne car ces individus vivent en groupe, assez longtemps pour se reconnaître. Ils savent à qui ils ont rendu service, à qui ils doivent aussi renvoyer l’ascenseur. C’est la même dynamique chez les humains – c’est pour cela qu’il est plus facile de coopérer dans un village que dans une métropole. En bref, le chemin de la guerre et de la violence n’est pas inéluctable. Les animaux aussi savent faire autrement.

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